Retour avec Marco Araneda et Marion Koeltz sur la genèse de leur projet, comment l’équipe s’est formée et l’impact de cette recherche pour les patients.
Comment a émergé l’idée de ce projet ?
C’est une expérience clinique dans un service de soins de suite en hématologie (à l’hôpital Jean Jaurès) qui nous a guidés vers la thématique de ce projet de recherche. Lorsque les patients ne sont pas en mesure de rentrer chez eux après une hospitalisation en service d’hématologie, ils sont adressés en service de soins de suite, où la surveillance médicale continue, et où l’accent est mis sur la récupération de leurs capacités physiques, avec la possibilité d’avoir jusqu’à deux séances de kinésithérapie et rééducation par jour. La rencontre clinique avec ces patients nous a permis de percevoir des problématiques concernant la période qui suit l’hospitalisation: se sentir ni malade ni guéri, les difficultés à se projeter dans l’avenir avec une condition physique qui s’est beaucoup dégradée, l’incertitude quant au fait de pouvoir reprendre un jour sa vie « d’avant ».
Comment avez-vous rencontré les équipes partenaires ?
Cela a commencé par un travail d’immersion à l’hôpital Saint-Louis, dont le service de greffe en hématologie est une référence, qui a permis un accès à des consultations médicales et infirmières pré-greffe, et au suivi les psychologues du service de greffe dans leur travail. Nous avons été très bien accueillis par les soignants, qui nous ont permis de bien comprendre comment se déroulait le parcours de soins pour les patients avant, pendant et après la greffe. Nous avons également rencontré l’association de patients des anciens greffés de l’hôpital Saint-Louis, qui a été très disponible. C’est cette immersion sur le terrain qui nous a permis de penser un protocole de recherche et de nous assurer qu’il soit réaliste, adapté et respectueux des patients comme des soignants.
Comment comptez-vous étudier les modes de subjectivation des patients dans cette recherche ?
L’un des éléments importants dans cette recherche, c’est que nous n’avions pas d’hypothèses précises sur les processus qui pourraient être identifiés, car nous avons recours à une méthodologie qualitative inductive. Nous commençons chaque entretien par une question sur le vécu et le ressenti des participants, mais l’entretien est conduit de manière très ouverte. Ceci a permis de recueillir un matériau riche en ce qui concerne la dimension psychique de la traversée de la maladie et des traitements, car celle-ci n’est pas saisissable uniquement dans les propos explicites. Ainsi, donner l’occasion aux patients de s’exprimer en guidant le moins possible leur parole permet de faire apparaître la complexité des processus psychiques et d’appréhender de manière fine ce qui a trait à la subjectivation de leur expérience : il peut s’agir, par exemple, de construire une représentation de soi confronté à la maladie, mais cela peut également impliquer le lien à l’autre.
Qu’est-ce que la dimension longitudinale apporte à cette recherche ?
Les recherches qualitatives longitudinales sont rares, et pourtant elles permettent d’apporter un autre éclairage nécessaire et complémentaire des études transversales. La prise en compte de la dimension temporelle dans l’expérience de la maladie et des traitements nous semble essentielle. Premièrement, cela peut bien sûr permettre de mettre en lumière des évolutions au cours du temps. Mais cela permet également d’envisager l’expérience de la maladie et des soins comme une expérience globale. En l’occurrence, nous rencontrons les patients à trois reprises : avant la greffe, un mois après leur sortie d’hospitalisation, et trois mois après leur hospitalisation. Étudier le vécu des patients après la greffe prend une toute autre dimension lorsqu’on peut le relier au vécu des patients avant la greffe, car cela permet de ne pas segmenter de manière arbitraire le vécu de ces patients. Au contraire, l’expérience de l’après-greffe s’ancre en réalité dans l’avant-greffe, car la subjectivation d’une expérience de soin peut déjà être présente avant que le patient ne fasse concrètement l’expérience de ce soin.
Comment les résultats de cette recherche pourront avoir un impact pour les patients ?
Nous comptons faire une synthèse des résultats de notre recherche, dans un langage visant un public large, non-professionnel, et transmettre cette synthèse à la fois aux participants, aux soignants et à l’association de patients, et prévoir des possibilités d’échange avec eux. Sans que cela prenne nécessairement la forme de recommandations, nous pensons que proposer une synthèse de nos analyses est une manière de rendre possibles d’autres modes de compréhension de l’expérience des patients. Cela peut avoir un impact sur la manière dont les soignants perçoivent l’expérience des patients, et sur la manière dont les patients perçoivent leur propre expérience. Nous pensons qu’un des enjeux des recherches interdisciplinaires est de créer un matériau accessible comme base d’échanges entre des publics différents.
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