Les systèmes de santé français et américains sont différents, mais depuis la pandémie, les deux pays sont confrontés à des défis communs, notamment liés à la transition démographique. Thomas Rapp, maître de conférences (HDR) à Université Paris Cité est spécialisé en économie de la santé. Il est accueilli pendant trois mois par les professeurs David C. Grabowski et Anupam B. Jena, M.D., comme professeur invité au sein du prestigieux Health Care Policy Department de la Harvard Medical School. Ensemble, ils mènent une analyse comparative des politiques du grand âge dans les pays de l’OCDE à partir de données internationales.  Découvrez leur collaboration.

© Thomas Rapp, David C. Grabowski et Bapu Jena

S’attaquer aux enjeux des systèmes de santé

 

La collaboration entre Thomas Rapp, David Grabowski et Bapu Jena est ancienne. En 2015, Thomas a effectué un séjour de recherches d’un an à Harvard, comme Harkness Fellow, pour évaluer avec David l’impact de l’expansion du programme Medicaid pour les soins du grand âge aux États-Unis.

David C. Grabowski : « Nous avons été ravi lorsque Thomas nous a fait part de son souhait de revenir à Harvard cet été pour retravailler ensemble sur l’analyse des soins du grand âge ». Les trois chercheurs explorent actuellement des questions importantes telles que : quelle est la bonne combinaison de soins au domicile vs. en établissement à apporter, quelle est la bonne répartition entre les soins public et privé, entre les soins professionnels et familiaux etc.

Qu’est-ce qui est différent dans cette collaboration par rapport à votre travail en 2015 ?

Selon le professeur David C. Grabowski, « Les soins du grand âge sont différents des soins médicaux. Les États-Unis font figure d’exception, nous dépensons plus que n’importe quel autre pays pour la santé, mais en matière de soins du grand âge, les États-Unis dépensent moins que la moyenne. Les États-Unis peuvent apprendre beaucoup d’autres pays comme la France. Lorsque Thomas a obtenu sa bourse Harkness, ce fut une excellente occasion de travailler avec lui sur les défis posés au système américain, mais aussi de découvrir le système français. »

Il ajoute :  « La pandémie a permis de lever le voile sur les problèmes rencontrés par le secteur du grand âge aux États-Unis. Je pense qu’elle l’a également fait au niveau international. La pandémie a été un défi dans tous les pays. Il n’a jamais été aussi urgent de s’attaquer à la question de l’offre de soins et des besoins des populations vieillissantes. Nous sommes très heureux que Thomas soit à nouveau parmi nous pour travailler ensemble sur ces thèmes. »

« Les recherches sur les politiques de santé sont essentiellement nationales. Nous n’avons pas les mêmes opportunités que d’autres spécialités de collaborer sur des comparaisons internationales. C’est pourquoi je pense que cette opportunité était très précieuse. J’ai eu l’occasion de rendre visite à Thomas il y a quelques années à Paris, nos familles se sont également rencontrées. Il y a des aspects personnels qui sont aussi très précieux », déclare le professeur Bapu Jena.

La Covid a-t-elle été une « sonnette d’alarme » pour les systèmes de soins de santé, quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

La pandémie a mis à rude épreuve les systèmes de santé des deux pays et, selon Thomas Rapp, « Elle a révélé au grand public que nous avions des problèmes de ressources humaines majeurs dans le secteur du grand âge et que les soins fournis aux séniors n’étaient pas toujours de grande qualité. Les récentes controverses dans les EHPADs français ont révélé la nécessité d’évaluer la qualité des soins fournis. C’est le moment d’explorer ces questions et d’établir des comparaisons internationales. Les États-Unis publient depuis longtemps des informations sur la qualité des établissements médico-sociaux. Ils disposent d’un système de classement par étoiles qui, bien que perfectible, donne un aperçu de la situation. Nous pouvons tirer des enseignements de ces initiatives et voir ce que nous pourrions mettre en œuvre en France. »

Des opportunités des deux côtés de l’Atlantique

 

Pour David C. Grabowski, « Les données françaises sont très différentes de celles produites aux États-Unis, ce qui offre des perspectives intéressantes à nos travaux. Nous sommes également à un moment important aux États-Unis, où l’Administration Biden a récemment imposé un seuil minimum de travailleurs dans les établissements médico-sociaux. Les États-Unis sont confrontés à un véritable défi en matière de ressources humaines, d’où l’opportunité unique d’apprendre d’autres pays comme la France. » 

Thomas Rapp ajoute : « Pendant la pandémie, en France, nous étions également confrontés aux mêmes problèmes en ce qui concerne les conditions de travail dans le secteur du grand âge. Au cours d’une mission que j’ai effectuée à l’OCDE, nous nous sommes rendu compte que de nombreux pays ont des préoccupations similaires et qu’il est très intéressant de comparer les stratégies visant à augmenter l’offre de soins dans le secteur. Il y a également beaucoup à apprendre des initiatives nord-américaines liées à la mesure de la qualité des soins. »

Avez-vous une anecdote à partager sur votre collaboration ?

