Séminaire de l’axe « Arts et créations au présent » organisé par Pascal Mougin.

Présentation

Élaborée à la fin du xviiie siècle par l’idéalisme allemand et le romantisme, la conception moderne de la création littéraire et artistique opère une forme de laïcisation anthropologique d’une potentialité antérieurement considérée comme l’apanage du divin, en promouvant la figure du génie solitaire, de l’écrivain mage et de l’artiste démiurge. La figure charismatique du « créateur incréé » (Bourdieu) incarne alors un idéal infiniment désirable de liberté individuelle, d’expressivité, d’originalité, d’authenticité et d’accomplissement de soi utopiquement dégagé des facteurs contextuels et des déterminismes, assurant aux pratiques créatives un statut d’exceptionnalité et un prestige symbolique indiscutable.

Dans quelle mesure les pratiques littéraires et artistiques contemporaines se prévalent-elles encore de ce modèle charismatique de la créativité ?

Certes, création, créatif et créativité restent des termes démarcatifs de l’activité artistique et des catégories opératoires tant du point de vue juridique (le droit spécifique de la création, depuis les lois de 1793 instituant le droit d’auteur et démarquant l’œuvre d’art des productions artisanales et industrielles, jusqu’à l’article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle, voir Marcel Plaisant et Alexandre Portron, La création artistique et littéraire et le droit, Paris, Dalloz, 2022), qu’en sociologie (Pierre-Michel Menger, Le travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, 2009) et dans les institutions (dispositifs spécifiques d’aide à la création, formations nouvelles en création littéraire dans les écoles d’art et à l’Université, engouement récent pour la recherche-création).

Mais la foi dans l’idéal de créativité, sans doute du fait même de son prestige, s’est propagée bien au-delà du monde de l’art. Métaphoriquement d’abord : l’imaginaire de la création est très vite annexé par la théorie économique (« destruction créatrice » selon Schumpeter, « création de richesse », « création de valeur »). Plus littéralement ensuite : à la fin du xxe siècle, le « management créatif » et le « capitalisme artiste », où création rime avec invention et innovation, succèdent au capitalisme fordiste et bureaucratique, synonyme de standardisation des productions et des comportements (Boltanski et Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, 1999). Au point que la créativité fait aujourd’hui l’objet d’une injonction sociale généralisée (« Tous créatifs ! ») invitant conjointement à l’esthétisation des pratiques et à la stylisation des modes de vie.

Dans le même temps, les remises en question du modèle se sont multipliées dans le monde de l’art. L’idéal de créativité et le modèle expressif ont été contestés dès le début du xxe siècle (Dada, Duchamp), tout comme l’opposition entre art et non-art (Dewey, L’art comme expérience, 1934). Ils ont été en partie déconstruits par le structuralisme (la « mort de l’auteur » proclamée par Barthes et Foucault) et le poststructuralisme dans les décennies 1960-1970 et remis en cause au même moment par les néo-avant-gardes (art minimal, art conceptuel, Fluxus). Ils paraissent ainsi moins sollicités par les artistes contemporains, qui privilégient davantage les pratiques d’appropriation et de détournement, l’esthétique relationnelle et l’intervention militante (« artivisme »). Il en va de même de nombreux courants littéraires actuels : uncreative writing (Kenneth Goldsmith) et pratique du ready made en poésie, fictions documentaires, littératures d’enquête ou de terrain, écritures collaboratives et intermédiales.

À ces remises en question du primat de la créativité individuelle, s’ajoutent, de manière plus récente, le doute concernant l’exclusivité anthropologique de la créativité et les hypothèses de créativités non humaines, qu’il s’agisse de la créativité de l’animal ou du vivant (Vinciane Despret, Baptiste Morizot, voir aussi Allison B. Kaufman et James C. Kaufman (dir.), Animal Creativity and Innovation, 2015), ou d’une éventuelle créativité machinique via l’IA générative (« imagination artificielle » chez Grégory Chatonsky, usage de GPT en littérature, voir Marcus du Sautoy, Le code de la créativité. Comment l’IA apprend à écrire, peindre et penser, 2022).

Pascal Mougin

Programme 2024-2025

Certaines séances auront lieu au centre d’art Béton salon.

Horaire : 18h-20h

16 octobre

Alexandre Portron – MCF en droit privé – La création au regard du droit

12 février

Maylis de Kerangal, romancière

mars (à préciser)

Pierre-Michel Menger – professeur au Collège de France – La notion de travail créateur en sociologie

9 avril

Emmanuelle Pireyre – autrice, performeuse

12 juin (à confirmer)

Anne Simon – Professeure ENS Ulm – Imaginaires de la créativité animale

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