Séminaire organisé par Jean-Marc Baud (FNRS, Université de Namur) et Esther Demoulin (CERILAC, Université Paris Cité).

« Études de mains », Nicolas de Largillière
 

Présentation

La littérature contemporaine s’est construite en tant que discipline sur le postulat d’une érosion des groupes littéraires et des pratiques de collaboration, dans un contexte de montée de l’individualisme et d’effacement des utopies révolutionnaires, qui aurait conduit à une exacerbation du « régime de singularité[1] » artistique. Pourtant, écrire en commun n’a jamais été autant d’actualité, tant les formes, les lieux et les modes de cocréation semblent se multiplier, que l’on pense aux collectifs qui ont émergé ces dernières années, aux projets participatifs en ligne ou aux ateliers d’écriture en tous genres. Portée par la nouvelle configuration du champ (littérature hors du livre, essor du numérique, masters de création…), l’écriture s’affirme de plus en plus comme une activité collective, en dépit de l’imagerie romantique du génie solitaire et des injonctions médiatiques à la singularité. Si la recherche en littérature contemporaine s’est longtemps désintéressée de la question, privilégiant une analyse des modes de figuration de la communauté dans le livre[2], elle porte, depuis quelques années, une attention de plus en plus soutenue aux communautés effectives qui forment le monde des lettres et aux pratiques de collaboration qui s’y inventent, au fil de journées d’études et de colloques, de numéros de revues, d’essais et de thèses[3].

En visant à fédérer les chercheur·ses qui travaillent sur ces questions, le séminaire désire offrir un rendez-vous régulier permettant de définir, historiciser et cartographier les différentes pratiques collaboratives et les productions qui en découlent dans le champ contemporain et, plus largement, dans la littérature du xxe siècle. Il s’agira d’interroger ces dynamiques collectives selon une approche tout à la fois historique (comment a évolué le modèle et la grammaire des couples d’écrivains et des groupes littéraires depuis le début du siècle dernier ? comment les regroupements d’auteur·rices actuels rejouent ou déjouent cette longue tradition, souvent mythifiée ?), sociologique (quelles pratiques de solidarité, de camaraderie et de distinction s’y jouent ? quelles stratégies auctoriales et groupales s’inventent aujourd’hui ?), poétique (quelles formes, textuelles ou non textuelles, produisent ces collaborations ? s’éprouvent-elles dans des genres de prédilection ?) et génétique (comment se déroule le processus de coécriture ? sur quels supports ?).

L’autre enjeu porté par le séminaire est méthodologique et théorique. À cette attention renouvelée pour la collectivisation du geste d’écrire fait en effet souvent défaut une théorisation précise des différentes « facettes[4] » de la collaboration littéraire, qu’il s’agisse de coécriture, de cosignature ou de coauctorialité. À partir de quand la collaboration se transforme-t-elle, en littérature, en coécriture ? La première acception juridique du terme collaboration, en renvoyant à la « possession acquise par les époux par un travail commun[1] », présupposait une répartition égale du travail qu’il est bien difficile de juger sur pièces en littérature. Par ailleurs, si la collaboration intervient bien souvent dans la phase pré-rédactionnelle (recherche documentaire effectuée par Grace Frick pour les Mémoires d’Hadrien) ou dans la phase rédactionnelle des œuvres (relecture des mises au net de Sartre par Beauvoir), elle semble relativement peu toucher aux idées mêmes de l’œuvre littéraire, alors même qu’elles sont précisément ce qui relève, dans l’œuvre, du « libre parcours[2] ». Si Régine Deforges a remporté son procès face aux ayants droit de Margaret Mitchell, c’est que la justice a considéré qu’il n’existait entre Autant en emporte le vent et La Bicyclette bleue qu’une ressemblance d’idées qui sont légalement appropriables. Ce séminaire voudrait donc interroger le paradoxe suivant : si l’auctorialité d’une œuvre littéraire est, depuis le xixe siècle, intimement lié à la question du style, ce que corrobore le Code de la Propriété intellectuelle, comment délimiter dès lors ce qui relève, au sein de la collaboration, de la coauctorialité ?

Le séminaire « Co-écrire et collaborer en littérature, xx-xxie siècles » se veut ainsi un lieu de proposition et d’expérimentation, de dialogue et de réflexion partagée sur les différents enjeux que recouvre l’écriture collective. Il se tiendra à l’université Paris Cité.

