Journée d’études organisée par Vincent Berthelier.
Présentation
La stylistique affiche actuellement, dans l’espace francophone, un dynamisme appréciable : tout en restant fidèle à la rigueur héritée du structuralisme pour les analyses microtextuelles, la discipline a su entrer récemment en dialogue avec la sociologie de la littérature, la philosophie, les études de genre ou les études cognitives. Malgré une indéniable préférence pour le canon national de France, la stylistique a aussi su ouvrir occasionnellement son corpus d’étude aux littératures de langue française non-métropolitaines (Le Bris et Rouaud, 2007).
Pour autant, alors que se multiplient les études sur le caractère mondial de la littérature (David, 2012 ; Moretti, 2013 ; Puchner, 2017 ; Moura, 2023 ; Sapiro, 2024), la stylistique semble fermée à cet horizon par un verrou intrinsèque. Tout se passe comme si la technicité à laquelle elle est astreinte empêchait d’ouvrir l’analyse stylistique à d’autres zones culturelles, géographiques et linguistiques. Les rares incursions extérieures se font généralement au profit des littératures de langue anglaise, ou du moins de langues indo-européennes. Dans le même temps, l’approche stylistique (sans doute trop spécifique à la tradition universitaire française et à ses épreuves de recrutement) demeure marginale auprès des spécialistes de langue étrangère. Il semblerait finalement que les questionnements stylistiques unissant des langues différentes intéressent davantage les traducteurs et traductologues (Meschonnic, 2000), voire les linguistes, que les stylisticiens.
Le but de cette journée d’étude est donc de pallier cette insuffisance et d’élargir le cadre linguistique de la discipline, en posant les jalons de ce qu’on pourrait appeler une stylistique comparée – distincte des programmes d’étude d’un Charles Bally sur l’expressivité respective des langues naturelles (François, 2023). Nous tenterons ainsi de jeter les bases d’une stylistique littéraire, historicisée, non exclusivement limitée à la stylistique d’auteur, politique enfin, dans la continuité des travaux de notre séminaire. À l’occasion de cette journée, nous invitons à proposer des contributions qui s’intéressent :
- aux notions critiques ou spontanées qui, pour une aire linguistico-culturelle étrangère donnée, se réfèrent à la forme des textes littéraires et à leur usage spécifique du matériau linguistique. Comment nomme-t-on les styles d’écriture en Chine, au Japon, dans les littératures arabes ? Quels domaines ces notions recouvrent-elles (le lexique, la syntaxe, la construction narrative, les figures) ? Comment interagissent-elles avec des notions importées (si l’on pense par exemple au sutairu japonais) ?
- aux pratiques rédactionnelles, en tant que celles-ci témoignent de circulations stylistiques transnationales ou de tentatives de transposition — afin de ne pas limiter l’étude de la Weltliteratur à sa dimension thématique ou macrotextuelle.
- à la signification politique de ces pratiques d’écriture : comment vise-t-elle par exemple à transformer la relation entre langue(s) vernaculaire(s) et langue(s) littéraire(s), à faire émerger une langue nationale ou une conscience politique collective, à servir de laboratoire de la modernisation d’un pays, etc. ?
En abordant cette stylistique comparée et transnationale sous l’angle politique, il s’agira donc de ne pas s’en tenir au constat émerveillé de la diversité des langues, des imaginaires et des pratiques littéraires. L’enjeu est plutôt de voir en quoi le cœur même de la création littéraire, le travail de la langue, est susceptible de porter la marque des bouleversements de son temps : luttes sociales, colonisation, conflits armés, mondialisation, développement inégal entre centre et périphérie, impérialisme (y compris culturel), modernisation économique et politique.
Nous privilégierons les propositions portant sur des littératures non-occidentales et/ou de langue non-indo-européenne. Sans poser de borne chronologique stricte, nous préférons limiter le corpus aux œuvres postérieures à la fin du xixe siècle, s’inscrivant dans un espace mondial unifié, quoique hautement conflictuel. Enfin, nous tenons à souligner que la journée n’est pas réservée aux seul⋅es stylisticien⋅nes, au contraire ! Tout comme le séminaire dont elle est issue, cette journée doit se voir plutôt comme une occasion, pour les chercheurs en général, d’aborder de front les énigmes que pose le style.
Les propositions, d’une longueur maximale de 3 000 caractères, sont à envoyer avant le 28 février 2025 à v.berthelier(à)hotmail.fr.
Bibliographie indicative
David Jérôme, Spectres de Goethe. Les métamorphoses de la « littérature mondiale », Paris, les Prairies ordinaires, coll. « Essais », 2012.
François Jacques, « En quoi la stylistique “comparée” était-elle réellement une stylistique ? Les apports respectifs de Charles Bally et Fritz Strohmeyer », dans éd. Audrey Roig et Anne-Gaëlle Toutain, Concert mondial de linguistique française : Mélanges offerts à Franck Neveu, Lyon, ENS Éditions, coll. « Langages », 2023, p. 59-72. Container-title: Concert mondial de linguistique française : Mélanges offerts à Franck Neveu.
Le Bris Michel et Jean Rouaud, Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard, 2007.
Meschonnic Henri (dir.), Et le génie des langues ?, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, coll. « Essais et savoirs », 2000.
Moretti Franco, Distant reading, London, Verso, 2013.
Moura Jean-Marc, La totalité littéraire : théories et enjeux de la littérature mondiale, Paris, Puf, 2023.
Puchner Martin, « Readers of the world unite », sur Aeon, https://aeon.co/essays/world-literature-is-both-a-market-reality-and-a-global-ideal, 20 septembre 2017, consulté le 16 juillet 2024.
Sapiro Gisèle, Qu’est-ce qu’un auteur mondial ? le champ littéraire transnational, Paris, EHESS Gallimard Seuil, coll. « Hautes études », 2024.
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