Colloque international organisé par l’IRCAV (Université Sorbonne Nouvelle), le LERMA (Aix-Marseille Université) et le CERILAC (Université Paris Cité) les 23-25 juin 2025.
Keynotes : Thomas Y. Levin (Princeton University) et Catherine Zimmer (Pace University)
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Si la surveillance a d’abord concerné le droit et la philosophie, des Lettres Panoptiques de Jeremy Bentham (1786) à Surveiller et punir de Michel Foucault (1975) ou, plus récemment, chez Michael Fœssel (État de vigilance, 2016) ou Shoshana Zuboff (The Age of Surveillance Capitalism, 2019), l’omniprésence multimodale de la pratique ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives théoriques et critiques. À mesure que s’élargissent les modalités d’un pouvoir reposant sur un déséquilibre entre voir et être vu, et que cette dimension visuelle se fait de plus en plus métaphorique, la surveillance occupe et préoccupe le champ du réel. Sa légitimité, par exemple, pose des problèmes de nature juridique, éthique, et idéologique. L’enjeu n’est plus simplement de limiter ou de comprendre l’extension du périmètre couvert par les caméras, mais de multiplier les approches disciplinaires pour mieux mesurer les enjeux de cette surveillance que l’on décrit parfois, par raccourci, comme globale et totale.
En plus d’un enjeu politique considérable, l’essor des motifs et des mises en scène médiatiques de la surveillance en font aujourd’hui un enjeu culturel et imaginaire à part entière. Dans ce but, ce colloque prendra pour point d’entrée l’imaginaire de la surveillance, construction culturelle dont l’analyse impose l’interdisciplinarité. Dans ce cadre, le cinéma joue un rôle évidemment central. En tant que dispositif de capture par l’image et le son, il entretient des liens privilégiés avec le regard surveillant. Par ressemblance technologique d’abord autour de l’objet caméra, mais aussi au prisme d’un paradigme étendu qui conçoit la capacité des techniques à mesurer, visualiser, et comprendre les activités humaines et non-humaines par leur représentation (audio-)visuelle. Ce paradigme comprend ainsi un large éventail technologique au sein duquel s’articulent pouvoir et représentation : dispositifs d’observation médicale, anthropométrie et photographie judiciaires, appareils de vision nocturne et thermique, algorithmes de reconnaissance faciale.
Si le champ anglo-américain des surveillance studies s’est attelé, depuis une vingtaine d’années, à cartographier les interactions entre discours, techniques et représentations du contrôle, ces problématiques trouvent aujourd’hui d’importants échos en France (voir notamment Les théories de la surveillance, Olivier Aïm, 2020). Cependant, les monographies consacrées par des chercheurs français aux rapports entre cinéma et surveillance restent rares, depuis Surveillance on Screen. Monitoring Contemporary Films and Television Programs de Sébastien Lefait (2013).
Pourtant, la production cinématographique et audiovisuelle mettant en scène le contrôle abonde. La projection d’une surveillance totalitaire est un fait à l’écran, sans que l’on mesure toujours le décalage entre ces représentations et l’état des sociétés dites “de l’écran”. Des œuvres de la seconde moitié du vingtième siècle explorent l’attrait spectaculaire de la surveillance, du Diabolique Docteur Mabuse (Fritz Lang, 1960) à la franchise Jason Bourne (2002-2016). Mais dès la fin du dix-neuvième siècle, le cinéma des premiers temps s’est emparé de thèmes liés à la surveillance et aux imaginaires qu’elle suscite (voyeurisme, espionnage, costumes et travestissements). De plus, aujourd’hui, la prolifération de techniques du regard surveillant offre à bon nombre d’artistes une invitation au détournement des codes audiovisuels classiques. La haute et la basse définition (Somaini et Casetti, 2021), les esthétiques du flou (Beugnet, 2017), le remploi (Blümlinger, 2013), mais aussi la militarisation du regard (Virilio, 1988 ; Chamayou, 2012) et l’automatisation de la perception (Farocki, 2002) forment actuellement des pistes d’exploration d’une sensibilité autre, véhiculée par le riche imagier du contrôle visuel mais dégagée du régime de la preuve. De nombreuses œuvres détournent ainsi l’image de surveillance pour en exprimer la dimension approximative, c’est-à-dire la puissance plastique, composite, hétérogène. Ce paradoxe sape les frontières du cinéma, de l’art vidéo et de l’art plastique. Plus encore, aujourd’hui, la question de l’intelligence artificielle brouille les frontières entre texte et image, entre optique et non-optique. Au centre de ces investigations, l’image numérique, matière première de la surveillance contemporaine, s’offre à d’importants détournements, notamment dans sa dimension algorithmique, aux confins du signe et du code. Son usage en tant qu’image « performative » et « interactive » au cœur notamment des créations scéniques et théâtrales, soulève également des réflexions techno-critiques (Globale Surveillance, texte et mise en scène : Eric Sadin, 2012), déployant les interrogations sur l’ « imagerie » de la surveillance sur internet (la comédie Surveil, texte : Hip.Bang ! et mise en scène : Marie Farsi, 2018).
