Journées d’études organisées par Patricia Luce Limido (Université Paris Cité, Cerilac) et Quentin Gailhac (Université Paris Cité, Cerilac) à l’Université Paris Cité les 12 et 13 mai 2025

Les sables, Lucien Clergue

Argumentaire

À la question « Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? », l’éclatement des pratiques et des manières de faire de l’art semble aujourd’hui nous priver d’une réponse univoque.

D’un côté, la diversification progressive des critères normatifs permettant de reconnaître à un objet ou à une production le statut d’œuvre d’art a sensiblement contribué à relativiser la distinction, jadis opératoire, entre les objets, qu’ils soient le résultat d’un travail artisanal ou d’une production industrielle, non destinés en eux-mêmes à l’appréciation esthétique, et les œuvres, fruits d’une création que détermine un contenu esthétique propre.

D’un autre côté, cette évolution du sens et du statut de l’œuvre d’art a eu pour effet d’intégrer au domaine artistique des productions qui ne revendiquaient plus nécessairement le statut d’œuvre, ou dont la forme spécifique rendait aussitôt maladroit l’usage de ce concept, comme si l’art pouvait exister indépendamment des œuvres qui, autrefois, permettaient de peupler et de circonscrire tout à la fois un domaine autonome et séparé des autres domaines de la réalité.

Cette situation artistique autant que théorique précise ainsi la question initiale en redéfinissant apparemment la tâche de l’esthétique comme de la philosophie de l’art, qui n’est plus tant de formuler normativement des critères susceptibles de distinguer par des caractères d’essence les œuvres des autres objets du monde, que de s’associer à une multiplicité artistique désormais irréductible pour définir des modes d’existence et des formes de réalité. La question « Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? » devient ainsi : « Comment les œuvres d’art, et plus généralement les productions artistiques, existent-elles ? ».

Loin de résoudre ou même d’annuler le problème de la distinction entre œuvres et objets, un tel programme théorique en réactive au contraire les difficultés, en interrogeant à nouveaux frais la double dimension de réalité et d’idéalité propre à l’œuvre d’art. Si l’on affirme généralement que la réalité et l’idéalité de l’œuvre s’opposent comme sa matérialité physique s’oppose à son sens, aux valeurs et aux représentations qui l’investissent, on peut légitimement s’interroger sur la validité de cette opposition dans le contexte d’une redéfinition constante des pratiques artistiques et de l’extension, à des degrés quelquefois insensibles, des frontières de l’art. D’une part, et du point de vue de la diversité des types d’œuvres d’art (certaines ne possédant pas de support physique ou de substrat matériel), il est clair qu’une telle distinction risque de manquer précisément la réalité de chaque œuvre au profit d’une opposition générale et finalement abstraite. D’autre part, il s’agirait d’interroger le sens même de cette opposition afin de penser la manière dont l’œuvre d’art, au lieu d’exister entre deux dimensions (matérielle et spirituelle, réelle et idéelle), crée toujours son mode d’existence spécifique, qui appelle une requalification de ces dimensions elles-mêmes.

Les Journées d’études « Réalité et idéalité de l’œuvre d’art » seront ainsi l’occasion d’examiner cette question sous plusieurs aspects. On s’attachera aussi bien à l’analyse d’œuvres d’art anciennes et à leur forme d’existence dans le contexte de leur réception, de leur interprétation et de leur restauration quand cela s’y prête, qu’à des œuvres ou à des productions artistiques plus contemporaines qui, soit, échappent au paradigme de l’œuvre d’art en redéfinissant ainsi le statut de la dualité conceptuelle réalité/idéalité, soit, qui s’y inscrivent toujours pleinement à des conditions que l’on dégagera sous cet horizon.

Axes possibles des interventions (liste non-exhaustive)

  • La matérialité de l’œuvre d’art
  • La fonction des valeurs esthétiques dans la constitution d’une œuvre d’art
  • Formes de l’idéalité dans l’existence d’une œuvre d’art
  • Ce que l’interprétation des œuvres d’art fait à leur mode d’existence
  • L’adaptation, l’arrangement, la réactivation d’œuvres d’art comme révélateurs de leur mode d’être
  • Historicité des œuvres d’art, évolution de leur sens, de leur réalité, de leur fonction
  • Historicité du concept d’œuvre d’art
  • Actualité du concept d’œuvre d’art, légitimité du concept d’œuvre d’art au singulier
  • Les productions artistiques qui ne sont pas des œuvres ; leur réalité, leur statut artistique et esthétique
  • Discussion d’une position philosophique (tradition continentale et phénoménologique, tradition analytique)

Modalités de soumission des propositions 

            Nous invitons toutes les personnes intéressées, et tout particulièrement les jeunes chercheur.e.s en doctorat et en post-doctorat, à nous soumettre un résumé de communication d’une longueur de 800 mots accompagné du titre de leur intervention et d’une brève notice bio-bibliographique avant le 20 décembre 2024 aux deux adresses suivantes : patricia.limido@orange.fr et gailhacquentin@gmail.com

Les communications ne dépasseront pas 30 minutes et seront suivies d’une discussion de 15 minutes.

