Florence Mourlhon-Dallies partage un extrait de sa recherche en cours.
S’occuper dans un rayon d’1km en période de confinement COVID n’est pas chose aisée quand on a l’habitude de mener des recherches de terrain et de marcher plusieurs heures par jour. Heureusement, la pratique de recherche qui consiste à photographier les écriteaux, affiches, graffitis et panneaux dans l’espace public urbain nous a permis de rebondir.
En nous inspirant de la Linguistic Landscape Analysis (Analyse des Paysages Linguistiques), nous avons pu réunir entre avril et mai 2020 un ensemble de 450 photographies d’affichettes et annonces de fermeture de commerces pour cause de pandémie, dans le périmètre de la gare Saint-Lazare à Paris. Cet ensemble photographique testimonial de l’épisode COVID-19 ouvre de nombreuses perspectives de recherche.
En parcourant tous ces clichés pendant ce mois de mai, nous avons pu y voir :
- Un certain reflux de l’adressage en langues étrangères dans cette période « sans touristes », alors que l’espace public parisien est d’ordinaire traversé de multiples langues ;
- Une très grande variabilité discursive dans la mise en mots de l’interdiction de rester ouverts tout comme dans la formulation de l’incertitude à propos de la durée de la fermeture ;
- Une panoplie d’arguments récurrents tendant à justifier la situation ou à la rendre plus tolérable (dont celui de la préservation de la santé) ;
- Une panoplie d’arguments récurrents tendant à justifier la situation ou à la rendre plus tolérable (dont celui de la préservation de la santé) ;
Une grande créativité quant aux supports des annonces de fermeture (page arrachée d’un carnet, dessin sophistiqué, set de table bistrot, panneau électronique) ;
- Une panoplie d’arguments récurrents tendant à justifier la situation ou à la rendre plus tolérable (dont celui de la préservation de la santé)
- A enfin émergé une sorte de poétique du confinement, ce que nous avons appelé « l’effet Pompéi », comme si l’activité s’était brusquement stoppée, laissant offertes aux yeux de tous des traces de l’ancienne vie (panneaux du premier tour des élections municipales, campagnes promotionnelles des grands magasins ayant lieu en mars, invitation à faire la fête alors que les regroupements étaient interdits).
On voit là que la Linguistic Landscape Analysis est bien plus qu’un sous-courant de la sociolinguistique urbaine. La prise de clichés photographiques, notamment en période de crise, permet d’orienter la recherche en direction de multiples disciplines : multilingual studies, sémiotique, mercatique (avec l’analyse des politiques de marques et de la relation client), géographie sociale au travers de l’étude des écrits-icônes urbains selon les quartiers. Plus évidents encore sont les liens avec l’analyse du discours dans son volet argumentatif. Enfin, une forme de poétique de la ville, pouvant donner lieu à des prolongements plus artistiques, émerge au fil des clichés d’un monde à l’arrêt.
Convaincue de la richesse du premier corpus récolté, nous lançons maintenant, avec le soutien du GRIP et de tous ses partenaires, un appel à recherche participative, pour étendre la pratique photographique dans les pays encore confinés, et particulièrement les pays du Sud. L’appel en question figure juste à la fin de ce billet.
D’autres billets suivront, diffusés dans le présent carnet. Ils mettront davantage l’accent sur certains axes de recherche possibles, en développant les ancrages notionnels et bibliographiques qui conduisent l’interprétation. En attendant, nous livrons un bouquet de citations et quelques photographies, permettant de s’imprégner de l’esprit dans lequel nous avons travaillé.
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