Une étude sur le fonctionnement des cellules épithéliales, publiée dans la revue Nature Materials, nous en apprend davantage sur leur mécanique.
Rencontre et explications avec les chercheurs Benoît Ladoux et René-Marc Mège, responsables du groupe de recherche Adhésion cellulaire et mécanique à l’Institut Jacques Monod (Université Paris Cité), co-auteurs de cette étude au côté de chercheurs du Mechanobiology Institute (Singapour), de l’Université d’Oxford (Grande-Bretagne) et du Niels Bohr Institute (Danemark).

Les tissus biologiques, pour la plupart, dépendent de l’activité collective des cellules et de la façon dont elles interagissent les unes avec les autres. Pour comprendre comment se forment les tumeurs ou de quelle manière la peau cicatrise, il faut explorer la façon dont les cellules adhèrent entre elles mais aussi à la matrice extracellulaire composée de collagène ou de matériaux fibreux résistants mais déformables. « Le cuir par exemple c’est de la matrice extracellulaire rigidifiée nous explique René-Marc Mège. C’est le support sur lequel les cellules vont adhérer ». Ces interactions entre les cellules et la matrice transmettent des forces mécaniques – à distinguer des échanges biochimiques – développées par les cellules. Benoît Ladoux précise : « Nos recherches s’insèrent dans le cadre de la mécanobiologie. Il s’agit de comprendre comment les forces mécaniques peuvent modifier les fonctions des cellules de nos tissus comme leur destin. Depuis une vingtaine d’années, de nouveaux outils ont permis d’étudier les formes d’auto-organisation des cellules et de mieux comprendre que la génétique ne régule pas tout, que les approches génétiques et mécaniques sont complémentaires ».

 

Le type de forces mises en jeu par les cellules importe donc grandement pour caractériser l’organisation et le devenir des tissus biologiques. Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont eu l’idée de coupler leurs connaissances en physique avec leurs recherches en biologie cellulaire. « La dimension interdisciplinaire a ici joué un grand rôle, se réjouit René-Marc Mège. Nous nous sommes aperçus que les cellules individuelles s’alignent localement à la manière des cristaux liquides, une classe de matériaux que l’on connaît bien ». Benoît Ladoux poursuit l’analogie : « Quand on observe les assemblées de cellules, on voit que parfois elles sont alignées comme le sont les cristaux liquides à la base de nos écrans. Cette analogie nous a permis de remarquer que la nature mécanique des cellules diffère en fonction des propriétés d’adhésion ».

 

La publication dans Nature Materials permet de préciser ces propriétés d’adhésion et de constater une dissonance de comportement entre les cellules individuelles isolées et les cellules épithéliales, c’est-à-dire fonctionnant en groupe. « C’est comme pendant un concert suggère Benoît Ladoux. Vous allez sauter et exercer une force sur le sol de manière individuelle, mais si vous entrez en contact avec d’autres personnes qui dansent à côté de vous, elles peuvent exercer une pression qui va vous pousser sur les côtés. Il en va de même pour les cellules : une cellule isolée va exercer une force sur son support, mais dès qu’elle est encerclée par d’autres cellules, celles-ci vont faire pression ». Il précise : « Comprendre cela permet de mieux appréhender les processus de ségrégation, c’est-à-dire la manière dont les cellules se séparent et se trient. Si vous prenez des cellules vertes et des cellules rouges ayant des propriétés adhésives différentes et que vous les mélangez, au bout d’un moment elles vont spontanément s’auto-organiser et se rassembler par couleur. Ce qu’on a compris ici, c’est que cette ségrégation est très fortement liée à la nature des forces mécaniques générées par les cellules elles-mêmes sur leur support et sur leurs voisines ». Une découverte qui offre une alternative aux travaux de M. Steinberg dans les années 1960. Selon lui, le mouvement des cellules au sein d’un tissu et leur ségrégation étaient liés à la minimisation de la tension interfaciale, un mécanisme bien connu dans les bulles. René-Marc Mège nuance cette approche : « On s’aperçoit que la ségrégation est contrôlée par la signature mécanique des cellules et que celle-ci diffère si elles sont seules ou en groupe. La régulation par les gènes n’explique pas tout. Les cellules vont aussi se déterminer par les mécaniques de la physique. » Benoît Ladoux abonde : « Quand on observe une assemblée de cellules, on s’aperçoit que leurs propriétés s’inversent par rapport à des cellules isolées. ».

 

Quant à l’application concrète de tout cela, René-Marc Mège tempère : « On n’en est pas encore à ce stade. On essaie pour l’instant de comprendre comment les tumeurs peuvent se former en fonction des propriétés adhésives des cellules et de la manière dont elles vont se répartir. » Benoît Ladoux complète : « À terme on pourrait imaginer un médicament permettant de cibler les cellules qui mécaniquement se comportent différemment des autres, mais ce n’est pas encore d’actualité ».

 

Des travaux pluridisciplinaires, à l’interface de la biophysique et de la biologie cellulaire, qui offrent un nouveau cadre pour comprendre l’auto-organisation des tissus.

 

Légende : Régulation des interactions mécaniques au sein de monocouches cellulaire
a) Distribution des forces au sein d’une cellule isolée
b) Répartition des forces et nature de l’état de tension résultant des cellules en interaction
c) Auto-organisation et Ségrégation cellulaire au sein de mélanges de cellules présentant des adhésions intercellulaires différentes (faibles en rouge et fortes en vert).

 

 

 

Référence de la publication dans Nature Materials
« Investigating the nature of active forces in tissues reveals how contractile cells can form extensile monolayers« 
Auteurs : Lakshmi Balasubramaniam, Amin Doostmohammadi, Thuan Beng Saw, Gautham Hari Narayana Sankara Narayana, Romain Mueller, Tien Dang, Minnah Thomas, Shafali Gupta, Surabhi Sonam, Alpha S. Yap, Yusuke Toyama, René-Marc Mège, Julia M.Yeomans, Benoit Ladoux
 
Coordonnées
Benoit Ladoux, benoit.ladoux@ijm.fr
« Cell Adhesion and Mechanics »
Institut Jacques Monod – Université Paris Cité & CNRS
Bâtiment Buffon, 15 rue Hélène Brion 75205 Paris cedex 13
tel : (+33) 01 57 27 80 71

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