[1] Ibid., p. 80.
[2] « La Minute de la SGDL », Web TV Culture, avril 2010, disponible sur https://www.sgdl.org/sgdl-accueil/le-guide-pratique/le-contrat-d-edition/452-les-minutes-sgdl/3262-le-plagiat.
[1] Nathalie Heinich, L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, 2005.
[2] Voir notamment Chloé Brendlé, « Seuls, ensemble : fabrique des appartenances et imaginaires de la communauté dans des récits contemporains français (Marie NDiaye, Laurent Mauvignier, Maylis de Kerangal, Arno Bertina, Olivier Cadiot) », dir. Dominique Rabaté, Université Paris Diderot, 2017. Et, plus récemment, Anne Cousseau, Fictions du collectif dans le récit français contemporain, Paris, Hermann, coll. « Savoir lettres », 2024.
[3] Sur la question des collectifs, on peut renvoyer à Anthony Glinoer et Michel Lacroix (dir.), La Littérature contemporaine au collectifFabula / Les colloques, en ligne, 2020 : https://www.fabula.org/colloques/sommaire6671.php. ; Irene Cacopardi, De Luther Blissett à Wu Ming : une république littéraire démocratique ? Paris, L’Harmattan, 2022 ; Jean-Marc Baud, Inculte. Collectif littéraire, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, coll. « Perspectives », 2023. Sur les enjeux de la collaboration littéraire spécifiquement liés au numérique, on pourra consulter : Brigitte Chapelain, « La participation dans les écritures créatives en réseaux : de la réception à la participation », Le Français aujourd’hui, n° 196, 2017, p. 45-56 et Olivier Belin, « Vers une poésie commune ? Les poètes amateurs de Twitter, Instagram et Wattpad », Nouvelle revue d’esthétique, vol. 25, n° 1, 2020, p. 57-66.
[4] Fanny Margras, Simone et André Schwarz-Bart : analyse d’une collaboration littéraire, dir. Dominique Carlat et Laura Carvignan-Cassin, Université des Antilles, 2022, p. 33.

Programme

 Un vendredi par mois, de 10h30 à 12h30, de décembre à juin.

  • Séance introductive, 20 décembre 2024, salle 477F HF, 10h30-12h30

Introduction : Jean-Marc Baud (FNRS, Université de Namur), Esther Demoulin (CERILAC, Université Paris Cité)

Entretien avec Benoit Peeters (Collège de France)

Collaboration, coécriture : questions génériques

  • Coécriture, collaboration et littératures de genre, 24 janvier 2025, salle 064E HF, 10h30-12h30

Charline Pluvinet & Zelda Chesneau (Université de Rennes 2) : « Problématique de la collaboration : l’écriture science-fictionnelle comme instrument »

Natacha Levet (Université de Limoges) : « Écritures collaboratives à contraintes dans le polar : le cas du partenariat Quais du Polar/Points »

  • La poésie à plusieurs mains, 14 février 2025, salle 064E HF, 10h30-12h30

Camille Bloomfield (Université Paris Cité) & Jean-Marc Baud (FNRS, Université de Namur) : « Essai de cartographie de quelques collectifs contemporains de poésie dans le champ français (Boxon, RER Q, collectif Pou, Poésie is not dead, Poetesses.gang) »

Félix Katikakis (Université de Liège) : « Élaborer, tester et affiner un modèle d’analyse des poétiques collectives : d’Orange Export Ltd. au Groupe de Liège ».

La fabrique de la (co)écriture

  • Études génétiques et fonds d’archives collectifs, 14 mars 2025, salle 064E HF, 10h30-12h30

Christophe Meurée (Archives & Musée de la Littérature) : « Les (presque) effacé(e)s de la littérature : place aux conjoint(e)s, de la posture à la postérité »

Daniel Ferrer (ITEM) : « Ce que l’écriture collaborative fait à la critique génétique »

  • Poétique et politique de la collaboration littéraire, 4 avril 2025, salle 064E HF, 10h30-12h30

Fanny Margras (Université des Antilles) : « Collaborer, coécrire, cosigner… Comment penser la création commune dans le champ littéraire ? »

Justine Huppe (Université de Liège), Tanguy Habrand (Université de Liège) & Victor Krywicki (Université de Liège) : « Nouvelles académies et industries créatives : écrire par, avec ou contre l’État »

Les lieux de la collaboration littéraire

  • Ateliers et masters d’écriture créative, 9 mai 2025, salle 064E HF, 10h30-12h30

Celia Fernandez (Université Jean Moulin Lyon 3) : « De camarades de classe à partenaires d’écriture ? Place et fonctions de la collaboration dans les masters en création littéraire »

Entretien avec Hélène Gaudy (écrivaine, Université Paris 8), animé par Mathilde Roussigné (FNRS, Université de Liège)

  • Maisons d’écrivains & résidences d’artistes, 27 juin 2025, salle 064E HF, 10h30-12h30

Esther Demoulin (Université Paris Cité) & Claire Ducournau (Université Paul Valéry Montpellier 3 – sous réserve) : « De la maison des Daudet à Draveil au Moulin de Villeneuve du couple Triolet/Aragon : scénographies duelles de la collaboration littéraire »

Entretien avec Arno Bertina (écrivain, EHESS)

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