De plus, la surveillance se déploie sur une temporalité singulière, entre la fulgurance de l’image qui fait preuve et la temporalité de la boucle ou le temps continu de l’enregistrement. La gestion du tempo surveillant offre en cela des pistes de réinvention du récit filmique et sériel, ou encore littéraire et théâtral. Entrer dans l’analyse de la surveillance par l’image n’est donc ni un raccourci, une réduction au visuel, ni un parti pris esthétique. Il s’agit au contraire d’un choix méthodologique guidé par son sujet : suivre à l’image la progression d’un concept, et le mettre en regard de sa progression effective, c’est aussi prendre le pas de Foucault, qui fait du panoptique un diagramme de pouvoir à l’œuvre dans un grand nombre de structures ou d’institutions, parfois radicalement différentes les unes des autres.
Ce colloque international, organisé par les Universités Sorbonne Nouvelle, Aix-Marseille et Paris Cité, vise à mettre au premier plan les puissances esthétiques des dispositifs de surveillance à l’écran. Les champs d’études ne se restreignent pas aux seuls domaines des études cinématographiques, des visual studies et des surveillance studies, ils s’ouvrent volontiers à une collaboration pluridisciplinaire : études théâtrales, science de l’art, anthropologie visuelle, information et communication, histoire, études littéraires, juridiques, politiques et sociales etc. Des propositions d’artistes, réalisateurs, sur leurs propres pratiques sont également encouragées.
Nous souhaitons mettre notamment en évidence la tension entre ce que la surveillance fait proprement aux œuvres et la manière dont la surveillance implique les productions artistiques dans un jeu de représentations transdisciplinaires.
Les propositions de communication pourront s’articuler autour de l’un des axes suivants, ou bien ouvrir de nouvelles pistes :
Axe 1 : Historiographie et épistémologie des rapports entre études cinématographiques et surveillance studies
Le point sur les surveillance studies : histoire, intégration dans la recherche francophone, rôle particulier de l’étude esthétique dans les théories de la surveillance
L’assimilation interminable de Surveiller et Punir, variations et dépassements du modèle panoptique
L’attrait interdisciplinaire de la surveillance (politique, droit, sociologie, communication, cultures et arts visuels, psychanalyse)
Axe 2 : Le regard surveillant, un enjeu proprement cinématographique ?
Cadrer, contextualiser, historiciser l’articulation entre caméra de surveillance et caméra de cinéma
Le cinéma des premiers temps, laboratoire du regard surveillant ? Voyeurisme, espionnage, déguisements
La surveillance dans le cinéma classique hollywoodien
Un cinéma expérimental : le remploi des images de vidéosurveillance
Un cinéma documentaire : la question de l’archive
Direct, différé, boucle, temps long : tempos surveillants et modalités du récit cinématographique
L’image dézoomée, ou le hors-champ de l’image de surveillance
Le devenir de la surveillance non-optique dans les arts : le cinéma est-il obsolète ?
Axe 3 : La surveillance au carrefour des arts
Surveillance, photographie, portrait-robot : archéologie des techniques du contrôle visuel pré-cinématographique
Vues du ciel : drones, satellites. Quadrillage cartographique, surveillance et panoptisme global
Surveillance et jeu vidéo. La question du gameplay et de la mise en abyme – question du genre, caméra de contrôle, hacking
Surveillance et renouvellement des genres cinématographiques et sériels, jusqu’au clip vidéo et à la publicité.
