Protocoles de linguistique clinique et thérapies endophasiques

La création institutionnelle de la linguistique clinique, notamment sous format numérique, est plus que jamais nécessaire dans le contexte de la pandémie. Nous développons des protocoles et des e-protocoles de linguistique clinique et de développement endophasique personnel. Les thérapies endophasiques, aussi bien curatives que préventives, sont fondées sur le langage dans une perspective multimodale (langage verbal et non-verbal) et représentent un défi thérapeutique, plaçant l’humain dans toutes ses dimensions au cœur du processus de soin. Tous nos protocoles sont anonymes.

La linguistique clinique à l’hôpital

Les maux physiques sont-ils liés à nos mots intérieurs comme à nos silences ? Si oui, jusqu’à quel point ? Au-delà des seuls troubles du langage, avec ses fonctions mémorielles et sensorielles, son rôle d’interface entre conscient, inconscient et préconscient, quel est le rôle du langage intérieur dans le déclenchement de nos maladies comme dans leur guérison ? À la conjonction du corps et de la parole intérieure, quel est l’apport de la linguistique clinique dans un parcours de soin en milieu hospitalier ? C’est un défi épistémologique et thérapeutique de taille, à la mesure de l’ampleur de la crise que nous traversons aujourd’hui.

Le protocole « Handicap et douleur » (Centre MAREP, Hôpital Necker)

Le projet « Le langage intérieur d’enfants atteints de MAREP : douleur, handicap et qualité de vie » vise à mettre en place un protocole de linguistique clinique au sein d’un dispositif thérapeutique hospitalier et à étudier la parole intérieure d’enfants atteints de malformations ano-rectales, pelviennes rares et médullaires terminales (MAREP[1]) et celle de leur entourage, afin de mettre en valeur les représentations qui se cristallisent autour de ces malformations : comment les enfants atteints de l’une de ces maladies rares la vivent-elle intérieurement ? Quelles représentations la maladie suscite-t-elle chez autrui dans la vie quotidienne ? Ces malformations, comprenant notamment les malformations ano-rectales (MAR), la Maladie de Hirschsprung et les dysraphismes spinaux, ont un impact sur le développement et/ou le fonctionnement de l’appareil digestif et urinaire et sur l’apprentissage de la propreté. L’enfant est normalement prédisposé à l’acquisition de la propreté à une période-clé de son développement. Passée cette période « féconde », l’apprentissage est plus difficile. Pour les enfants avec séquelles de MAREP, l’acquisition de la propreté est en général retardée. En résultent des traitements médicamenteux contraignants (laxatifs par voie orale ou rectale), des manipulations intrusives (lavements évacuateurs) et/ou des sondages urinaires.  De plus, près de 40% des enfants avec des séquelles de MAREP n’acquièrent pas une continence socialement acceptable à l’âge adulte. Cette incontinence a donc un retentissement important sur leur quotidien, sur leurs relations familiales, amicales et sociales, tout au long de leur vie. Ce projet est soutenu depuis septembre 2020 par l’institut Imagine[2], un « centre de recherche et de soins tourné vers l’innovation ».

Le protocole « handicap et Douleur », créé spécifiquement pour ce cadre, à partir des protocoles Monologuer existants (entretiens, enregistrements de restitutions de parole intérieure, observations), est triplement novateur. D’une part, il existe peu d’études en sciences humaines et sociales autour des MAREP. D’autre part, la parole intérieure constitue elle-même un champ de recherche encore largement méconnu. Enfin, si la linguistique clinique existe dans d’autres pays, la discipline en tant que telle n’a pas été constituée et organisée en France. La mise en œuvre de protocoles de linguistique clinique, à partir notamment du langage intérieur,  constitue un atout indéniable pour penser autrement, pour traiter et guérir. Les enjeux de la linguistique clinique telle que nous proposons de la mettre en place ne sont pas seulement de traiter les troubles du langage, même si cette approche fait principalement partie des prérogatives de la clinical linguistics aux États-Unis par exemple. Il s’agit d’aller bien plus loin, de prendre en compte le rôle du langage intérieur et extériorisé dans les processus de guérison et de proposer des thérapies fondées sur des leviers principalement linguistiques, en les intégrant à un véritable parcours de soin.

Ce projet constitue ainsi, à plus d’un titre, une étude pilote, dont la méthodologie sera reproductible en cas de résultats positifs, à une autre échelle, pour les MAREP mais aussi pour d’autres maladies rares.

Le protocole Cancer et Représentations (Sénopôle, Hôpital Saint-Louis)

Qu’est-ce que je me dis de ma maladie ? Qu’est-ce que je dissimule, même à moi-même ? Le cancer du sein peut avoir des conséquences sur la représentation de soi, le rapport aux émotions, l’intimité, la sexualité, les relations aux autres. De ce point de vue, le rôle du langage intérieur est fondamental, comme support ou comme obstacle. Les représentations intérieures peuvent être verbales, visuelles, abstraites. Une approche linguistique et sémiotique du phénomène peut permettre de mieux en comprendre les formes et les fonctions et de préciser la représentation de soi comme d’améliorer la communication avec autrui.

Au Sénopôle (hôpital Saint-Louis), un projet a été mis en place sur langage intérieur et cancer du sein, grâce au docteur Marc Espié qui dirigeait le service en 2017 et à toute son équipe. La phase deux, à visée thérapeutique, montre des résultats positifs, dont l’effet doit encore être évalué avec précision. Les premiers résultats aujourd’hui concernent essentiellement les fonctions positives et négatives du langage intérieur, la représentation de soi, le rapport au corps, et les effets comportementaux et émotionnels d’une pragmatique endophasique. Ces différents résultats feront l’objet d’une publication à venir dans la collection « Monologuer ».

Dans ces deux parcours de soin hospitaliers, notre objectif est de mettre au point une méthode pouvant être reproduite à large échelle afin d’évaluer avec précision les lacunes et les besoins dans ce domaine. De plus, il s’agit de créer des mesures thérapeutiques innovantes. Ces projets constituent donc à double titre une étude pilote, qui sera reproductible en cas de résultats positifs, à une autre échelle. La réflexion sur la souffrance psychologique pourra ainsi être élargie, de la même façon que le protocole de linguistique clinique, inédit en France, pourra être utilisé dans d’autres cadres.

 

Le protocole Migrations

Au pôle Santé du centre humanitaire d’Ivry, géré par le Samu social, nous proposons un nouveau protocole, adapté aux expériences, aux cultures et aux vécus, afin d’appréhender la parole intérieure de ces personnes ayant émigré, en situation de ruptures culturelles, sociales, parfois familiales. Ce protocole n’est pas pensé d’abord comme un protocole de collecte de données. L’objectif est de libérer la parole intérieure (selon Jeanine Rochefort, parfois l’on n’ose même pas se parler à soi-même des traumatismes subis), de mettre la personne au cœur de sa parole, d’apaiser le langage intérieur et la vie intérieure dans toutes ses dimensions. Nous œuvrons par exemple à l’identification des symptômes linguistiques du stress post-traumatique et nous travaillons notamment sur la pratique du récit.

[1] Le signe MAREP désignera ces malformations dans le reste du document.

[2] Voir la présentation sur le site d’Imagine : https://www.institutimagine.org/fr/langage-interieur-chez-les-enfants-atteints-de-malformations-ano-rectales-et-pelviennes-et-les-951