Devant l’inégale efficacité du traitement le plus répandu actuellement dans la prise en charge des troubles bipolaires, l’équipe du Docteur C. Marie-Claire et du Professeur F. Bellivier (UMR-S 1144 Inserm-Université Paris Cité), cherche à mettre au point une technique pour prédire la réponse au traitement. Les premiers résultats ouvrent la voie vers une prise en charge thérapeutique personnalisée de ces patients.
Une prise en charge encore insatisfaisante
Les troubles bipolaires sont un trouble de l’humeur caractérisé par l’alternance de phases (hypo)maniaques, dépressives et de rémission. Cette affection, chronique et sévère, touche 1 à 2% de la population et l’efficacité du traitement proposé à base de lithium, traitement le plus répandu actuellement, est très variable d’un patient à l’autre. Les études cliniques montrent qu’un tiers d’entre eux répondent bien au traitement et ne rechutent plus. Un deuxième tiers ne répond tout simplement pas à ce traitement. Le dernier tiers n’y répond que moyennement bien, avec malgré tout, une diminution de fréquence et d’intensité des épisodes. Si les patients ne répondent pas ou peu au lithium, ils rechutent, en moyenne, une fois tous les 18 mois. L’efficacité du traitement le plus souvent prescrit en première intention, n’est donc certaine qu’au bout de 18 mois selon qu’il y a eu rechute(s) ou non.
Devant cette inégalité de réponse au lithium parmi les patients traités, le Dr. Cynthia Marie-Claire et le Pr. Bruno Etain ont cherché à identifier des biomarqueurs spécifiques de la réponse au lithium afin d’améliorer et de personnaliser la prise en charge thérapeutique. La première phase de ce travail de recherche fondamentale s’est appuyée sur une trentaine de patients répartis en 2 groupes : patients répondant bien versus patients ne répondant pas au traitement au lithium.
L’équipe a mis en évidence, chez les patients répondant bien au lithium, des modifications précises dans l’environnement de leurs gènes : ces modifications sont appelées marques épigénétiques. Repérer, en tout début de prise en charge des patients, la présence de ces marques épigénétiques pourrait permettre d’identifier ceux pour lesquels le traitement au Lithium sera bénéfique. Les autres patients seraient alors orientés vers d’autres traitements, évitant ainsi une errance thérapeutique dommageable pour eux. Ces travaux de recherche s’inscrivent dans le développement d’une médecine personnalisée en psychiatrie.
L’épigénétique
Nous héritons tous d’un patrimoine génétique, nos gènes, que nous conservons toute notre vie. Ce patrimoine génétique est présent dans toutes nos cellules mais ne se manifeste pas de la même façon partout. Les cellules du cœur sont différentes de celles de la peau, du foie, du cerveau… et cette différence vient du fait que les gènes ne sont pas tous actifs partout et en même temps. Dans les cellules de la peau, certains gènes sont actifs d’autres pas. Dans les cellules du cœur, ce sont d’autres gènes qui s’activent. Ces activations ou inactivations de gènes sont dues à des modifications de l’environnement des gènes : les marques épigénétiques. Ces marques épigénétiques sont à l’origine de modifications de l’activité des gènes, donc du fonctionnement des cellules et de la réponse au traitement. Ces marques épigénétiques étant elles-mêmes influencées par notre alimentation, nos habitudes de vie, notre environnement, les traitements médicamenteux que nous recevons… l’ensemble des influences environnementales au cours de la vie crée, pour chacun, une histoire épigénétique complexe.
Vers une médecine personnalisée
La question qui se pose aux chercheurs désormais est de savoir si, chez les patients répondant bien au traitement au lithium, ces marques épigénétiques identifiées sont apparues grâce au traitement ou bien si elles existaient avant le début de ce traitement. Dans le premier cas, cela signifierait que le traitement lui-même et/ou l’amélioration de la qualité des vies des patients répondants bien au traitement sont des facteurs environnementaux qui modifient le fonctionnement des gènes. Dans le second cas, cela signifierait que les patients répondants bien au traitement posséderaient déjà des modifications au niveau de certains gènes qui pourraient les prédisposer à une bonne réponse au traitement.
À ce stade de la recherche fondamentale, plusieurs travaux doivent donc encore être conduits : tout d’abord finaliser la mise au point d’une technique de prédiction accessible en médecine hospitalière à moindre coût. Ensuite, confirmer les premiers résultats avec cette nouvelle technique en reproduisant l’étude sur une plus large cohorte impliquant des patients aux profils variés (répondant bien, ne répondant pas, n’ayant jamais pris le traitement…). L’objectif serait d’établir pour chaque patient, avant le début du traitement et après 18 mois de traitement, une cartographie précise de l’ensemble de ses marques épigénétiques. Après 18 mois de traitement, la réponse au traitement pour chaque patient sera alors mise en lien avec sa cartographie de marques épigénétiques initiale et finale. Il sera alors possible de confirmer, le cas échéant, le rôle bénéfique de certaines marques épigénétiques pré-existantes, ou induites par le traitement, pour les patients qui auront bien répondu au traitement.
Si ces premiers résultats prometteurs se confirment, dans quelques années, les patients souffrant de troubles bipolaires pourraient, dès leur prise en charge, être orientés vers le traitement le plus adapté.
L’équipe Biomarqueurs de réponse thérapeutique et de rechute dans les maladies neuropsychiatriques
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