Surveillance et arts de la scène. Théâtre, performance, happening. Louna Park (Georges Aperghis, 2011), Les Surveillance camera players.
Surveillant Art. “Artivisme”, art et militantisme. Surveillance Index (Mark Gunheim), Ai Wei Wei
Surveillance et littérature. L’image au sein du récit. Enjeux génériques, narratifs et sociologiques. Littérature SF (l’œuvre d’Alain Damasio), bande dessinée documentaire (La Machine ne ferme jamais les yeux : une histoire de la surveillance (Greenberg, Canlas et Patterson)).
Axe 4 : Sensibilité(s) du corps surveillant
Surveillance et économie de l’attention, regard surveillant et fatigue visuelle
L’œil permanent des drones et satellites
Pilotage de drone et syndromes post-traumatiques : désarticulation du corps et du regard
Axe 5 : Formes et puissances de la surveillance dans la culture visuelle et les imaginaires contemporains
Enjeux éthiques et politiques : quel statut légal des images de surveillance ? Quels droits de production, de consultation et de remploi ?
Etat des lieux des techniques du contrôle visuel : Algorithmes, automatisation du regard, reconnaissance faciale, vers l’abandon de la surveillance optique ?
L’autorité sous surveillance : histoire, attraits et limites de la “sousveillance”, de Rodney King à George Floyd (en passant par l’affaire Théo, Michel Zecler) ; Sousveillance et hacking, video sniffing ?
Image de surveillance et effet Zapruder
Surveillance et stéréotypes raciaux et de genre
Le regard surveillant au prisme des féminismes : surveillance et « regard masculin » ; voyeurisme et « être-pour-le-regard » ; dimensions genrées de la surveillance
Sortir de l’Occident et globaliser les surveillance studies (Asie du Sud-Est, Afrique)
Axe 6 : Crise de l’indicialité (ou du régime de la trace) et critiques de l’objectivité des dispositifs de surveillance
De l’ère de la paranoïa The Conversation (Francis Ford Coppola, 1974) ; Three Days of the Condor (Sidney Pollack, 1975) à l’âge de la post-vérité (Snowden, Oliver Stone, 2016) : surveillance, rumeurs et soupçons, complotisme et conspirationnisme, whistleblowing
De l’indicialité à la manipulation des images
Surveillance et images opératoires
De l’image figurative à l’image abstraite : explorations des puissances formelles de l’image de surveillance (basse définition, bugs, capteurs nocturnes et thermiques)
Heather Dewey-Hagborg, Rafael Lozano-Henner, Joy Buolamwini : l’art comme désaveu des techniques de surveillance
L’efficacité fantasmée des dispositifs de surveillance (biais algorithmiques de reconnaissance faciale)
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La soirée d’ouverture se tiendra au Lavoir Numérique (Gentilly) autour du film Il n’y aura plus de nuit (Eléonore Weber, 2020). La projection sera suivie d’une table ronde.
Les propositions de communication en français ou anglais (500 mots), accompagnées d’une courte bio-bibliographie (150 mots), sont à envoyer avant le 5 février 2025 à l’adresse suivante : biggerscreensymposium@gmail.com.
Les participants retenus seront avisés le 18 mars 2025.
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Comité scientifique :
Emmanuelle André (Université Paris Cité)
Fareed Ben-Youssef (Texas Tech University)
Francesco Casetti (Yale University)
Florent Castagnino (Ecole Nationale Supérieure Mines Télécom Atlantique)
Laurent Guido (Université Sorbonne Nouvelle)
Ervina Kotolloshi (Université Sorbonne Nouvelle)
Jennifer Merchant (Université Paris-Panthéon-Assas)
David Murakami Wood (University of Ottawa)
Ariane Papillon (Université Vincennes-Saint-Denis – Paris 8)
Emmanuel Siéty (Université Sorbonne Nouvelle)
Anne-Katrin Weber (Université de Lausanne)
Claire Wrobel (Université Paris-Panthéon-Assas)
Comité d’organisation :
Teresa CASTRO (Maîtresse de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles – IRCAV, Université Sorbonne Nouvelle)
Rémi LAUVIN (Chercheur en études cinématographiques, associé au CERILAC, Université Paris Cité)
Sébastien LEFAIT (Professeur des universités en études anglophones – LERMA, Université Aix-Marseille)
Meera PERAMPALAM (Chercheuse en études cinématographiques et audiovisuelles, associée à l’IRCAV – Université Sorbonne Nouvelle).
