MEDIRISC :

 

Ce colloque international interdisciplinaire est consacré aux risques et catastrophes médicamenteux et leurs conséquences aux 20ème et 21ème siècles. Celui-ci regroupe des chercheurs/chercheuses issu.e.s des sciences humaines et sociales, des professionnels de santé et plus largement des acteurs/actrices de la régulation, de l’information en santé et des représentant.e.s d’usagers. Ce panorama transnational, étendu sur la longue durée, vise à comprendre les récurrences des accidents et la négociation sociale des risques médicamenteux qui – lorsqu’elles sont étudiées – sont souvent circonscrites à un cas d’étude, apparaissant comme un épiphénomène.

 

 


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Entretien avec deux des organisateurs et organisatrices du colloque :

 

  1. Pourriez-vous nous indiquer ce qui vous a amené, dans vos parcours scientifiques respectifs, à vous intéresser aux « catastrophes médicamenteuses » ? A l’aune des exemples que vous connaissez, comment définiriez-vous ce type d’événement ?

NK : La catastrophe de la thalidomide en 1961, un somnifère produisant des malformations graves chez plusieurs milliers d’enfants et le plus grand scandale de médicament en Allemagne, a attiré mon attention au tout début de mon premier contrat de chercheur contractuel dans un projet sur la régulation des médicaments en Allemagne de l’Ouest. Lors de mes recherches sur la consommation de médicaments et la construction des marchés pharmaceutiques les accidents et plus généralement la gestion des risques jouaient également un rôle majeur. Dans mes projets actuels j’explore plus en profondeur la gestion des risques. Solène et moi échangeons depuis longtemps sur les dimensions transnationales et les temporalités des catastrophes, et c’est de là qu’est né l’idée pour ce colloque. Alors nous nous sommes décidés d’élargir le périmètre, en abordant le sujet à partir de la notion plus large des risques afin de pouvoir interroger tant les dimensions temporelles que la construction même de l’objet « risque médicamenteux ».

SL : Je me suis intéressée aux catastrophes médicamenteuses dès mon mémoire de master et j’ai poursuivi ce travail en thèse en étudiant les modalités de non-reconnaissances des effets indésirables du Mediator® (benfluorex) durant sa commercialisation et même, après son retrait, dans le cadre des demandes d’indemnisation des victimes.

 

  1. En quoi les recherches historiques et sociologiques sur les risques médicamenteux permettraient, comme le prévoit votre colloque prévu en 2024, de mieux comprendre et peut-être de prévenir ces « crises » ?

NK : Le médicament n’est pas seulement un objet chimique ou biologique. Il est avant tout une technologie utilisée dans des contextes thérapeutiques, sociaux, économiques et politiques variables. Une catastrophe naturelle n’est pas naturelle mais développe sa dimension « catastrophique » en fonction des populations touchées et des inégalités sociales, des mesures de prévention prises en amont ou encore de la gestion politique et sanitaire. De la même sorte, une catastrophe de médicament n’est pas simplement un produit d’ignorance absolue quant aux risques. Dans une perspective historique il apparaît clairement qu’elle est fabriquée par différents facteurs, comme par exemple la non-circulation d’information au-delà de sphères d’experts, le regard critique porté sur les patient.e.s comme consommateur/trices de médicaments « irresponsables » ou encore des fortes doutes sur des liens de causalité dans une situation d’urgence relative. Pourtant cela ne doit pas nous amener à surestimer la capacité d’action de chacun des acteurs sociaux impliqués. Plutôt que le grand complot il vaut souvent mieux de chercher la défaillance des procédures.

SL : Lors de nos échanges réguliers, Nils et moi étions alors dans le même laboratoire, nous échangions souvent sur la régularité de ces catastrophes et leurs schémas de déroulement. Nous observions les mêmes dynamiques, les mêmes questionnements à une quarantaine d’années d’intervalle. Comme s’il y avait une sorte d’amnésie collective sur ces catastrophes. Lorsque le médicament incriminé est retiré du marché, très vite, le problème apparaît comme réglé, sans s’attacher à étudier les mécanismes qui sous-tendent ses catastrophes.

 

  1. Comment, selon vous, ces recherches peuvent-elles ou doivent-elles s’articuler à la recherche en médecine, d’une part, et, d’autre part, à l’engagement de cliniciens, d’associations de patients, ou encore de lanceur.ses d’alerte ? 

NK : Ce colloque est aussi une initiative visant à rassembler des spécialistes de domaines qui discutent peu ensemble. En organisant ce colloque dans le cadre de l’Institut La Personne en médecine, Joséphine Eberhart, Solène Lellinger et moi avions à cœur d’organiser un événement qui de par son format et ses sujets soit attractif pour différents publics intéressés par l’étude des risques des médicaments ou mobilisés en faveur d’une meilleure sécurité des médicaments. Vous avez nommé déjà plusieurs groupes d’acteurs, notre souhait serait de favoriser un dialogue sur les risques du médicament qui ne les réduit pas à des problèmes pharmacologiques mais qui intègre leurs dimensions sociales. Pour cela les professionnel.le.s de santé, les instances de régulation, les militant.e.s et lanceur:ses d’alerte, les chercheur:ses en sciences sociales ont besoin d’espaces d’échange.

 

SL : Mobiliser ces recherches dans d’autres espaces qu’un milieu académique de sciences humaines et sociales est pour nous primordial. Nous avons tous les deux la spécificité d’être enseignants de sciences humaines en poste dans des facultés de médecine. Ces recherches viennent avant tout nourrir nos enseignements tout au long du cursus des professionnels de santé en formation.

Par ailleurs, nous avons à cœur dans notre colloque de croiser les approches de ces différents acteurs de la santé pour avoir une approche résolument interdisciplinaire.