Yves Boucher, PU-PH à l’UFR d’Odontologie et au sein du service d’Odontologie de la Pitié Salpêtrière, propose une consultation centrée sur les douleurs orofaciales chroniques depuis maintenant une vingtaine d’année. Il est également directeur du LabNOF.
Le Laboratoire de Neurobiologie Orofaciale – LabNOF – a pour objectif de comprendre les mécanismes de la douleur orofaciale et de proposer des thérapeutiques nouvelles. Un sujet peu commun et pour lequel les spécialistes sont rares.
Pourquoi la thématique de la douleur ?
« C’est l’expérience des patients qui a été le facteur déclenchant. Lors de mes premières expériences professionnelles, j’ai été confronté à des patients dont on n’arrivait ni à traiter, ni à comprendre les douleurs. Ma curiosité n’est pas venue d’un évènement personnel ou familial mais de ces rencontres. J’étais d’autant plus intrigué que lors de mes études, l’enseignement de la douleur était très peu développé. Schématiquement, j’avais appris que la douleur était liée à l’inflammation mais cela n’allait guère au-delà. C’est en assistant à une conférence du directeur de recherche INSERM, Jean-Marie Besson que j’ai réalisé qu’on en savait beaucoup plus, notamment sur le plan biologique et neurophysiologique et c’est ce qui m’a donnée envie d’approfondir ma compréhension du domaine. Enfin, il y avait aussi un intérêt philosophique. La douleur est à l’interface avec les grands sujets existentiels : la souffrance, l’Évolution, la conscience, la religion… Je me suis dit que ce sujet m’intéresserait toute ma vie».
Création du Laboratoire de Neurobiologie Orofaciale – LabNOF
L’année 2018 a été un tournant professionnel. Engagée jusque-là principalement dans la recherche des mécanismes biologiques de la douleur et du goût, l’équipe de recherche du professeur Boucher, avec notamment les professeurs Adeline Braud, Nathan Moreau et Wisam Dieb, a décidé de transférer ses connaissances fondamentales à la recherche clinique. Le Laboratoire de Neurobiologie Orofaciale – LabNOF – a été labellisé Équipe d’Accueil par l’Université Paris Cité en 2019, après l’évaluation favorable du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres).
Les recherches du laboratoire portent principalement sur l’évaluation clinique des troubles de la sensibilité orale, douloureuse et gustative, et de leurs conséquences sur les fonctions orales et la qualité de vie. Ces troubles sensitifs ont des effets parfois dévastateurs, non seulement sur la qualité de vie individuelle du fait des sensations désagréables, mais également, du fait de leur impact sur l’alimentation, les relations affectives et professionnelles. Embrasser, manger ou parler deviennent pénibles. De nombreux patients développent des troubles anxio-dépressifs .
Ces problématiques sont globalement peu prises en compte. Il n’existe, par exemple, pas de consultation centrée sur les troubles du goût en France alors que de nombreux patients sont affectés et se retrouvent en situation d’errance thérapeutique. La consultation ouverte sur le site de La Pitié Salpêtrière répond à ce besoin. C’est également un premier lieu de contact entre les patients et l’équipe du laboratoire, qui formée aux connaissances fondamentales et à la clinique, développe des programmes de recherche spécifiques.
Deux champs de recherche principaux
Le LabNOF s’intéresse particulièrement aux douleurs neuropathiques post-traumatiques, qui résultent d’un dysfonctionnement du système nerveux. Elles peuvent survenir par exemple après une opération chirurgicale comme une extraction dentaire ou un « simple » traitement de racines. Ce sont des douleurs aux mécanismes particuliers.
L’équipe a publié une série de travaux sur le rôle de l’homéostasie nerveuse dans le développement des douleurs neuropathiques. Schématiquement, les neurones sont toujours isolés des vaisseaux sanguins par une barrière qui les protège des molécules et cellules sanguines potentiellement néfastes. Lors de lésions, l’étanchéité de cette barrière est rompue, ce qui entraîne l’infiltration de molécules algogènes et de cellules immunitaires, et favorise l’apparition de douleurs neuropathiques.
Un des projets actuels du laboratoire est l’étude des effets de la toxine botulique sur ces douleurs. Une étude clinique, randomisée en double aveugle intitulé Trigtox est en cours de réalisation dans le cadre d’un Programme Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC) National.
