Dans une étude publiée dans la revue PNAS, une équipe de géomorphologues de l’IPGP, du CNRS, d’Université Paris Cité et de Sorbonne Université montre que ce sont les sédiments transportés par une rivière qui déterminent la forme de son lit. Ces expériences sur des rivières de laboratoires valident une théorie énoncée dans les années 1980 et leurs modélisations permettent également d’estimer le débit de sédiments d’une rivière en mesurant sa forme.

L’étude, publiée le 7 décembre dans la revue PNAS, montre comment les sédiments transportés modèlent les rivières de laboratoire.

© IPGP

Les rivières façonnent une grande partie des paysages qui nous entourent. Elles érodent lentement les roches des montagnes, les entraînent sous forme de sédiments, les transportent sur de longues distances, puis les déposent pour former de vastes bassins fluviaux, comme celui de l’Amazone.

Les rivières ne sont pas de simples canaux. Leurs lits échangent constamment des sédiments avec l’eau qui s’écoule, ce qui leur permet de s’adapter aux débits d’eau et de sédiments. Les rivières qui charrient beaucoup de sédiments sont d’habitude larges et peu profondes, et leurs lits peuvent de déplacer, pour former des méandres ou des tresses.

Mais pour autant, prédire la forme d’une rivière en fonction de son débit sédimentaire n’est pas une tâche simple. Car ce sont de petits écarts par rapport à un équilibre qui mettent en mouvement les sédiments, ce qui rend inopérantes les théories trop approximatives. De plus, une rivière qui transporte des sédiments est soumise au “paradoxe du canal stable” — la théorie prévoit que la mobilité des sédiments dans une rivière conduise à l’érosion inexorable de ses bords. Un lit qui ne s’érode pas, alors, semble incompatible avec le transport des sédiments. Cette question de la forme du lit d’une rivière et de sa stabilité a été abordée dans un premier temps par Gary Parker qui a proposé en 1978 une théorie selon laquelle le frottement à l’intérieur de l’écoulement est capable de maintenir les bords en équilibre tout en permettant le mouvement des sédiments le long d’un fond plat. Mais cette théorie n’a jamais été testée expérimentalement et ses implications ont été peu examinées du fait de sa complexité considérable liée au comportement des écoulements turbulents.

 

Dans une étude, publiée le 7 décembre dans la revue PNAS, une équipe de l’Institut de physique du globe de Paris et de l’institut Jean Le Rond d’Alembert, a essayé de comprendre la mécanique des rivières qui transportent les sédiments. Pour simplifier au maximum le problème, les scientifiques de l’équipe ont utilisé des petites rivières (d’environ 5 cm de largeur et 1 cm de profondeur) créées en laboratoire par l’écoulement dans un lit de sédiments plastiques d’un fluide visqueux (une mélange d’eau et de glycerol) dans lequel les sédiments ont été alimentés avec un débit adjustable. La viscosité élevée du fluide a rendu l’écoulement laminaire, ce qui a considérablement simplifié le problème par rapport aux écoulements naturels turbulents.

En faisait varier le débit de sédiments, ils ont pu observer une variation de la forme du lit de la rivière. À partir de ces expériences, ils ont créé un modèle mathématique de modélisation de la forme de lit et du profil de l’intensité du transport sédimentaire qui correspond très bien aux mesures. Les rivières expérimentales étant toujours proches du seuil de mouvement des sédiments, l’intensité avec laquelle elles transportent les sédiments ne peut pas dépasser une certaine limite, ce qui provoque un élargissement de la rivière à mesure que leur charge de sédiments augmente.

Cette limite est déterminée par les frottements à l’intérieur de l’écoulement – exactement comme théorisé par Gary Parker. Cette étude est ainsi la première démonstration de la théorie de Parker dans des conditions de laboratoire contrôlées. Pourtant, pour les débits de sédiment faibles, l’équipe de géomorphologues a découvert un autre régime pour lequel la théorie de Parker n’est plus valable. Dans ce régime, la forme de la rivière ne change plus en fonction du débit sédimentaire, et les sédiments mobilisés se comportent comme des particules de gaz chaud dans le champ de gravité, leur densité obéissant à la fameuse distribution de Boltzmann en fonction de l’altitude. Ce nouveau régime fait ainsi le pont entre les rivières qui ne transportent aucun sédiment et celles obéissant au régime de Parker qui en transportent beaucoup.

 

Cette étude explique comment et pourquoi une rivière change de forme en réponse à une charge de sédiments. Et en inversant ce modèle, l’étude montre également qu’on peut estimer le débit de sédiments d’une rivière en mesurant sa forme. Si cette théorie est vérifiée en conditions naturelles, elle pourrait significativement faciliter les évaluations de charge sédimentaire, une information importante pour de nombreuses études géologiques, mais notoirement difficile à mesurer sur le terrain.

 

Références :

Sediment load determines the shape of rivers
Predrag Popović, Olivier Devauchelle, Anaïs Abramian, Eric Lajeunesse,
Proceedings of the National Academy of Sciences Dec 2021, 118 (49) e2111215118;

DOI : 10.1073/pnas.2111215118

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