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Bibliographie
AÏM, Olivier, Les Théories de la surveillance. Du Panoptique aux surveillance studies (Paris, Armand Colin, 2020)
AÏM, Olivier (dir.), Quaderni, No. 108, “Surveillance et contre-surveillance”, Hiver 2022-2023
BEUGNET, Martine. Le cinéma et ses doubles. L’image de film à l’ère du foundfootage numérique et des écrans de poche (Lormont, Le Bord de l’eau, coll. “Usages des Patrimoines Numériques”, 2021)
BEUGNET, Martine. L’attrait du flou (Crisnée, Yellow Now, 2017)
BLÜMLINGER, Christa. Harun Farocki : Du cinéma au musée (Paris, P.O.L., coll. “Trafic”, 2022)
BOILLAT, Alain. « Le héros hollywoodien dans les mailles de la télésurveillance et dans la ligne de mire du drone » (Décadrages, No. 26-27, pp. 14-47)
BULLOT, Erik. « Éloge du camouflage » (Les Cahiers du Musée national d’art moderne, No. 112-113, Eté–automne 2010, pp. 182-191)
CASTRO, Teresa, « Of Drones and the Environmental Crisis in the Year of 2020 » (in Philipp Dominik Keidl, Laliv Melamed, Vinzenz Hediger et Antonio Somaini (dir.), Pandemic Media: Preliminary Notes Toward an Inventory, Luneburg, Meson Press, 2020, pp. 85-88)
CHAMAYOU, Grégoire. Théorie du drone (Paris, La Fabrique Editions, 2013)
CHAMAYOU, Grégoire. Les Chasses à l’homme (Paris, La Fabrique Editions, 2010)
CONRAD, Kathryn. « Surveillance, Gender, and the virtual Body in the Information Age » (Surveillance & Society, Vol. 6, No. 4, 2009, pp. 280-287)
DELEUZE, Gilles. « Post-scriptum sur les sociétés de contrôle » (L’Autre Journal, No. 1, 1990)
DETRAZ, Nicole. International Security and Gender (Cambridge, Polity Press, 2012. 224 p.)
DUBROFSKY, Rachel E et MAGNET, Shoshana A. (dir.). Feminist Surveillance Studies (Durham, Duke University, 2015)
FANG, Karen (éd.) Surveillance in Asian Cinema, Under Eastern Eyes (Londres, Routledge, 2017. 272 p.)
FANG, Karen. Arresting Cinema : Surveillance in Hong Kong Film. (Stanford, Standford University Press, 2017)
FAROCKI, Harun. Reconnaître et poursuivre (Courbevoie, Théâtre Typographique, 2002)
FOUCAULT, Michel. Surveiller et punir. Naissance de la prison (Paris, NRF Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 1975)
FŒSSEL, Michaël. État de vigilance. Critique de la banalité sécuritaire (Paris, Le Seuil, 2016)
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LEFEBVRE, Romain. « Avec et contre la vidéosurveillance » (Images Documentaires, Nos. 101-102, Mars 2021)
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SOMAINI, Antonio et CASETTI, Francesco (dir.). La haute et la basse définition des images. Photographie, cinéma, art contemporain, culture visuelle (Sesto San Giovanni, Mimésis, coll. “Images, médiums”, 2021)
SOMAINI, Antonio. « Visual Surveillance. Transmedial Migrations of a Scopic Form » (in Acta Univ. Sapientiae, Film and Media Studies, No. 2, 2010)
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SZENDY, Peter. Sur écoute. Esthétique de l’espionnage (Paris, Les Editions de Minuit, coll. “Paradoxe”, 2007)
VIRILIO, Paul. La Machine de vision (Paris, Galilée, coll. “L’espace Critique”, 1988)
WAJCMAN, Gérard. L’Œil absolu (Paris, Denoël, 2010)
ZIMMER, Catherine. Cinema and Surveillance (New York, NYU Press, 2015)
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