Les frais de déplacement et d’hébergement ne pourront peut-être pas être pris en charge.

 

Bibliographie indicative

BAILLY, Jean-Christophe, Sur la forme, Paris, Manuella Editions, 2013.

BELTING, Hans, Image et culte. Une histoire de l’image avant l’époque de l’art, trad. fr. Franck Muller, Paris, Cerf, 1998.

BENJAMIN, Walter, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, dans Œuvres III, Paris, Gallimard, « Folio/Essais », 2000.

BÖHME, Gernot, Aisthétique. Pour une esthétique de l’expérience sensible, trad. fr. Martin Kaltenecker, Franck Lemonde, Dijon, Les Presses du réel, 2020.

CAILLET, Aline, POUILLAUDE, Frédéric (dir.), Un art documentaire. Enjeux esthétiques, politiques et éthiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Æsthetica », 2017.

COLLINGWOOD, Robin G., The Principles of Art, Oxford, Clarendon Press, 1938.

CONRAD-MARTIUS, Hedwig, « Die Irrealität des Kunstwerks », dans Schriften zur Philosophie, t. 3, Munich, Kösel, 1965.

DANTO, Arthur, La transfiguration du banal. Une philosophie de l’art, trad. fr.  Paris, Seuil, « Poétique », 1989.

DANTO, Arthur, La Madone du futur, trad. fr. Claude-Harry Schaeffer, Paris, Seuil, « Poétique », 2003.

DUFRENNE, Mikel, Phénoménologie de l’expérience esthétique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Épiméthée », 1953.

GENETTE, Gérard, L’œuvre de l’art. t.1, Immanence et transcendance, Paris, Seuil, « Poétique », 1994.

GOEHR, Lydia, Le musée imaginaire des œuvres d’art musicales, trad. fr. Christophe Jaquet, Paris, Éditions de la Philharmonie, « Rue musicale », 2018.

GOODMAN, Nelson, Manières de faire des mondes, Paris, Gallimard, « Folio/Essais », 2006.

GOODMAN, Nelson, Langages de l’art, Paris, Fayard, « Pluriel », 2011.

HEGEL, G.W.F, Cours d’esthétique, 3 t. Paris, Aubier, trad. fr. Jean-Pierre Lefebvre, « Bibliothèque philosophique », 1995-1998.

INGARDEN, Roman, Qu’est-ce qu’une œuvre musicale ?, trad. fr. Dujka Smoje, Paris, Bourgois, 1989.

INGARDEN, Roman, Esthétique et ontologie de l’oeuvre d’art. Choix de textes 1937-1969, trad. fr. Patricia Luce Limido, Paris, Vrin, « Essais d’art et de philosophie », 2011.

INGARDEN, Roman, Sur la peinture abstraite, trad. fr. Marc de Launay, Paris, Hermann, « Le Bel Aujourd’hui », 2013.

INGARDEN, Roman, Connaître une œuvre d’art littéraire, trad. fr. Patricia Luce Limido avec la coll. d’Olivier Malherbe et Circé Furtwängler, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Æsthetica », 2024.

JANSSENS, Ann Veronica, Serendipity, Bruxelles, Wiels, 2012.

LEVINSON, Jerrold, Essais de philosophie de la musique. Définition, ontologie, interprétation, trad. fr. Clément Canonne et Pierre Saint-Germier, Paris, Vrin, « MusicologieS », 2015.

MALDINEY, Henri, Ouvrir le rien. L’art nu, Encre Marine, 2010.  

MICHAUD, Yves, « L’art c’est bien fini », Essai sur l’hyper-esthétique des atmosphères, Paris, Gallimard, « NRF essais », Gallimard, 2021.

POUILLAUDE, Frédéric, Le Désœuvrement chorégraphique. Étude sur la notion d’œuvre en danse, Paris, Vrin, « Essais d’art et de philosophie », 2009.

RANCIÈRE, Jacques, Le destin des images, Paris, La fabrique éditions, 2003.

SÈVE, Bernard, Les matériaux de l’art, Paris, Seuil, « Les livres du nouveau monde », 2023.

SARTRE, Jean-Paul, L’imaginaire. Psychologie phénoménologique de l’imagination, Paris, Gallimard, « Folio essais », 2005.

WOLLHEIM, Richard, L’art et ses objets, trad. fr. Richard Crevier, Aubier, « Philosophie », 1994.

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