Audrey Michaud-Dubuy et Guillaume Carazzo, volcanologues à l’IPGP, reviennent sur l’éruption de la Soufrière de l’île de Saint-Vincent, dans les Petites Antilles, qui a provoqué l’évacuation d’une partie des habitants de l’île depuis le 8 avril.

Au total, au moins 32 explosions de la Soufrière de Saint-Vincent ont été enregistrées entre le 9 et le 22 avril, avec des hauteurs de colonne atteignant 20 km. Ici, le 13 avril au matin.

© Professor Richard Robertson, The UWI Seismic Research Centre

• Comment cette éruption se manifeste-t-elle ? Et était-elle prévisible ?

L’île de Saint-Vincent est localisée dans l’arc des Petites Antilles, environ 177 km au sud de la Martinique et séparée d’elle par l’île de Ste Lucie. C’est la plus grande île de l’archipel de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, état indépendant des Petites Antilles. C’est une île d’origine volcanique, dont le seul volcan actif est la Soufrière de Saint-Vincent qui, avant 2020, a déjà connu de nombreuses éruptions magmatiques historiques.

Son histoire éruptive est caractéristique des volcans de zone de subduction avec des alternances d’éruptions à croissance/destruction de dômes de lave (1780, 1880, 1971, 1979) et d’éruptions plus puissantes produisant des colonnes riches en cendres et en gaz volcaniques (1718, 1812-14, 1902-03, 1979).

L’éruption actuelle de la Soufrière de Saint-Vincent a débuté fin décembre 2020 avec l’apparition d’un dôme de lave qui a ensuite grandi de manière assez constante entre le bord du cratère et l’ancien dôme de 1979. De décembre 2020 à mars 2021, le réseau de surveillance du volcan a été renforcé par nos collègues du Seismic Research Center de University of the West Indies (UWI, à Trinidad-et-Tobago) et du Montserrat Volcano Observatory (Montserrat) qui ont mis en place de nouvelles stations sismiques, des stations de mesure des déformations (GNSS), des caméras, et des mesures de gaz. De plus ils ont suivi la croissance du dôme à l’aide de l’analyse d’images prises depuis le rebord du cratère, à partir de survol par drone et hélicoptère, ainsi que des images satellites. Grâce à ce réseau renforcé, un changement d’activité sismique a pu être observé à partir du 23 mars, avec des séismes associés à l’extrusion du dôme détectés sur un plus grand nombre de stations, et le début d’une première crise de séismes volcano-tectoniques (VT) localisés sous le volcan à environ 5 km de profondeur, interprétés comme la conséquence de fracturation de roches, puis d’une deuxième début avril. À partir du 8 avril des épisodes de trémors (signaux sismiques correspondant à des mouvements de fluides) sont également enregistrés. Ces signes, associés à de fortes émanations de gaz en surface, à une croissance en hauteur accélérée du nouveau dôme de lave et à une augmentation de l’activité sismique, sont interprétés comme annonciateurs de la remontée rapide à faible profondeur d’un nouveau volume de magma plus riche en gaz. L’alerte rouge est donnée en fin de journée du 8 avril, et signifie le début de l’évacuation d’environ 13000 habitants situés en zone rouge et orange « aléa volcanique » sur la carte des aléas volcaniques établies plusieurs années auparavant.

Nos collègues en charge de la surveillance de ce volcan actif ont donc pu anticiper la survenue de la phase suivante, explosive, et permettre l’évacuation quelques heures avant le début des explosions et avant la tombée de la nuit.

L’expérience de l’éruption de 1979 qui avait débuté directement par une phase explosive, la bonne connaissance de l’histoire éruptive de ce volcan (déterminée par de nombreuses études de terrain faites ces dernières dizaines d’années), et l’expérience acquise dans le suivi, l’analyse et la gestion de l’éruption de Montserrat depuis 1995 ont également joué un rôle majeur dans la réussite de l’anticipation d’une transition rapide de l’éruption, d’une activité d’effusion de lave (croissance d’un dôme) vers une phase éruptive explosive majeure.