Il y a 15 ans, après l’obtention de son doctorat, Thomas Rapp a été sélectionné pour effectuer un postdoctorat à l’Université du Maryland, sous la direction du professeur C. Daniel Mullins. Or, Thomas et David on réalisé que Dan Mullins est aussi un ancien thésard du père de David, qui est un économiste de la santé réputé. « Le monde est petit, et la boucle est bouclée. C’était un lien amusant à établir », déclare David C. Grabowski.

Les prochaines étapes

 

Les trois chercheurs travaillent actuellement à la rédaction de deux publications co-signées, qu’ils vont soumettre à des revues scientifiques à comité de lecture. Le premier article porte sur l’impact des dotation en personnel dans les établissements médico-sociaux sur le parcours de soins des résidents, à partir de données françaises et américaines.

Le second article (également co-signé avec Joan Costa-i-Font, professeur à la London School of Economics) étudie l’impact des politiques familiales sur le recours aux soins du grand âge. Ce travail est réalisé à partir d’une enquête internationale sur le vieillissement et de données produites par l’OCDE. Il permet de mieux comprendre comment le capital social influence les décisions de recours aux soins du grand âge chez les séniors.  Selon Bapu Jena, « La dynamique sociale joue un rôle important. Nous examinons dans quelle mesure le nombre de petits-enfants au sein des familles peut influencer le recours aux soins des grands parents. »

Selon Thomas Rapp, « Nos premiers résultats révèlent que le nombre de petits enfants influence significativement les décisions de recours aux soins du grand âge, en augmentant la consommation de soins au domicile et en réduisant le recours aux établissements médico-sociaux. Ils montrent ainsi que la générosité des aides publiques pour les congés parentaux peut avoir un impact indirect sur le recours aux soins du grand âge des grand-parents, via son effet sur le nombre de petits enfants. »

David et Bapu prévoient de venir à Université Paris Cité, pour participer à un colloque qui sera organisé par Thomas Rapp à la Faculté droit économie gestion lors de la prochaine année universitaire. Cet évènement scientifique sera également l’occasion d’inviter d’autres chercheurs et des analystes de l’OCDE.

« Nous allons continuer à collaborer tous les trois, mais nous prévoyons aussi d’inclure dans cette collaboration plusieurs de nos collègues et de nos étudiants. Il s’agit d’une opportunité unique mais aussi très importante de développer des liens académiques entre nos institutions. », conclut David C. Grabowski.

A propos de

 

Thomas Rapp est actuellement maître de conférences (HDR) à la Faculté Droit Economie Gestion, membre de la faculté Sociétés et Humanités, d’Université Paris Cité, titulaire de la Chaire AgingUP!, et co-directeur du porgramme de recheches sur les politiques de santé au LIEPP Sciences Po. Il est spécialisé en économie de la santé, économie du vieillissement et en analyse des politiques de santé. Il a été Harkness fellow à Harvard (2015-2016) et économiste de la santé à l’OCDE (2017-2019). Il a publié plus de 70 articles, incluant des publications dans des revues scientifiques à comité de lecture de premier rang (Health Economics, Medical Care, Social Science and Medicine, JAMA open etc.), des chapitres d’ouvrage et des rapports de recherche. En 2015, il a créé (et dirigé jusqu’en 2018) un diplôme de master en économie de la santé à la Sorbonne d’Abu Dhabi. Depuis 2016, il est éditeur associé de la revue américaine Value in Health. Depuis 10 ans, son programme de recherches a été financé par 9 grants (Agence nationale de la recherche, CommonWealth Fund, programme Innovative Medicines Initiative de la Commission Européenne etc.).

 

David C. Grabowski est professeur de politique de santé au sein du département de Health Care Policy de la Harvard Medical School. Ses recherches portent sur l’économie du vieillissement, avec un intérêt particulier pour les domaines des soins du grand âge.  Il a publié plus de 200 articles évalués par des pairs, et ses travaux ont été publiés dans des revues d’économie, de politique de santé et de médecine de premier plan évaluées par des pairs, notamment la Review of Economics & Statistics, Health Affairs, le Journal of Health Economics et le New England Journal of Medicine. Ses travaux ont été présentés par des organes de presse populaires de premier plan, tels que le Wall Street Journal, la National Public Radio, le Washington Post et le New York Times.

 

Anupam B. Jena est professeur en économie de la santé au sein du département Health Care Policy de la Harvard Medical School et médecin au département de médecine du Massachusetts General Hospital à Boston, Massassuchetts. Il est également chercheur au National Bureau of Economic Research. En tant qu’économiste et médecin, les recherches du professeur Jena portent sur plusieurs domaines de l’économie et des politiques santé. Il est l’hôte du podcast Freakonomics, MD, qui explore la « face cachée des soins de santé ».

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