Chaque année universitaire, le Centre des Politiques de la Terre questionne les effets de ses termes – « centre », « politiques » et « terre » – et de leurs chaînes d’interdépendance en organisant mensuellement des séminaires interdisciplinaires – invitant des scientifiques extérieur.e.s au Centre et issu.e.s des sciences naturelles et expérimentales & des sciences humaines et sociales – sur une problématique particulière. Chacune des séries de séminaires du Centre se conclut avec un colloque convoquant des jeunes chercheur.se.s extérieur.e.s au Centre à présenter leur propre recherche sur la problématique travaillée pendant l’année.

© Thomas Cuelho

 

Habitabilités

 

Le cycle de séminaire de l’année universitaire 2022/2023 est consacré aux formes hybrides d’habitabilité de la Terre soit à la manière dont les humain.e.s tendent à s’approprier leurs environnements pour les transformer en des « milieux de vie » (urbains, ruraux, montagnards, aquatiques, etc.), au cours de co-transformations en perpétuel renouvellement mettant aux prises matières, actions et symboles.

Le milieu habitable est celui qui permet à l’humain de l’occuper durablement, d’y aménager son habitat, d’y établir des relations, ou encore d’accéder aux ressources nécessaires à sa vie. À ce titre, il dépasse largement le seul règne humain et inclut l’air, l’eau, la terre mais également le carbone, l’azote, l’oxygène, le phosphore, ainsi que, sous une autre perspective, les autres organismes (depuis les bactéries aux animaux en passant par les plantes et les minéraux). Autant d’éléments, d’acteur.trice.s et de processus qui entrent en interaction à différentes échelles et qui relient activement les milieux les uns aux autres au sein de chaînes d’actions, de rétroactions et d’interdépendances encore trop mal comprises. L’habitabilité a ainsi pu être envisagée comme le produit d’une Terre conçue tel un système géophysiologique autorégulé – à l’instar de l’hypothèse Gaïa formulée par James Lovelock. Or, la crise sociale et environnementale contemporaine, ainsi que l’effondrement de certains milieux sous l’effet des activités humaines, nous montrent les limites d’une conception abstraite et uniforme de l’habitabilité. Le concept de « Zone Critique » permet ainsi d’envisager le milieu habitable du vivant comme une fine pellicule de la Terre, s’étendant des sols à la basse atmosphère, et de penser les multiples interconnexions physiques, chimiques et biologiques entre ces composantes. En ce sens, il invite à considérer l’ensemble des processus participant de l’habitabilité des milieux en relocalisant et territorialisant les grands cycles biogéochimiques longtemps envisagés à la seule échelle planétaire et isolés par rapport au vivant.

En outre, l’habitabilité des milieux est située, circonscrite par des « limites » planétaires, conditionnant leur maintien, leur évolution ou encore leur réfraction dans le temps et l’espace. Loin de constituer un concept figé, la notion de limite invite ainsi à envisager les transformations des milieux au-delà de l’habitable, depuis les milieux dégradés aux ruines, et aux environnements durablement pollués ou contaminés. Elle renvoie également au franchissement des points de bascule (tipping points) à différentes échelles, aux temporalités critiques et aux stratégies d’adaptation des êtres vivants face à des opportunités et des contraintes changeantes. La notion d’habitabilité constitue alors une façon de problématiser la crise sociale et environnementale en prenant en considération la diversité des trajectoires selon les territoires et les inégalités en matière de ressources. Par ailleurs, ces habitabilités et inhabitabilités apparaissent aujourd’hui comme largement produites, mises à l’agenda ou passées sous silence, par des formes de gouvernance plus ou moins locales de l’environnement. À bien des égards, elles reflètent autant les systèmes de pouvoir et l’organisation socio-économique des communautés humaines que les dynamiques complexes des grands cycles planétaires, ces derniers n’apparaissant plus comme un cadre donné et immuable à l’heure de l’Anthropocène.

Dès lors, ce cycle de séminaires vise à associer et à confronter différentes perspectives sur les milieux habitables et habités par les humain.e.s, notamment dans leurs interactions entre eux.elles et avec d’autres formes de vie. Au-delà d’une interrogation sur les limites planétaires, il s’agit de prolonger le questionnement sur les dynamiques, les acteurs, les éléments et les formes des milieux rendus inhabitables – ou en passe de l’être. L’on pourra aussi discuter les échelles pertinentes pour décrire et analyser des formes d’(in)habitabilité. Une telle démarche s’efforce d’établir un dialogue entre des sciences qui s’intéressent aux dynamiques bio-physico-chimiques, et d’autres qui se sont spécialisées dans la manière dont l’humain habite le monde ; entre celles ayant fait des systèmes leur cadre d’analyse, et d’autres privilégiant les formes de l’expérience et la description dense. Dans cette perspective, l’habitabilité nous paraît constituer un objet heuristique car commun à différentes disciplines et permettant de faire dialoguer les échelles. Au-delà de l’objet, il vise aussi à mettre à jour et à renouveler les méthodologies d’analyse, en vue de poursuivre l’effort engagé par les cycles de séminaires interdisciplinaires du Centre des Politiques de la Terre. Enfin, il sera question de mettre en évidence les formes de gouvernance des milieux, qu’ils soient habitables ou inhabitables, en vue de réinterroger la place de l’action publique dans les évolutions que connaît notre planète et les enjeux soulevés en matière d’inégalités et de justice socio-environnementale. La production de connaissances, tout comme les représentations et les imaginaires, ou encore les multiples formes d’engagement individuel et collectif, se trouvent au cœur de la transformation des modes d’habiter durablement la Terre.