Le 9 avril, à 8h41 heure locale, le volcan entre dans une phase explosive majeure avec la production d’une colonne très riche en cendres et en gaz d’environ 8 km de haut, suivie d’une deuxième explosion à 14h45 heure locale avec cette fois une colonne plus haute. Les évacuations, compliquées par la crise sanitaire, se poursuivent en parallèle pendant toute la journée. Les épisodes explosifs se succèderont toutes les deux heures environ durant le 10 avril, puis toutes les 3-4h le 11 avril. Au total, au moins 30 explosions sont enregistrées entre le 9 et le 16 avril, avec des hauteurs de colonne atteignant 20 km. Dès le 11 avril, toute l’île de Saint-Vincent est entièrement recouverte par les cendres volcaniques dispersées par les colonnes éruptives successives. Les fortes vitesses de vent entrainent ces cendres très rapidement vers l’Océan Atlantique, ce qui va impacter l’île de la Barbade dès le 10 avril (ciel obscurci, chutes de cendres) mais également l’île de Sainte-Lucie au nord, et même légèrement la Martinique où quelques mm de cendres sont par exemple relevés par les habitants du sud de l’île à partir du 12 avril. 

Voir la chronologie détaillée de l’éruption ci-dessous.

 

• Comment cette éruption est-elle étudiée ? Que nous apprend-elle et peut-on savoir comment elle va évoluer ?

Ce type d’éruption explosive est nettement plus dangereux qu’une éruption effusive comme celle que nous observons au Piton de la Fournaise par exemple. Les observations et mesures directes sur le terrain sont ainsi difficiles pendant l’éruption et nous suivons donc cette éruption principalement à distance, grâce aux données satellites. Celles-ci permettent d’accéder à de nombreuses informations sur l’occurrence des explosions, la hauteur maximale de la colonne, la direction de dispersion des produits volcaniques et jusqu’à quelle distance, ou encore la quantité de cendres et de gaz volcaniques (notamment de soufre) injectée dans l’atmosphère. Des images radar de très haute définition ont également permis de voir à travers la colonne éruptive et de constater la disparition totale des deux dômes de lave (celui de 1979 et celui de 2020-2021) dans le grand cratère sommital (caldera) qui ont laissé place à un énorme cratère.

Les scientifiques sur place réalisent un maximum d’observations directes, comme des mesures d’épaisseurs de dépôts et des prélèvements de cendres afin d’en savoir plus sur le magma qui a nourri l’éruption. Une fois l’éruption terminée, des études de terrain plus approfondies seront menées sur le volcan pour reconstituer finement la chronologie et le volume de l’éruption.
Ce suivi en temps réel de l’éruption est primordial d’abord pour adapter les transports aériens. Il a également permis de quantifier la masse de soufre émis (qui atteignait déjà plus de 200 kT au 10 avril), et d’avoir également une première idée du volume de cendres éjecté. Ce dernier nous indique que cette éruption pourrait déjà être classifiée de VEI4 (VEI = Volcanic Explosivity Index), ce qui en fait une éruption du même ordre de grandeur que celle de l’Eyjafjallajökull en 2010 en Islande. Ces estimations seront étoffées au fur et à mesure que l’éruption progresse. La quantité de soufre émise, par exemple, est un paramètre important car c’est un indicateur du potentiel impact climatique que pourrait avoir cette éruption.

Il est impossible de savoir précisément pendant combien de temps encore la Soufrière de Saint-Vincent va continuer son éruption, mais en se basant sur son histoire éruptive passée, il est possible d’envisager que l’activité explosive se poursuive pendant encore quelques jours, voire semaines.

Puis, l’éruption pourrait s’arrêter ou bien continuer encore quelques semaines/mois par la construction d’un nouveau dôme de lave. Le scénario d’une recharge en magma et d’un regain d’activité explosive n’est pas non plus à exclure. Le suivi continu des enregistrements sismiques, des mesures de déformation et des mesures de gaz continueront de donner des indications plus précises au jour le jour.

 

• Cette éruption peut-elle avoir des conséquences sur les autres volcans de l’arc antillais ? (et notamment les volcans de Martinique et de Guadeloupe ?)

