Biodiversité

"L'évolution est une vitrine sur un monceau de cadavres qui n'ont pas survécu"

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Le parasitisme, bonne ou mauvaise chose pour l’évolution ? Pour le biologiste Pierre Kerner, la vie dans sa diversité ne saurait se concevoir sans les relations symbiotiques que les espèces vivantes entretiennent entre elles. Entretien réalisé lors des Utopiales 2024 de Nantes.

Des pucerons en train de se nourrir, visible sur cette micrographie électronique à balayage (MEB). Egalement appelés "mouches vertes", les pucerons se multiplient rapidement et constituent de sérieux ravageurs pour les fleurs, les légumes et certaines cultures fruitières.

STEVE GSCHMEISSNER / SCIENCE PHOTO / SGS / Science Photo Library via AFP

ENTRETIEN. Pierre Kerner est maître de conférences en génétique évolutive du développement, Université Paris Cité et l'institut Jacques Monod. Auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique et chroniqueur occasionnel pour Radio France, il s'intéresse tout particulièrement aux parasites et aux relations symbiotiques que les organismes entretiennent entre eux. Pour lui, loin d'être uniquement néfastes, les contributions des parasites sont essentielles, indissociables du vivant et repré...

ENTRETIEN. Pierre Kerner est maître de conférences en génétique évolutive du développement, Université Paris Cité et l'institut Jacques Monod. Auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique et chroniqueur occasionnel pour Radio France, il s'intéresse tout particulièrement aux parasites et aux relations symbiotiques que les organismes entretiennent entre eux. Pour lui, loin d'être uniquement néfastes, les contributions des parasites sont essentielles, indissociables du vivant et représentent un moteur de l'évolution indispensable.

Sciences et Avenir : Est-ce qu'un parasite est forcément nuisible?

Pierre Kerner : Pas du tout. Cela fait partie des idées reçues sur le parasitisme qui est une relation très répandue dans le monde vivant. Parasitos, en grec veut dire para, à côté de, et sitos, le repas. Le mot latin qu'on utilise c'est "commensal", soit "manger à côté".

Un parasite étymologiquement est donc quelqu'un qui est à côté de nous et qui ne fait pas nécessairement du mal. Le parasitisme est une facette de la symbiose avec le commensalisme et le mutualisme, des relations où les ressources sont échangées. On peut être parasité par des algues, des champignons. On peut vivre avec des micro-organismes unicellulaires, comme des archées, des bactéries ou encore des virus. Rien que dans notre matériel génétique, nous avons ainsi quatre fois plus de matériel viral que de matériel génétique qui nous est propre !

Tous ces parasites qui nous habitent n'ont donc pas d'effet négatif sur nous ?

Ce n'est pas ce que j'ai dit. Mais tout dépend des individus. Pour les personnes immunodéprimées, avec un système immunitaire faible, certains de nos parasites sont problématiques. Comme le toxoplasme par ex. un protozoaire qui infecte en gros la moitié de l'humanité mais qui n'a pas d'effet majeur avéré sur la majorité d'entre nous. Sauf pour les personnes atteintes du Sida par exemple, qui ne meurent pas du virus mais souvent de la toxoplasmose.

On doit à des virus l'évolution des mammifères

Pour les femmes enceintes également, ce parasite est un gros problème car il peut affecter un fœtus dont le système immunitaire n'est pas encore fonctionnel. Mais, d'un autre côté, c'est aussi un parasite, un endovirus intégré dans notre génome depuis des centaines de milliers d'années, qui permet de diminuer localement la réaction immunitaire et au placenta de ne pas être rejeté par la mère.

Et ce qui est fascinant, c'est que ce processus s'est répété plusieurs fois au cours de l'évolution. Chez plusieurs espèces de mammifères, chez des lézards placentaires, d'autres virus que celui présent chez l'espèce humaine aident à la fusion des cellules entre elles et ont joué un rôle avéré dans la formation du placenta.

Ce sont donc à des parasites que nous devons notre existence ?

