En mai 2023, quelques semaines après le départ du regretté Marc Orange, le milieu des études coréennes en France était de nouveau endeuillé par la triste disparition du professeur Li Jine-Mieung (1946-2023). Il fut une cheville ouvrière infatigable des études coréennes en France « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître » puisqu’il joua un rôle décisif dans les années 1980 et 1990.
Bien que professeur à l’université Jean Moulin – Lyon 3 depuis 2001, émérite en 2012, l’affichage de ces lignes sur le site Web de l’UFR LCAO se justifie pleinement dans la mesure où il donna des charges de cours pendant plusieurs décennies à l’Université Paris 7 (1985-2012), renforçant alors une équipe enseignante titulaire minimaliste composée de trois maîtres de conférences. De plus, après avoir soutenu son habilitation à diriger des recherches à Paris 7 en 2000, il fut rattaché à l’école doctorale de notre université (ED 131) entre 2000 et 2012, permettant ainsi la soutenance de sept thèses sur la Corée (histoire, littérature, linguistique, traduction, sociologie…). Il forma ainsi toute une génération d’étudiants pendant plus d’un quart de siècle et de chercheurs pendant une dizaine d’années.
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Historien des XIXe et XXe siècle (en économie et démographie), auteur d’une thèse en 1977 sur les relations économiques et financières entre la France et le Japon (1859-1914), il accepta de quitter sa « zone de confort » pour réaliser de nombreux ouvrages spécialisés ou de vulgarisation dont le besoin se faisait cruellement sentir à cette époque, tout en sachant que cela ne lui serait pas reconnu comme « publications scientifiques ». De ce fait, par son abnégation efficace, il créa un environnement favorable aux personnes francophones qui souhaitaient découvrir la Corée en un temps où n’existaient ni ordinateurs (pour le grand public) ni l’Internet. En quelques années, il réalisa le tour de force de publier un manuel de conversation de Corée, Le coréen pratique (1985), qui connut de nombreuses rééditions, une Grammaire du coréen en deux tomes (Tome 1, 1987 ; Tome 2, 1991) qui n’a toujours pas d’équivalent en langue française, et plusieurs anthologies littéraires (Érables rougis en 1982, Contes populaires de Corée en 1986… Tigres et kaki, et autres contes de Corée en 1995) dont certaines en collaboration avec Maurice Coyaud (1934-2015), fondateur de l’association P.A.F (Pour l’analyse du Folklore) qui publia la plupart de ses ouvrages quasiment à compte d’auteur. Un peu plus tard, il publia même un dictionnaire des caractères sino-coréens en 1993. Ô temps héroïques !
Son engagement dans l’enseignement du coréen dans les années 1980 orienta ses thèmes de recherches sur l’Histoire de la Corée moderne et contemporaine ainsi sur les relations franco-coréennes. Après l’ébullition médiatique et politique qui entoura la souveraineté des îlots de Tokto au début du XXIe siècle, il s’engagea académiquement pour la cause en orientant sa recherche sur l’histoire de l’occupation territoriale de ces îles tout en explorant la question de leur territorialité à travers l’histoire de la cartographie, notamment occidentale. Il publia en 2005 une monographie, Tokto chirisang-ŭi chaebalgyòn 독도, 지리상의 재발견 ; Tokto, redécouverte géographique, qui eut un grand retentissement en Corée du Sud, écho moindre en France où la question était moins brûlante, mais dont il était le plus fier. De plus, la question de l’appellation contestée de la « mer de l’Est » en « mer du Japon » mobilisa son attention. En réalité, l’amplitude de ses activités et sa curiosité intellectuelle fut si vaste, qu’il serait ici vain de tendre à l’exhaustivité. En septembre 2017, il nous avait fait l’amitié de retracer son itinéraire académique dans une interview vidéo du Réseau des Études sur la Corée, le RESCOR (www.youtube.com/watch?v=qpcTFmPzNMw&t=24s).
Son parcours, rare à l’époque, combine études françaises et historiques après avoir été diplômé du département de langue et littérature française de l’Université Nationale de Séoul. Boursier du gouvernement français en 1971, il commença ses études d’Histoire à l’université de Caen, qu’il poursuivit en doctorat à Paris 4. En 1983, il assura les premiers cours du soir de langue coréenne dans le cadre d’un DU à l’université Lyon 3. À partir de 1985, il ajouta à son service des cours d’Histoire de la Corée et de langue coréenne à Paris 7, située alors à Jussieu. En 1988, il commença sa carrière universitaire comme maître de conférences à Lyon 3. Plus tard, sa passion pour l’enseignement du coréen en France dans les collèges et lycées, le conduisit à créer l’Association Française de Langue et Culture Coréennes (AFELACC) en 2009 dont il fut président. Sa contribution remarquable à l’essor de l’enseignement du coréen et des études coréennes méritait ample reconnaissance. Après prix et décoration reçus en Corée en 1995, 1998, 2005 et 2010 ; en France, il accéda en 2015 à la distinction de Chevalier de l’ordre des Palmes académiques couronnant une riche carrière. Son attachement pour les études coréennes se manifeste à travers plusieurs articles qu’il rédigea périodiquement afin de dresser un état des lieux des études coréennes en France.
Comme les étudiants en études coréennes des années 1990 de l’Université Paris 7, mais aussi en tant qu’autodidacte avant mon entrée à l’université, je lui suis particulièrement redevable de ses travaux qui ont accompagné mon apprentissage de la langue et de la culture coréennes, lui donnant des bases solides. Les étudiants de cette époque qui ont suivi ses cours d’histoire et de langue, ont gardé en mémoire le souvenir de la silhouette tranquille de ce professeur revêtu d’un pardessus qui faisait ses cours en costume-cravatte sur un ton calme et monocorde, aux gestes lents, qui s’essuyait les mains couvertes de craie avec un mouchoir et allait fumer sa cigarette pendant les pauses. Taciturne, pudique, mais toujours disponible, M. Li était d’un abord bienveillant et modeste. Patient, il écoutait beaucoup et, sans bavardage inutile, donnait des informations factuelles et concrètes à tous ceux qui sollicitaient son conseil. Sa puissance de travail était impressionnante. Il était fier et heureux de voir ses étudiants progresser et assurer la relève.
Puisse ces quelques lignes, malgré leur insuffisance, lui exprimer mon respect sincère et ma reconnaissance immense et chaleureuse, et à travers elles, celle de toute une génération d’étudiants devenus par la suite, comme on dit, « spécialistes de la Corée ».
Reposez en paix, M. Li, avec le sentiment du devoir accompli,
Vos étudiants ne vous oublieront pas !
Yannick Bruneton, le 28 novembre 2023
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