 

Pour revoir les sessions des séminaires :

 

Détails du cycle 2022/2023

 

Session 1

Habitabilités et limites planétaires

Rencontre entre le professeur d’études environnementales David Kanter (New York University) et le docteur en sciences économiques et ingénieur en agriculture Bruno Dorin (CIRAD, CIRED) animée par le physicien modélisateur Cédric Gaucherel (INRAE).

 

Session 2

Frottements d’échelles

Rencontre entre l’anthropologue Nathalie Ortar (LAET) et l’hydroclimatologue Thierry Lebel (IGE – CNRS, IRD, Université Grenoble-Alpes) animée par la géographe Sylvie Fanchette (IRD).

 

Session 3

Le changement climatique et ses impacts sur la santé

Rencontre entre la chercheuse en sciences humaines à l’Institute of Global Health Sandra Barteit (Heidelberg University), le géographe au Center for Remote Sensing of Land Surfaces Jonas Franke (Rheinische-Friedrich-Wilhelms-University) et le professeur du Climate Change and Health à l’Heidelberg Institute of Global Health Rainer Sauerborn animée par la directrice du Centre Virchow-Villermé de Santé Publique Paris-Berlin et membre du bureau du Centre des Politiques de la Terre Anneliese Depoux (Université Paris Cité).

 

Session 4

Interdisciplinarité, données et modèles

Rencontre entre la sociologue de l’environnement Isabelle Arpin (LESSEM – INRAE) et le physicien modélisateur Cédric Gaucherel (INRAE) animée par la géographe et directrice du Centre des Politiques de la Terre Nathalie Blanc (LADYSS).

 

Session 5

Inhabitabilités et remédiation

Rencontre entre l’anthropologue Florence Ménez (UMR 6308 AMURE, UBO-Cnrs-Ifremer, UMR 8053 LC2S UA-Cnrs, Fondation de France) et le médecin Thierry Le Brun (CHU Martinique) animée par l’anthropologue et membre du Centre des Politiques de la Terre Sandrine Revet (CERI, Sciences Po). Il.elle.s présenteront le projet SaRiMed portant sur l’échouement des sargasses (algues brunes du Nord-Est des Antilles) en Martinique et à Marie-Galante.

 

Session 6

Habitabilités et Anthropocène

Rencontre entre le paléontologue et ancien directeur de l’Anthropocene Working Group Jan Zalasiewicz (department of geography and geology, Leicester University) et le sociologue Bronislaw Szerszynski (department of sociology, Lancaster University) animée par le géochimiste et membre du Centre des Politiques de la Terre Jérôme Gaillardet (OZCAR, IPGP).

 

Session 7

Habitabilités et gouvernance des milieux

Rencontre entre le biogéochimiste marin et responsable du Réseau Zones Ateliers Olivier Ragueneau (CNRS, LEMAR) et des membres du Centre des Politiques de la Terre, Nathalie Blanc, Bernard Reber, Sandrine Revet et Richard Balme, animée par le membre du Centre des Politiques de la Terre et géochimiste Jérôme Gaillardet, autour de la responsabilité scientifique dans des dispositifs de recherche transdisciplinaires visant la transformation écologique des territoires. Cette rencontre interrogera ce faisant les asymétries épistémologiques et de pouvoir qui structurent les relations entre les acteurs de ces dispositifs.

 

Session 8

Habitabilités et « Justice ! » : Résistances multispécifiques aux Big Pharmas

Rencontre entre la biochimiste et cofondatrice d’Open Insulin Foundation Louise Lassalle et l’anthropologue des sciences et de la santé Charlotte Brives (CNRS, Centre Émile Durkheim), animée par le biologiste spécialisé en diabète et obésité et membre du bureau du Centre des Politiques de la Terre Christophe Magnan (Université Paris Cité), autour des manières dont l’accès à la santé pour tou.te.s est aujourd’hui remis en cause par l’organisation de la production du médicament et des formes de résistances impliquant médecins, scientifiques et juristes mais aussi protéines et virus en lutte pour une démocratisation de la production et de l’accès aux médicaments.

Ce cycle de séminaires a été coordonné par Romain Leclercq, Justine Rives et Anne-Sophie Milon.

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