Typiquement, en matière des symbioses qui nous ont conféré notre identité, les exemples sont innombrables. Notre matériel génétique est contenu dans un noyau à l'intérieur d'une cellule composée d'autres structures comme par exemple les mitochondries - les centrales énergétiques de nos cellules - qui sont des anciennes bactéries. Et les chloroplastes chez les plantes, ce sont des cyanobactéries. Nos noyaux, on pense qu'ils sont l'héritage d'un autre microbe, les archées. En tout, nos cellules sont un vestige d'écosystèmes de divers micro-organismes. 

Existe-t-il des formes de parasitismes qui incluent plus de deux acteurs ?

Oui, c'est ce que l'on appelle l'hyperparasitisme, comme des poupées russes de différents acteurs impliqués les uns dans les autres. Et c'est très courant d'avoir des relations instables à l'échelle évolutive entre partenaires qui à un moment donné sont parasites puis deviennent commensaux, voire mutualistes au fur et mesure des générations. Les exemples que je trouve le plus frappant, ce sont les guêpes parasitaires.

Des guêpes qui sont les aliens d'autres guêpes

Ce sont très souvent des guêpes qu'on appelle parasitoïdes parce que leur action aboutit à la mort de l'hôte. Pour cela, les guêpes pondent un œuf ou une larve dans l'hôte. Et ceux-ci vont pomper lentement tous les fluides vitaux de l'hôte puis s'en extraire pour redonner des guêpes. C'est d'ailleurs une des sources d'inspiration du film Alien...

Énormément de guêpes parasitaires peuvent pondre dans la même larve, entraînant une compétition. Certains œufs se développent pour donner des larves de guêpes normales qui ont leurs cycles parasitaires. D'autres deviennent des larves soldats qui se battent contre d'autres larves qui ont été pondues dans le même hôte.

L'hyperparasitisme, ce sont par exemple des guêpes qui deviennent spécifiques des larves de guêpes parasites ! On est donc là dans un niveau d'intrication parasitaire assez faramineux, face à des guêpes qui attendent qu'une larve de chenille soit parasitée pour pondre non pas directement dans la chenille mais dans la larve de guêpe qui se trouve dans la chenille !

A vous entendre, l'évolution ressemble à une guerre où tous les coups sont permis!

En tout cas, c'est une course à l'armement qui ne peut jamais s'arrêter sous peine de mourir. L'évolution est une sorte de vitrine sur un monceau de morts, de cadavres d'organismes qui n'ont pas fonctionné ou pas survécu. En biologie évolutive, on emploie comme image celle de la reine rouge de Alice au pays des merveilles (À travers le miroir). Cette dernière et la reine se lancent dans une course effrénée pour rester au même point.

Une course évolutive à l'armement sans fin

Cette course de la reine rouge ne va pas dans le sens d'un progrès en particulier. Un organisme est résistant à un moment donné aux variants pathogènes du moment. Mais, ça ne lui garantit absolument pas la possibilité d'être mieux armé pour le variant qui va apparaître d'ici 15, 20 générations. Notre système immunitaire c'est ce chantier de course à l'armement qui existe depuis des générations et qui fait en permanence l'objet d'une sélection féroce. 

Et cette métaphore de la reine rouge nous permet de prendre un peu de recul sur les mécanismes qui génèrent de la diversité génétique. Et de comprendre le pourquoi de la reproduction sexuée.

En effet, au contraire du clonage qui conserve l'intégralité du matériel génétique, la reproduction sexuée occasionne un brassage génétique. Ce qui ne semble pas très logique ni efficace d'un point de vue évolutif.

La reproduction sexuée existe grâce aux parasites

On aurait tendance à envisager que les organismes doivent se reproduire à l'identique avec le moins de variations possibles et une fidélité importante de leur bagage génétique. Mais, en fait, cette fidélité pose problème face aux pathogènes.

On le voit très bien avec nos monocultures ou des crises comme le mildiou. Uniformiser une population aboutit à des catastrophes face aux maladies. Au contraire, y résister nécessite le plus de diversité possible. Et ce brassage génétique de la sexualité, on le doit aux parasites. Il ne faut jamais cesser de courir, courir pour demeurer dans la course aux armements effrénée de l'évolution.