Quand :
21 septembre 2023 @ 14h00 – 22 septembre 2023 @ 17h30
2023-09-21T14:00:00+02:00
2023-09-22T17:30:00+02:00
Où :
Auditorium MS 001, Manufacture des Tabacs, Université Toulouse Capitole
21 Rue de Brienne 31000 Toulouse
Coût :
Gratuit
Contact :
Lucille Santos

S’appuyant sur le principe de la séparation des pouvoirs, nos régimes démocratiques contemporains n’en semblent pas moins, aujourd’hui, tous souffrir des mêmes maux : une concentration des pouvoirs aux mains de l’exécutif, accompagnée d’une personnalisation du pouvoir autour de la figure d’un chef, qu’il s’agisse du chef de l’Etat ou du chef de gouvernement.

Autrement dit, la séparation des pouvoirs, dans ses concrétisations de droit constitutionnel positif, ne parvient pas à contrebalancer la tendance naturelle du régime démocratique, telle qu’elle s’est révélée dès l’origine de son étude, à savoir la concentration du pouvoir aux mains d’un seul. Aristote dénonce ainsi le risque couru par les démocraties du fait des démagogues. Le pouvoir donné au peuple laisse entrevoir le possible développement de démagogues et donc de leaders charismatiques [1]. Dans son analyse de la succession des régimes, Platon considère que c’est la tyrannie, et donc la remise du pouvoir à un seul homme, qui est le régime qui succède à la démocratie du fait du pervertissement de ce dernier régime [2]. Par naturel le régime démocratique semble contenir en lui-même les germes de son extinction.

Personnalisation du pouvoir comme simple crise ou problème structurel lié au régime démocratique, concentration des pouvoirs aux mains d’un seul, face à l’illusion de la séparation des pouvoirs, la part de chaque élément dans l’équation complexe menant à l’échec de nos régimes démocratiques contemporains reste à déterminer.

Sous l’angle de la démocratie, il faut sans doute rechercher l’origine du mal dans le mécanisme de représentation des gouvernés dans les gouvernants. Il s’agit là d’un phénomène inéluctable issu de la nécessité de résoudre un paradoxe structurel : le peuple souverain ne peut concrètement exercer le pouvoir. Cette représentation, inéluctable, suppose une autre exigence, celle de la dépersonnalisation nécessaire du pouvoir dans son exercice, comme l’énonce l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, par exemple. C’est bien sûr de cette première articulation entre représentation & dépersonnalisation que découle l’organisation constitutionnelle du pouvoir dans les systèmes démocratiques modernes.

Connu de tous, ce théorème est complexe, en pratique, à mettre en œuvre en raison du paradoxe de la nécessaire incarnation de ce pouvoir figuré par les représentants. La dépersonnalisation du pouvoir génère un besoin de concrétisation de la figuration idéelle de la Nation dans la personne d’un ou des représentants, pour recréer le lien entre le souverain et ses représentants d’une part, et assurer ainsi le processus de justification nécessaire du commandement exercé par les gouvernants d’autre part. Il s’agit d’une première tension entre la dépersonnalisation qu’exige la construction démocratique du pouvoir et la concrétisation dans une personne que son exercice sollicite pour des raisons de légitimité. Cette tension parfaitement assumée dans les démocraties modernes s’est manifestée par un mouvement de personnalisation du pouvoir depuis près d’un siècle, dans les régimes de nature présidentiel et parlementaire. Elle a même été présentée comme une amélioration du système politique en ce qu’elle participe à renforcer le mécanisme de légitimation des gouvernants vis-à-vis des gouvernés. Elle revêt néanmoins une acuité plus forte encore au regard de l’évolution de certaines démocraties constitutionnelles qui dérivent en « démocratures » ou qui sont marquées par le populisme. Répondant de conditions complexes, cette mutation réinterroge les classifications des régimes politiques, et l’essence même des projets qui définissent désormais les démocraties modernes.

Sous l’angle de la séparation des pouvoirs, le principe de la nécessaire séparation des fonctions de souveraineté, qui doivent demeurer réparties entre plusieurs organes constitutionnels, structure le constitutionnalisme moderne, depuis que Montesquieu rappela combien, pour la liberté politique, « tout serait perdu si » cette division venait à disparaître au sein des Etats. Néanmoins, en pratique, la mise en œuvre de cette exigence a toujours été extrêmement difficile, oscillant entre un constat dans l’analyse du phénomène, celui de la difficulté de catégorisation des différentes concrétisations du principe et donc d’une conceptualisation pertinente à même de rendre plus intelligible la mise en œuvre pratique du principe de séparation des pouvoirs, et une fatalité dans la pratique des régime, celle d’un mouvement constaté, voire assumé, de centralisation des pouvoirs au profit d’un seul organe. Revendiquée comme une des manifestations de l’évolution du fonctionnement de la démocratie, à l’instar de la vulgate constitutionnelle justifiant la présidentialisation de la Vème République, la concentration du pouvoir est désormais devenue l’une des manifestations consenties du bon fonctionnement des institutions, quitte à ouvrir peut-être les conditions constitutionnelles d’une nouvelle génération de césarisme démocratique.

Deux des piliers de nos régimes contemporains, la démocratie et la séparation des pouvoirs, sont ainsi mis en échec par la personnalisation et la concentration des pouvoirs, ce qui ne doit pas manquer d’interroger la doctrine constitutionnelle contemporaine. Au moment même où nos régimes libéraux démocratiques semblaient devoir pouvoir l’emporter, après s’être une ultime fois améliorés en intégrant la justice constitutionnelle au sein des ordres juridiques, ils se singularisent par des retours en arrière selon des logiques qui relèvent, sans doute, au-delà de la pathologie, des problèmes consubstantiels à la mise en œuvre pratique des valeurs mêmes qui sont défendues, qu’il s’agisse de la démocratie ou de la séparation des pouvoirs. En effet, la concrétisation des exigences démocratiques peut-elle échapper à un mouvement de personnalisation du pouvoir ? La mise en œuvre dans les systèmes constitutionnels des mécanismes de séparation des pouvoirs permet-elle efficacement de faire obstacle à une concentration des pouvoirs ?