La drépanocytose est une maladie génétique qui s’observe dans le monde entier. L’anthropologue Maria Teixeira et son équipe se penchent dans le cadre de leur recherche au sujet des discriminations et inégalités sociales de santé au cas : des personnes atteintes de cette pathologie dans les pays du Nord et du Sud.
L’anthropologue aborde dans cet entretien les contours de ce projet de recherche et ses motivations.
Discriminations et inégalités sociales de santé aux différents âges de la vie. Le cas des personnes atteintes de drépanocytose dans les pays du Nord et du Sud.
SOURCE : Ohene‑Frempong Kwaku, Krishnamurti Lakshmanan, Smith Wally R., Panepinto Julie A., Weatherall David J.,Costa Fernando F., Vichinsky Elliott P., 2018, Sickle cell disease, Nature reviews (4), article number 18010, doi:10.1038/nrdp.2018.10
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Quels est votre parcours et vos thématiques de recherche ?
Mon parcours commence par des recherches ethnologiques en Afrique francophone et lusophone sur les rituels divinatoires et thérapeutiques réalisés par des devineresses-guérisseuses. A cette époque mon approche suivait une méthodologie classique en anthropologie : réalisation de terrains de longue durée, seule, pour m’insérer dans de petites communautés et les perturber le moins possible.
Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à participer à des recherches collectives et pluridisciplinaire avec des collègues d’autres sciences sociales (sociologie, sciences politiques, géographie) en terrain africain (la contraception d’urgence dans quatre capitales africaines) et français (la prostitution de jeunes femmes venues du Nigeria en France,).
Aujourd’hui, je m’efforce de dépasser la pluridisciplinarité pour aller vers l’interdisciplinarité. J’ai réalisé des recherches autour de plusieurs pathologies, en élargissant mes collaborations à d’autres sciences sociales mais aussi aux professionnels de santé (médecine, sciences infirmières). Cette interdisciplinarité se veut intégrative en associant des représentants de patients à l’élaboration de mes recherches (notamment sur la drépanocytose).
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Les discriminations et les inégalités sociales de santé concernent plusieurs pathologies. Pourquoi votre choix s’est-il porté sur la drépanocytose ?
J’ai de longues années d’expérience de la recherche en Afrique mais aussi au sein de la diaspora africaine en France. Même si la drépanocytose ne concerne pas que des populations originaires d’Afrique, dans sa forme la plus sévère elle touche en majorité des populations de ce continent. Mes recherches africanistes et dans les diasporas africaines me donnent une expertise socioculturelle qui peut favoriser l’analyse des difficultés vécues par ces personnes.
L’histoire épidémiologique de cette maladie est faite de discrimination et de marginalisation et peu d’études existent en France sur la prise en charge de cette pathologie et l’expérience des patients, et à ma connaissance aucune avec une dimension comparative et internationale.
Une première recherche réalisée avec mon équipe[1] auprès de jeunes drépanocytaires en Ile-de France m’a confortée dans l’idée qu’une t’elle recherche était nécessaire. Ces discriminations parfois flagrantes, mais le plus souvent sous-jacentes sont difficiles à analyser. La perspective comparative de ce nouveau projet permettra une meilleure identification des récurrences dans les pays participants et des particularités de chacun d’entre eux et une meilleure interprétation des résultats.
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Votre équipe est pluridisciplinaire et multiculturelle. Est-ce un obstacle ou un atout dans le cadre de votre recherche ?
Il s’agit d’un atout bien entendu. Nous allons nous adapter aux situations locales et non pas élaborer un projet à partir des seules réalités parisiennes ou à partir d’une seule perspective disciplinaire que l’on appliquerait ensuite à tous les terrains. Il s’agit ici d’un travail collectif réalisé par un réseau de chercheurs originaires de différents de pays et de disciplines variées.
Les difficultés identifiées dans chaque société seront prises en compte pour la rédaction de notre projet. Notre équipe est constituée de chercheurs habitant dans chacun des pays partenaires : Belgique, Brésil, République Démocratique du Congo, France et Italie. Les perspectives des différentes disciplines viendront enrichir notre problématique. Les personnes responsables de l’enquête sur le terrain sont anthropologues, infirmières ou médecins, et nous collaborons avec un représentant des patients, lui-même impliqué dans des réseaux internationaux. Des séances de travail en dyade ou avec l’ensemble du consortium sont prévues en face à face et en visioconférence jusqu’à la rédaction finale de ce projet de recherche interdisciplinaire.
Cela permettra d’obtenir une vision plus complète des difficultés rencontrées par les patients et les professionnels. D’un point de vue médical, la drépanocytose est une maladie complexe et l’expertise des médecins est indispensable pour comprendre sa prise en charge, les questions d’organisation des soins et de relation aux patients sont particulièrement traitées par les sciences infirmières et enfin l’anthropologie s’intéressera aux dimensions sociales de la maladie ainsi qu’aux micro-évènements de la vie quotidienne grâce à sa posture méthodologique mettant en avant le décentrement par rapport à ses catégories de pensées et la comparaison entre sociétés.