Le LabNOF s’intéresse également à l’impact des altérations sensitives sur les fonctions orales. S’il est évident que la perte des dents empêche mécaniquement de manger correctement, la contribution liée à la perte des informations sensitives véhiculée par les dents est moins connue. Les travaux de l’équipe, en collaboration avec le Dr Annick Faurion, ont montré par exemple que la perte des dents modifiait la sensibilité gustative. D’autres travaux de recherche documentent les effets des pathologies et/ou pertes dentaires sur le fonctionnement général de l’organisme, dont certaines s’exercent via des altérations de structures cérébrales spécifiques. L’équipe souhaite développer un projet de plus grande ampleur permettant l’évaluation de la sensibilité orale et des troubles de cette sensibilité orale sur le fonctionnement général.
Une formation en neurobiologie clinique au sein de l'UFR
« Au moment de la création du LabNOF, nous avons discuté l’opportunité de proposer une formation universitaire de Master adossée au laboratoire avec la direction de l’UFR qui nous a encouragé.
L’équipe s’est donc lancée dans l’aventure et nous avons créé un parcours douleurs orofaciales dans le Master Santé d’Université Paris Cité. Notre objectif est double : d’une part former des cliniciens spécialisés dans les douleurs orofaciales difficiles, en donnant un éclairage sur leur physiopathologie complexe et leur spécificité de traitement ; et d’autre part, former des praticiens à la recherche dans le domaine de la douleur orofaciale afin de mieux la comprendre, et mieux la combattre.
En effet, certaines douleurs ne sont pas prises en charge de façon satisfaisante dans les cabinets dentaires. Les étudiants, tout au long de leur cursus d’étude en odontologie, ont une formation à la douleur qui concerne principalement les douleurs aigües parodontales, endodontiques, chirurgicales, articulaires d’origine inflammatoire. Mais, l’odontologiste est confronté à de nombreuses autres douleurs, musculosquelettiques, céphalées, idiopathiques etc. qui ont des expressions cliniques, des mécanismes propres et demandent une prise en charge également spécifique, donc une expertise particulière. L’enseignement de Master vient donc compléter l’enseignement de 2nd cycle pour répondre aux demandes et besoins des patients et promouvoir la recherche dans ce domaine. »
Pour aller plus loin
Biographie du Pr Yves Boucher
Yves Boucher, PU-PH, UFR d’Odontologie d’Université Paris Cité et La Pitié Salpêtrière, est diplômé de l’UFR d’Odontologie de l’Université de Bordeaux.
Après un exercice libéral de quelques années, il obtient un DEA (ex master 2) en Neuroendocrinologie dans le laboratoire du Dr Bernard Duffy et souhaite poursuivre sa spécialisation en neurosciences sur la douleur. Il s’adresse au laboratoire de Jean Marie Besson, qui dirigeait alors une unité Inserm portant sur la physio pharmacologie de la douleur à Paris et y fait la rencontre du Pr Jean Azérad qui lui propose de faire une thèse sur la « caractérisation des neurones nociceptifs impliqués dans la douleur dentaire», dans le laboratoire de Physiologie de la Manducation, au sein de l’équipe de Neurophysiologie du Collège de France dirigé par le Pr. Yves Laporte. Ils développeront alors, pendant vingt ans, comme d’autres équipes, telles que celle d’Alain Woda et Radhouane Dallel à Clermont Ferrand, la recherche en neurosciences dans le domaine spécifique des douleurs faciales aigües et/ou chroniques. Cette activité de recherche s’est effectuée parallèlement aux activités d’enseignement à l’UFR d’Odontologie de Garancière.
Le laboratoire déménagera ensuite à Jussieu, au Centre de Recherche de l’Institut Cerveau Moelle, à la Pitié Salpêtrière, puis au centre Centre de Psychiatrie et Neurosciences adossé à de l’hôpital Sainte Anne. C’est là qu’il a pu développer, en collaboration avec Michel Pohl et Luis Villanueva, des modèles de douleur neuropathique. Ses travaux ont fait l’objet de nombreuses publications.
Yves Boucher a par ailleurs effectué suivi 2 séjours sabbatiques aux États-Unis, à l’Université de Californie, Davis, dans le laboratoire du Pr. Eurl Carstens où il a étudié plus particulièrement les mécanismes d’irritation orale et leur interaction avec les stimuli gustatifs. L’objectif était de réaliser des modèles de recherche d’interactions trigémino-gustatives susceptibles d’expliquer la pathologie humaine, notamment dans le cas d’affections se traduisant à la fois par des sensations douloureuses orales et des troubles du goût.
Le professeur Boucher est également amateur de dessin et de peinture. Il a d’ailleurs dessiné le logo de son laboratoire.