Caroline Zéau est maîtresse de conférences et responsable du Master pro DEMC à l’UFR LAC. Ses recherches au sein du CERILAC portent sur les études cinématographiques.

© L’Âge de l’homme

Qu’est-ce que le cinéma direct ? Une forme ? Un style ? Une sous-catégorie du cinéma documentaire caractérisée par l’absence de mise en scène ? Une utopie cinématographique depuis longtemps dépassée ? À l’heure où le cinéma synchrone et léger, aujourd’hui numérique, est devenu un langage commun accessible à tous, que reste-t-il de ce moment où les documentaristes aspiraient à faire des films aussi improvisés et perméables que la vie elle-même ? Alors que chacun peut filmer avec son téléphone ses enfants ou l’épicier du coin, que nous apprend cette volonté de porter à l’écran le destin de l’homme ordinaire? Et à l’heure de la « post-vérité », que retient-on de cette conviction de pouvoir dire vrai ?Si le terme « cinéma direct » embarrasse, tout comme le mot « documentaire », c’est parce que l’un comme l’autre posent le problème épineux de la mise en scène du réel ou de son hypothétique absence. Le constat de ce déni récurrent nous conduit à envisager le cinéma direct d’abord comme un retour à la trompeuse simplicité de « l’esthétique de la vue » (TomGunning) et aux enjeux d’une dramaturgie du regard, puis comme le prolongement du« documentaire dialectique » théorisé par John Grierson dans les années 1930. Dans les années 1960, les cinéastes et les ethnologues qui font et pensent le cinéma direct répondent aux questionnements de l’époque (le destin de l’idée communiste, la décolonisation, l’émergence de l’idée de démocratie participative au prot des minorités) par un art de la mise en scène fondé sur la participation et le feed-back. Grâce à l’éclosion de la parole filmée et par le biais de dispositifs réflexifs, leurs films interrogent le potentiel politique et épistémologique du cinéma. Chacun désormais peut revendiquer le droit d’être filmé (WalterBenjamin), de se mettre en scène et de questionner la vérité des images. Ce faisant le cinéma direct, au moyen d’une dialectique qui lui est propre (le flux et la structure, le direct et le différé, la présentation et la représentation) est devenu un espace pré-politique : la mise en scène s’y conçoit comme le moyen de penser la place et la participation de l’homme du commun (filmeurs, filmés, spectateurs) dans cet espace que le film découpe dans le réel.C’est en cela que le cinéma direct constitue une matrice, plus pertinente que jamais, pour le cinéma documentaire contemporain
  • Titre : Le Cinéma direct. Un art de la mise en scène
  • Auteur : Caroline Zéau
  • Éditeur : L’Âge de l’homme
  • Date de publication : 2020
  • Nombre de pages : 272
  • ISBN : 978-2-8251-4820-4
  • Prix : 27 €