Loïc Capron traduit du latin, documente et analyse une controverse anatomique et physiologique qui agita le monde savant entre 1651 et 1655. Le plus brillant médecin français du XVIIe siècle, Jean Pecquet (1622-1674), découvrit le canal thoracique et le mouvement du chyle intestinal vers le cœur ; il en tira des théories audacieuses à propos de la fabrication du sang, qui suscitèrent de vives disputes. Un nouvel éclairage original sur la médecine du XVIIe siècle, par l’auteur de la Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin.

Publié le 6 décembre 2023

Sébastien Le Clerc, dit l’Ancien
L’Académie des sciences et des beaux-arts dédiée au Roy
Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris. Licence CC0 

En 1673, le Diafoirus de Molière a justement dénoncé l’aveuglement de certains médecins sur l’éblouissante découverte de la circulation du sang par William Harvey en 1628. Moins connue, mais tout aussi conséquente et animée, une autre querelle anatomique a éclaté en 1651 avec la publication des Experimenta nova anatomica [Expériences anatomiques nouvelles] de Jean Pecquet (Dieppe 1622-ibid. 1674) : voulant comprendre les forces en jeu dans le mouvement du sang, en s’aidant des derniers progrès de la physique (existence et variations de la pression atmosphérique), et encore simple étudiant en médecine, il eut l’heureuse fortune de mettre au jour le canal thoracique en montrant qu’il conduit le chyle intestinal jusqu’à la veine cave supérieure et au cœur. Ce liquide blanc et épais, trouvé par Gaspare Aselli en 1622, était tenu pour représenter la totalité du suc nutritif produit par la digestion des aliments. Au lieu de gagner directement le foie, comme on le croyait jusqu’alors, pour y être transformé en sang et répandre son pouvoir vital dans tout le corps, le chyle arrivait donc dans le cœur qui devenait l’organe de la « sanguification ». Dans le sillage immédiat de Pecquet, Thomas Bartholin (Copenhague 1610-ibid. 1680) confirmait l’existence du canal thoracique chez l’homme (1652), découvrait les vaisseaux lymphatiques et célébrait les « funérailles du foie » (1653), dépossédé de sa très noble fonction de fabriquer le sang.

Ce crime de lèse-majesté provoqua les vives protestations de Jean Riolan le Jeune (Paris 1580-ibid. 1657), tout-puissant professeur royal d’anatomie au Collège de France, et de plusieurs autres, dont le moindre ne fut pas Harvey, et ainsi naquit la Tempête du chyle. L’hérésie pecquétienne n’en devint pas moins le nouveau dogme et cessa d’être contestée pendant deux siècles. En 1855, Claude Bernard (Saint-Julien 1813-Paris 1878) ranima le débat et le conclut en montrant l’existence de deux chyles produits par l’intestin grêle : l’un aqueux gagne directement le foie par la veine porte ; l’autre, graisseux, le fait indirectement, après être passé dans le cœur et avoir circulé dans la totalité du corps ; tous deux permettent au foie de fabriquer la partie liquide du sang (plasma).

La double nature du chyle est essentielle dans l’équilibre lipidique de l’organisme, la formation du lait ou la fabrication des cellules sanguines par la moelle osseuse, et n’a sans doute pas encore révélé la totalité de ses secrets.

Contrairement au livre de Harvey, dont Charles Richet (prix Nobel de médecine ou physiologie en 1913) avait donné une remarquable version française en 1879, les Experimenta nova anatomica de Pecquet n’avaient jamais été publiées dans sa langue maternelle. Conçue et rédigée par Loïc Capron, ancien professeur des universités en médecine interne, sur le même modèle que La correspondance et autres écrits de Guy Patin, qui l’a enfantée, La tempête du chyle (1651-1655) a vu le jour grâce à la confiante collaboration de la Direction des bibliothèques et musées d’Université Paris Cité. Elle traduit, commente (2 489 notes) et indexe (4 190 entrées) l’ouvrage de Pecquet, ainsi que les principaux textes qui l’ont soutenu ou contesté : soit un total de 737 pages de latin qui procurent un éclairage original sur le progrès médical au xviie siècle et, plus généralement, un instructif exemple des erreurs auxquelles peut conduire une brillante découverte anatomique.

Pour en savoir plus, il est également possible de consulter la conférence de Loïc Capron : Jean Pecquet (1651-1654) et la tempête du chyle (Société Française d’Histoire de la Médecine, séance du 21 avril 2023 ; 58 minutes). 

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