Le 4 novembre dernier, le télescope spatial James Webb, des agences spatiales américaines (NASA), européenne (ESA) et canadienne (CSA), pointait ses instruments sur Titan, le plus grand satellite de Saturne. Ces observations ont fait l’objet d’un communiqué le 1er décembre par les agences américaines et européenne. Sébastien Rodriguez, maître de conférences à Université Paris Cité, et Maël Es-Sayeh, doctorant dans l’équipe de planétologie et sciences spatiales de l’IPGP, tous les deux membres de l’équipe internationale qui pilote et analyse ces observations, reviennent sur ces images inédites et ce qu’elles apportent à l’étude de Titan.
Source : NASA, ESA, CSA, A. Pagan (STScI), équipe JWST/GTO Titan
Pourquoi ce satellite naturel de Saturne intéresse tant les scientifiques ?
Sébastien Rodriguez : « Titan est la seule lune du système solaire à posséder une atmosphère dense, et c’est également le seul corps planétaire autre que la Terre qui possède actuellement une activité géologique et climatique active, avec des rivières, des lacs et des mers. Cependant, le liquide à la surface de Titan est composé d’hydrocarbures, notamment de méthane et d’éthane, et non d’eau, comme sur Terre. Mais son atmosphère, entourée d’une épaisse couche de brume de composés organiques complexes, est opaque dans la plupart des longueurs d’onde visibles et proche-infrarouges, hormis pour quelques fenêtres de transmission atmosphérique où l’on peut distinguer la surface. »
Pourquoi utiliser un télescope spatial pour étudier Titan ?
S. R. : « Titan a été intensément étudié au cours la mission internationale Cassini-Huygens entre 2004 et 2017 et sera la cible de la mission de la NASA Dragonfly à partir de 2035. Entre temps, pendant une vingtaine d’années, nos seules opportunités pour continuer de suivre l’évolution des systèmes climatique et géologique complexes de Titan sont d’utiliser les télescopes terrestres les plus performants (par exemple, le VLT, les télescopes Gemini et Keck) d’un côté, et de l’autre, le James Webb Space Telescope (JWST), spatialisé depuis décembre 2021 et opérationnel depuis le début de l’été 2022, d’une sensibilité, d’une couverture spectrale et d’une précision sans égales. »
Maël Es-Sayeh : « L’observation du système solaire fait partie de l’une des quatre grandes missions d’observation du JWST, avec les exoplanètes, la voie lactée et l’extragalactique. Titan est l’une des cibles privilégiées du programme d’observation du système solaire et dès les premières lumières du JWST, des observations de cette lune de Saturne étaient programmées. Les dernières datent du 4 novembre dernier et font partie du programme d’observations en temps garanti (GTO pour « Guaranteed Time Observations »). Notre groupe de scientifiques français de l’IPGP, d’Université Paris Cité, du CNRS, et de plusieurs laboratoires (LESIA, LPG Nantes, GSMA) fait partie de l’équipe internationale qui pilote et analyse ces premières observations. Compte tenu du temps nécessaire pour planifier et valider les observations, de l’attente liée à la confirmation de la date de lancement du JWST et à la confirmation de son parfait fonctionnement, ces observations étaient attendues depuis de nombreuses années ! D’autres observations du JWST viendront les compléter au printemps 2023. Au cours de la prochaine décennie, il est également prévu de proposer des campagnes régulières d’observations depuis les télescopes au sol et le JWST. »
Qu’est-ce que l’analyse de ces images devrait apporter à la connaissance de Titan ?
S. R. : « Les observations de Titan dans la nuit du 4 au 5 novembre 2022 ont été réalisées par les instruments NIRCam (Near Infrared Camera) et NIRSpec (Near Infrared Spectrograph) du JWST. Ces deux instruments permettent une couverture spectrale étendue (de 0.7 à 5.3 µm de longueur d’onde), avec une résolution spatiale digne des plus gros télescopes terrestres (près de 200 km) et une sensibilité inédite. L’instrument NIRSpec permet en plus d’avoir accès à une résolution spectrale bien meilleure que celle qui était disponible avec la mission Cassini-Huygens et une couverture en longueur d’onde bien plus étendue qu’avec les télescopes au sol. En attendant Dragonfly, ces observations nous ouvrent l’accès à une analyse et une compréhension extrêmement fines de la complexité de l’atmosphère et la surface de Titan, aussi bien en termes de composition que de dynamique et d’activité. »
M. E.-S. : « Sur les images NIRCam (image ci-dessus), une analyse préliminaire nous permet de distinguer des nuages de méthane dans l’hémisphère nord. Avec l’aide de ces mêmes images, dans des longueurs d’onde différentes, on peut aussi reconnaître un certain nombre de structures géologiques (champs de dunes, mers d’hydrocarbures). Les images spectrales obtenues avec l’instrument NIRSpec, quant à elles, nous donnent accès à un tout nouveau jeu d’informations sur la composition fine de l’atmosphère et la surface de Titan (image ci-dessous).
Toutes ces nouvelles observations, actuellement en cours d’analyses approfondies et qui feront bientôt l’objet de publications scientifiques, nous permettent déjà de bien mieux comprendre l’activité météorologique et géologique de Titan et ses changements avec les saisons, sur des temps longs (une saison sur Titan dure 7 ans !). Ces observations sont fondamentales pour compléter les observations passées de la mission Cassini-Huygens et les suivis réguliers depuis les télescopes au sol. »
En savoir plus :
> voir le communiqué de la NASA/STScI
> voir le communiqué de l’ESA
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