Philippe Moati, Professeur d’Économie à Université Paris Cité et co-fondateur de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo) nous parle de la crise actuelle sous l’angle économique et social. Selon lui, « La crise économique induite par le Covid-19 peut nous faire basculer d’un modèle de consommation basé sur l’avoir à un modèle fondé sur l’être ».

 

D’un point de vue économique, qu’est-ce-qui caractérise la crise induite par le Covid-19 ?
Son caractère inédit. Il n’y a aucun précédent historique à une telle situation. Le confinement de près de la moitié de la population mondiale a mis à l’arrêt une grande partie de l’activité économique des pays développés. Nous subissons pleinement la décroissance que certains appelaient de leurs voeux. C’est du jamais vu.

 

De nombreux experts et politiques qualifient cette crise de « sans précédent depuis 1929 ». Cette comparaison est-elle justifiée selon vous ?
Pas vraiment. En 1929, il s’agissait d’une crise financière à la base qui s’est ensuite reportée sur l’économie réelle. Dans le cas du Covid-19, il s’agit d’une crise sanitaire qui frappe de plein fouet l’économie réelle. En confinant leur population, les pays développés ont mis à l’arrêt l’immense majorité des vecteurs de création de richesse structurant leurs économies. Le secteur financier, même s’il a dévissé au début de la crise, s’est ensuite repris (sans pour autant atteindre les niveaux antérieurs). Cela s’explique notamment par les mesures mises en place par les différents gouvernements et les banques centrales. 
Contrairement à ce qui s’est passé en 1929, les gouvernements concernés ont fait preuve d’une grande réactivité pour atténuer au mieux les conséquences économiques découlant de la crise sanitaire. Parfois, en s’éloignant d’ailleurs de leurs propres dogmes. Ainsi, le gouvernement français actuel, très à cheval sur la rigueur budgétaire, n’a pas hésité à s’endetter lourdement pour injecter des milliards d’euros de liquidités dans l’économie réelle, notamment via les dispositifs de chômage partiel, d’allègement de charges aux entreprises etc… L’ensemble de ces mesures va vraiment dans le bon sens.

 

Sont-elles pour autant suffisantes ?
Elles vont permettre d’aplanir la crise mais pas de l’éviter. S’il est bien difficile de prédire avec précision l’ensemble des conséquences du Covid-19, une chose fait néanmoins consensus chez les économistes, cette crise va être massive et durable. Des pans entiers de l’activité du pays vont connaitre un ralentissement majeur entrainant une augmentation inéluctable du chômage (+7,2% au mois de mars en France) et de la précarité. On parle déjà d’une chute de 8% de la croissance économique en France en 2020 (environ 7% dans les pays de l’OCDE). Cela va frapper de plein fouet une frange de la population qui rencontrait déjà de grandes difficultés économiques. Les gilets jaunes sont assez représentatifs du clivage social présent en France. La principale revendication des gilets jaunes concernait le pouvoir d’achat avec une catégorie de la population ne pouvant plus consommer et même parfois subvenir à ses besoins de premières nécessités. Cette catégorie sociale sera la première concernée par les conséquences économiques (perte d’emploi) du Covid-19 et va donc rencontrer de nouvelles difficultés et plonger dans une précarité encore plus grande. La frustration accumulée concernant la consommation et le pouvoir d’achat risque de croître fortement et de créer des tensions sociales exacerbées.

 

Mais cette crise n’est-elle pas justement l’occasion de renouveler nos modes de consommation ?
Le questionnement sur les modes de consommation s’enracine depuis plusieurs années au sein de la société française. Une part importante de la population ne croit plus au fait que la consommation mène au bonheur. Une vraie prise de distance s’est installée par rapport aux excès de l’hyper-consommation, du gaspillage, de l’obsolescence programmée, de l’incitation à acheter toujours plus via la matraquage publicitaire (qui devient de plus en plus subtil avec l’essor des nouvelles technologies). Tous ces points mettent en exergue une critique profonde de la société de consommation, le tout dans un contexte de prise de conscience des enjeux environnementaux qui pèsent sur la société actuelle et qui questionnent encore plus ce modèle. C’est pourquoi une part non négligeable de Français dit désormais vouloir consommer autrement. Et cette part s’est accrue encore dans le contexte du confinement.

 

Autrement mais … comment ?
Les consommateurs inspirent à une consommation de qualité, c’est à dire plus respectueuse de l’environnement et proposant des produits durables et performants, apportant une satisfaction différente de celle du consumérisme habituelle. On parle désormais d’une consommation responsable, davantage tournée vers « l’être » que vers « l’avoir », qui n’est plus vraiment en phase avec l’envie d’accumulation héritée de l’après-guerre. La crise économique induite par le Covid-19 peut accentuer cet état de fait en nous faisant basculer vers un nouveau modèle de consommation dont on commençait d’ailleurs à voir les prémices avant la crise.

 

Cela concerne-t-il pour autant l’ensemble des consommateurs ?
Non, et cela reflète un vrai clivage dans la société française. Ces préoccupations, quant à la qualité des produits consommés et une consommation responsable, concernent principalement les classes dites supérieurs ou moyennes supérieures (bien qu’en réalité le vrai clivage soit culturel). Dans les classes dites « populaires », il y a toujours un élan réel en faveur de la consommation de masse. C’est le cas d’une grande partie du mouvement des gilets jaunes qui s’est organisé à partir de revendications concernant le pouvoir d’achat. Tout le paradoxe qu’ont mis en lumière les gilets jaunes peut se résumer ainsi « comment fait on tenir une société de consommation avec des consommateurs réceptifs à l’injonction à la consommation mais qui n’ont pas les moyens de consommer ? ».

 

La consommation sera pourtant l’un des piliers de la relance économique post-covid …
Ce sera l’un des facteurs déterminants mais c’est aussi l’un des plus incertains. Comment les consommateurs vont se comporter à l’issue du confinement, en devant s’adapter aux nouvelles normes de distanciation dans les commerces ? Qu’en sera-t-il des secteurs les plus touchés à l’heure actuelle comme la restauration, le tourisme et l’aérien ? Comment évoluera le partage du revenu entre consommation et épargne dans un contexte de très fortes inquiétudes pour l’avenir ? Et surtout quel sera le réel pouvoir d’achat des consommateurs au regard de la sévérité de la crise économique ?

 

Cette crise économique s’annonce donc encore plus violente que la crise sanitaire ?
Très violente en tout cas ! Pour l’heure, la situation est paradoxale car les mesures prises par le gouvernement, notamment concernant le chômage partiel, mettent en sommeil les effets de la crise. C’est comme si la situation du pays était gelée, et à l’heure actuelle, seuls 37% des Français affirment subir une baisse de leurs revenus. Mais, c’est lors du post-confinement que les conséquences de la crise sanitaire vont se faire sentir. D’autant plus, qu’à terme, il faudra bien rembourser la dette colossale contractée par l’État pour maintenir l’économie à flot. Deux solutions s’offriront alors aux pouvoirs publics : recourir à la création monétaire au risque de réveiller l’inflation au prix d’une érosion du patrimoine des français; ou passer par l’impôt, ce qui reviendra une nouvelle fois à amputer le pouvoir d’achat des ménages. Rappelons-nous que le mouvement des gilets jaunes est né de la contestation de la création d’une nouvelle taxe sur les carburants ! Il y aura clairement un avant et un après Covid-19 et la crise économique risque de céder la place à une crise sociale… déjà en germe dans notre pays.

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