Cette éruption a déjà des conséquences sur les autres îles de l’arc antillais, de par les retombées de cendres provenant des colonnes éruptives successives produites par la Soufrière de Saint-Vincent. Mais il n’y a aucun risque que l’éruption actuelle de la Soufrière de Saint-Vincent n’en déclenche d’autres à la Martinique ou à la Guadeloupe. Tous les habitants ont dans leur mémoire collective le souvenir des éruptions de mai 1902 de la Soufrière de Saint-Vincent et de la Montagne Pelée qui se sont produites à un peu plus de 24h d’intervalle, mais c’est la seule fois dans leurs histoires éruptives respectives (longues de plus de 100 000 ans) que ces volcans sont entrés en éruption en même temps.

Nous avons de nos jours une bonne idée de la localisation, de la géométrie, et du fonctionnement des zones de stockage magmatique sous chaque volcan de l’arc antillais. Nous pouvons donc affirmer que ces volcans ne sont pas reliés entre eux. Il n’y a donc aucune relation de cause à effet entre l’activité éruptive d’un volcan et le comportement d’un volcan sur une île voisine.

 

> La chronologie détaillée de l’éruption de la Soufrière de Saint-Vincent (sources SRC, UWI)

  • fin décembre 2020 : apparition d’un dôme de lave dans le cratère sommital
  • 27 décembre 2020 : première photographie du dôme de lave
  • 19 mars 2021 : le dôme de lave atteint un volume de 13 millions de m³
  • 23 mars 2021 : un changement d’activité sismique est détecté
  • du 23 au 26 mars 2021 : crise de séismes volcano-tectoniques (VTs, interprétés comme la conséquence de fracturation de roches) localisés à 5-10 km sous le volcan et parfois ressentis par la population
  • à partir du 5 avril : détection de nouveaux VTs
  • 8 avril 2021 : détection d’épisodes de trémors (correspondant à des mouvements de fluides), fortes émanations de gaz et une croissance en hauteur accélérée du nouveau dôme de lave
  • 8 avril 2021 : Passage en alerte orange (préparation à une évacuation qui pourrait être imminente) en fin de matinée. Puis passage en alerte rouge et début de l’évacuation d’environ 13000 habitants situés en zone rouge « aléa volcanique »
  • 9 avril, à 8h41 heure locale : début de la phase explosive avec la production d’une colonne très riche en cendres et en gaz d’environ 8 km de haut
  • 9 avril 14h45 heure locale : une deuxième explosion produisant une colonne plus haute
  • 9 avril, toute la journée : poursuite des évacuations, compliquées par la situation sanitaire
  • 10, 11, 12 et 13 avril : Les épisodes explosifs se succèderont toutes les deux heures environ durant le 10 avril, puis toutes les 3-4h le 11 avril. Au total, au moins 27 explosions sont enregistrées entre le 9 et le 13 avril, avec des hauteurs de colonne pouvant atteindre 20 km. Les effondrements partiels de la colonne génèrent la mise en place d’écoulement pyroclastiques qui dévalent les pentes du volcan et se canalisent dans les vallées profondes atteignant à plusieurs reprises la mer.
  • 18 avril, 16h49 heure locale : une explosion (la 31ème au minimum) se produit après 52h sans activité explosive notable
  • 22 avril, 11h08 heure locale : une explosion (la 32ème au minimum) se produit après près de 4 jours sans activité explosive notoire malgré des périodes d’émissions de cendres ; elle génère un nouvel écoulement pyroclastique dilué et turbulent qui descend les flancs nord du volcan
  • Au 23 avril, l’éruption continue avec une activité sismique toujours importante et caractéristique de cycles de croissance/destruction de dômes de lave, ce qui laisse penser que la formation d’une nouveau dôme de lave a recommencé dans le cratère

> Sources et informations complémentaires :

  • https://twitter.com/uwiseismic
  • https://www.facebook.com/uwiseismic/?ref=page_internal
  • https://twitter.com/NEMOSVG
  • https://www.facebook.com/nemosvg/
  • http://uwiseismic.com/
  • Global Volcanism Program: Smithsonian Institution : https://volcano.si.edu/volcano.cfm?vn=360150
  • Films multi-langues éducatifs sur les risques volcaniques : https://vimeo.com/volfilm

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