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Comment la comparaison Nord-Sud permettrait de mieux comprendre les discriminations et les inégalités sociales dont sont victimes les malades atteints de drépanocytose ?
La comparaison Nord Sud nous semblait intéressante car les discriminations autour de cette maladie prennent des formes différentes en fonction des sociétés.
En République Démocratique du Congo, cette maladie est particulièrement stigmatisée, entourée de considérations en lien avec l’univers occulte et la malédiction. Il s’agit d’une maladie dont on parle difficilement. Les structures de santé, notamment en milieu urbain, prennent en charge cette maladie mais les soins coutent cher, ce qui met en difficulté l’ensemble de la famille des malades, notamment parmi les populations les plus précaires.
Au Brésil, cette maladie fait partie des maladies délaissées par le système de santé. Dans ce pays, il existe une classification populaire de sa population en fonction du phénotype, révélateur d’approches racialisées des individus, en contradiction avec le mythe d’un pays métissé et sans racisme. Des discriminations existent envers les populations descendantes de l’esclavage. Elles sont parmi les populations les plus pauvres, les plus vulnérables et les plus marginalisées du pays.
En Europe, les populations d’origine Africaine (sauf les outremers) sont arrivées plus récemment. Ces populations migrantes sont stigmatisées et les boucs émissaires désignés de certains mouvements politiques. Or, les préjugés présents dans la société ne s’arrêtent pas aux portes de l’hôpital. La drépanocytose est peu connue en Europe et mal connue de la plupart des professionnels de santé. En France des centres de référence accueillent des professionnels d’une grande compétence et particulièrement investis dans la prise en soin de ces malades. Cependant des dysfonctionnements existent y compris dans ces centres. Dans la société, la situation des malades au quotidien est parfois difficile pour l’accès à l’école, à l’emploi, au crédit.
Aussi, il est intéressant d’étudier les processus conduisant aux inégalités sociales dans le cas de la drépanocytose, en fonction des réalités locales et de l’arrivée sur les différents territoires de populations subsahariennes : en France à la fin du XIXème siècle en Belgique dans les années 60-70 et enfin dans les années 1980 pour l’Italie.
Si dans les sociétés, les discriminations sont visibles et méritent tout notre attention, dans le champ de la santé et notamment en terrain hospitalier celles-ci sont difficiles à détecter, elles agissent à bas bruit. Une meilleure appréhension de ce phénomène, grâce à cette étude comparative et pluridisciplinaire, nous permettra de comprendre les difficultés auxquelles les personnes font face aux différents âges de la vie et notamment dans les âges les plus avancés que ce soit dans leurs relations avec les structures de soins ou au sein des différentes sphères du social.
Aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, il est plus facile de rencontrer des personnes drépanocytaires âgées de quarante ans et plus, non seulement dans les pays industrialisés mais aussi dans les pays du Sud. Un vaste terrain de recherche s’offre désormais à nous.
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Vous avez co-dirigé un ouvrage sur les migrations dans le système de soins français : Migrations. Une chance pour le système de santé ? paru en 2022 dans la collection « La Personne en médecine » chez Doin John Libbey. En quoi les migrations constituent-elles pour vous un apport à notre système de soins ?
La prise en soins des populations émigrées a suscité, chez certains professionnels de la santé et du social particulièrement engagés, la mise en place de dispositifs novateurs favorisant l’accès aux soins et le suivi des personnes malades. Cette prise en considération de la personne dans sa globalité avec son histoire, ses conditions de vie, ses objectifs et son ancrage socioculturel, semble incontournable pour une bonne prise en charge des populations d’origine étrangère.
Ces réflexions ont pointé les dysfonctionnements et les fragilités de notre système de santé. Ces dispositifs innovants mis en place pour y répondre pourraient tout à fait être élargis à la population générale qui pourrait ainsi bénéficier de ces avancées.
Par ailleurs la présence des émigrés a favorisé la recherche autour de certaines maladies tropicales. La France s’est particulièrement distinguée par sa recherche en thérapie génique autour de la drépanocytose. Aujourd’hui, des médecines complémentaires ou alternatives, notamment venues d’Asie, séduisent des populations très variées. La présence de migrants a favorisé la qualité et a enrichi l’offre de soins conventionnels et non conventionnels qui existent en France.
[1] Composée d’Alain Epelboin (anthropologue, médecin), Constant Vodouhe (représentant des patients), Malika Benkerrou (pédiatre spécialiste de la drépanocytose), François Lionnet (médecin spécialiste de la drépanocytose), Eliane Raffet (psychologue spécialiste de la drépanocytose), Serge Gottot et Corinne Alberti (médecins de santé publique), Hélène Mellerio (pédiatre spécialiste de la transition).
Ma réflexion s’est également nourrie de mes échanges avec Agnès Lainé, historienne spécialiste de la drépanocytose et avec Diane Bargain, infirmière engagée auprès des personnes drépanocytaires et dont j’ai dirigé le travail de master.
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