Il y a 4 500 ans, en Mésopotamie, l’élite utilisait pour se déplacer et pour faire la guerre des équidés qui ont laissé leur trace dans l’iconographie et les textes de l’époque mais dont la nature restait mystérieuse. Dans Science Advances, le 14 janvier 2022, une équipe de l’Institut Jacques Monod (CNRS/Université Paris Cité) montre en utilisant l’ADN ancien que ces animaux étaient issus du croisement d’ânesses domestiques et d’ânes sauvages. Cela en fait le plus vieil exemple d’hybride animal, produit par les sociétés syro-mésopotamiennes 500 ans avant l’arrivée du cheval domestique dans la région.

Capture d’hémiones

Détail du bas-relief de Ninive “hunting wild asses” (645-635 av.n.e.). British Museum, Londres.

© E.-M. Geigl / IJM / CNRS-Université Paris Cité

Les équidés ont joué un rôle clef dans l’évolution des méthodes guerrières au cours de l’histoire. Bien que les chevaux domestiques ne soient apparus dans le Croissant fertile qu’il y a environ 4 000 ans1, les Sumériens utilisaient déjà depuis des siècles sur les champs de bataille des chars tirés par des équidés, comme en témoigne le fameux « étendard d’Ur », une mosaïque sumérienne vieille de 4 500 ans (voir photo). Sur les tablettes d’argile cunéiformes de cette période, il est aussi fait mention d’un équidé très prestigieux et de haute valeur marchande dénommé « kunga ». Cependant, la nature précise de cet animal était sujette à controverses depuis des décennies.

Une équipe spécialisée en paléogénomique à l’Institut Jacques Monod (CNRS/Université Paris Cité) a abordé cette question en étudiant les génomes d’équidés du complexe funéraire princier d’Umm el-Marra (nord de la Syrie actuelle), vieux de 4 500 ans. Sur la base de critères morphologiques et archéologiques, ces animaux enterrés dans des tombes distinctes ont été proposés comme étant les prestigieux « kungas » par une archéozoologue des États-Unis.  

Le génome de ces animaux, bien que dégradé, a pu être comparé à ceux d’autres équidés : des chevaux, des ânes domestiques mais aussi des ânes sauvages de la famille des hémiones séquencés pour cette occasion. Pour ces derniers, il s’agit des restes d’un équidé provenant du plus ancien temple connu, Göbekli Tepe (sud-est de la Turquie actuelle), vieux de 11 000 ans, et des derniers représentants d’ânes sauvages syriens disparus au début du 20e siècle. D’après les analyses, les équidés d’Umm el-Marra sont des hybrides de première génération issus d’une ânesse domestique et d’un hémione mâle. Ces kungas étant stériles et les hémiones étant sauvages, il fallait à chaque fois croiser une ânesse domestique et un hémione capturé auparavant (capture représentée sur un bas-relief assyrien de Ninive).

 

 

Sur le site de Göbekli Tepe (Turquie), enclos D avec piliers en forme de T.
© Deutsches Archäologisches Institut, Berlin (Allemagne)
Tombe d’équidés de Umm-El-Marra (Syrie).
© Glenn Schwartz / John Hopkins University.

Plutôt que de domestiquer les chevaux sauvages qui peuplaient la région, les Sumériens ont donc produit et utilisé des hybrides cumulant les qualités de leurs deux parents (plus forts et plus rapides que les ânes – et même plus rapides que les chevaux –, plus contrôlables que les hémiones). Ces kungas seront supplantés par l’arrivée du cheval domestique, plus facile à reproduire, lorsqu’il sera importé dans la région depuis la steppe pontique.

Références : The genetic identity of the earliest human-made hybrid animals, the kungas of Syro-Mesopotamia, Andrew Bennett, Jill A. Weber, Wejden Ben-Dhafer, Sophie Champlot, Joris Peters, Glenn Schwartz, Thierry Grange, Eva-Maria Geigl, Science Advances, 14 janvier 2022.

DOI : 10.1126/sciadv.abm0218

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