Quand la paléogénomique élucide 10 000 ans d’évolution du système immunitaire

Des scientifiques de l’Institut Pasteur, d’Université Paris Cité, du CNRS et du Collège de France ont retracé, grâce à la paléogénomique, 10 000 ans d’évolution du système immunitaire humain. Ils ont analysé la variabilité des génomes de plus de 2 800 individus ayant vécu en Europe au cours des dix derniers millénaires. Ils ont pu dater la plupart des mutations avantageuses dans la lutte contre les pathogènes, à l’âge de bronze, soit il y a 4 500 ans. Ces mutations ont alors rapidement augmenté en fréquence en Europe. Les scientifiques ont également constaté que des mutations entrainant un risque accru de développer des maladies inflammatoires ont augmenté en fréquence au cours des derniers 10 000 ans. Ces résultats éclairent sur les effets de la sélection naturelle sur les gènes de l’immunité.

Dans les années 1950, le généticien J.B.S. Haldane explique le maintien ou la persistance de la mutation responsable des anomalies des globules rouges communément observées en Afrique par la protection qu’elles confèrent contre le paludisme, une infection endémique responsable de millions de morts. Cette hypothèse considère les agents pathogènes comme une des pressions sélectives les plus fortes auxquelles l’homme a été confronté. De nombreuses études de génétique des populations ont par la suite confirmé cette théorie. Cependant, des questions importantes demeuraient sans réponse, notamment à quelles époques les pressions sélectives exercées par les agents pathogènes sur les populations humaines ont été les plus fortes et quelles ont été leurs conséquences sur le risque actuel de développer des maladies inflammatoires ou auto-immunes.

Pour répondre à ces questions, des scientifiques de l’Institut Pasteur, d’Université Paris Cité, du CNRS, du Collège de France, en collaboration avec l’Institut Imagine et l’Université Rockefeller (États Unis) ont utilisé une approche fondée sur la paléogénomique. Cette discipline, qui étudie l’ADN provenant des restes fossiles, a permis d’importantes découvertes concernant l’histoire et l’évolution de l’homme et de ses maladies, comme l’illustre l’attribution du prix Nobel de physiologie ou médecine en 2022 au paléogénéticien Svante Pääbo. Dans l’étude pilotée par l’Institut Pasteur, publiée le 13 janvier dans la revue Cell Genomics, les chercheurs et chercheuses ont analysé la variabilité des génomes de plus de 2 800 individus ayant vécu en Europe au cours des dix derniers millénaires – une période couvrant le néolithique, l’âge du bronze, l’âge du fer, le Moyen Âge et le présent.

En reconstituant l’évolution dans le temps de centaines de milliers de mutations génétiques, les scientifiques ont en premier lieu identifié des mutations qui ont très rapidement augmenté en fréquence en Europe, signe qu’elles ont été avantageuses. Ces mutations évoluant sous une sélection naturelle « positive » sont principalement localisées dans 89 gènes impliqués dans la réponse immunitaire innée, notamment les gènes OAS, agissant sur les fonctions antivirales, et le gène responsable du système des groupes sanguins ABO. Fait surprenant, la plupart de ces événements de sélection positive, témoignant d’une adaptation génétique à l’environnement pathogénique, ont débuté récemment, dès le début de l’âge de bronze, il y a environ 4 500 ans. Les chercheurs expliquent cette « accélération » de l’adaptation par la croissance de la population humaine à cette période et/ou par de fortes pressions sélectives exercées par les pathogènes à l’âge du bronze, sans doute liées à la propagation de maladies infectieuses sévères comme la peste.

En parallèle, les scientifiques se sont intéressés à la situation inverse, c’est-à-dire, aux mutations dont la fréquence a diminué de façon significative au cours des dix derniers millénaires – ces mutations sont probablement soumises à une sélection « négative » parce qu’elles augmentent le risque de maladies. Ils ont ainsi remarqué que ces événements de sélection ont principalement commencé, encore une fois, à partir de l’âge de bronze. Nombre de ces mutations désavantageuses ont été également localisées dans des gènes associés à la réponse immunitaire innée, tels que TYK2, LPB, TLR3 ou IL23R, dont des travaux expérimentaux ont confirmé l’effet délétère face aux maladies infectieuses. Ces résultats soulignent l’intérêt d’adopter une approche fondée sur l’évolution dans la recherche sur la susceptibilité génétique aux maladies infectieuses.

En dernier lieu, les chercheurs se sont intéressés à l’hypothèse selon laquelle la sélection exercée par les pathogènes par le passé a favorisé des allèles de résistance aux maladies infectieuses qui, en contrepartie, ont augmenté le risque actuel de maladies auto-immunes ou inflammatoires. Pour ce faire, ils se sont penchés sur les quelques milliers de mutations connues pour augmenter la susceptibilité à la tuberculose, aux hépatites, au SIDA ou à la COVID-19, d’une part, et à la polyarthrite rhumatoïde, au lupus érythémateux ou aux maladies inflammatoires de l’intestin, d’autre part. En regardant l’évolution de ces mutations à travers le temps, ils ont constaté que celles associées au risque accru de troubles inflammatoires – dont la maladie de Crohn – ont augmenté en fréquence au cours des 10 000 dernières années, tandis que celles associées au risque de développer des maladies infectieuses ont diminué. « Ces résultats suggèrent que le risque de troubles inflammatoires a augmenté chez les Européens depuis le Néolithique en raison d’une sélection positive de mutations permettant de mieux résister aux maladies infectieuses », explique Lluis Quintana-Murci, directeur de l’étude et responsable de l’unité Génétique évolutive humaine (Institut Pasteur / CNRS unité Génomique évolutive, modélisation et santé / Université Paris Cité).

Les résultats de l’étude, qui a su tirer parti de la puissance de l’approche paléogénomique, montrent que la sélection naturelle a ciblé les gènes de l’immunité humaine au cours des dix derniers millénaires en Europe, en particulier depuis le début de l’âge du bronze, et a contribué aux disparités actuelles en termes de risque de maladies infectieuses et inflammatoires.

 

En outre des institutions mentionnées précédemment, ce travail a été soutenu par La Fondation pour la recherche médicale, la Fondation Allianz-Institut de France et la Fondation de France.

Références

Genetic adaptation to pathogens and increased risk of inflammatory disorders in post-Neolithic Europe, Cell Genomics, 13 janvier 2023

 Gaspard Kerner, Anna-Lena Neehus, Quentin Philippot, Jonathan Bohlen, Darawan Rinchai, Nacim Kerrouche, Anne Puel, Shen-Ying Zhang, Stéphanie Boisson-Dupuis, Laurent Abel, Jean-Laurent Casanova, Etienne Patin, Guillaume Laval, and Lluis Quintana-Murci,

DOI : https://doi.org/10.1016/j.xgen.2022.100248

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