La mission spatiale Rosetta était la pierre angulaire du programme d’exploration spatiale de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) dédié aux petits corps. Lancée le 2 mars 2004, la mission a observé la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko durant 2 ans, entre 2014 et 2016, permettant une étude inégalée du noyau, de la composition et de l’évolution de la comète 67P pendant son orbite autour de Soleil.

Trois ans après la fin de la mission, un numéro spécial de la revue scientifique Astronomy & Astrophysics recueille les derniers résultats de la mission Rosetta.

Trois études, menées par des chercheurs et des post-doctorants du LESIA (Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique) portent sur l’analyse des 76 000 images à haute résolution capturées par le système d’imagerie OSIRIS, afin d’identifier les régions du noyau sources d’activité et les modifications de la surface produites par l’activité cométaire durant les 2 ans d’observations quasi continues de Rosetta.

Liaison de la morphologie de surface, de la composition et de l'activité sur le noyau

Cette première étude porte sur l’identification précise de sources de jets et sursaut d’activité pendant la période du périhélie, quand la comète est au plus proche du Soleil et l’activité cométaire est la plus intense. Plus de 200 jets ont été identifiés et étudiés précisément grâce à des séquences observationnelles multi-filtres à court temps de pose dédiées à l’étude de la composition du noyau.

Il s’agit du catalogue le plus complet et précis sur les sources d’activité identifiées sur la comète, réalisé en partie dans le cadre d’un stage de M2 d’une étudiante du master de l’Université des Sciences et Technologies de Hanoi, actuellement en thèse au LESIA.  Grâce à ce catalogue de sources d’activité, les corrélations entre la morphologie, la composition et l’activité sur le noyau de la comète 67P ont été étudiées. La plupart des phénomènes d’activité sont liés aux conditions d’illumination et à la radiation solaire reçue et non associés à des terrains particuliers sur la comète 67P.

Cette recherche  a permis de découvrir de nombreux mini-sursaut d’activité et des jets dont la durée de vie est de seulement quelque dizaine de secondes, ainsi que de caractériser le spectaculaire sursaut d’activité qui s’est produit le 12 août 2015, un jour avant le passage au périhélie de la comète 67P.

Figure 1 : Carte avec la position de jets et sursauts d’activité identifiés sur les différentes régions de la comète 67P. Quelques jets spectaculaires sont montrés, notamment le sursaut d’activité du 12 août 2015 (en bas à droite), qui représente un des phénomènes d’activité parmi les plus intenses observés par Rosetta sur la comète 67P.

Evolution en surface de la région d'Anhur

Une seconde étude porte sur les changements morphologiques observés sur une région du noyau appelée Anhur.

Étant illuminée pendant le passage du périhélie, quand le flux solaire est le plus intense, Anhur est une des régions les plus érodées, avec une structure géomorphologique en forme de canyon qui expose les couches les plus primordiales et les moins altérées de la comète (Fig. 2).

Figure 2 : Image en couleur du 10 février 2016 montrant la région Anhur

Sur cette région, des grandes parcelles de glace d’eau exposée à la surface avaient été identifiées précédemment, ainsi que la seule et unique détection de la glace de CO2 sur la comète 67P, indiquant une hétérogénéité de composition et une stratification de volatiles sous sa surface. Cette étude compare des images pré- et post-périhélie de la région Anhur pour identifier les changements morphologiques produits par la forte activité cométaire. La structure en forme de canyon est la source du sursaut d’activité du périhélie (voir Fig 1 en bas à droite), et dans cette zone, d’importants changements ont été identifiés, comme la disparition d’une structure de 90 m de longueur et 20 m de largeur et la sublimation d’une couche de poussière 14 m d’épaisseur.

Autres changements identifiés sur la comète concernent l’amincissement de la couche de poussière, le déplacement et la fragmentation de quelque rocher, ainsi que l’apparition de deux nouveaux escarpements, un de 140m de longueur et 10 m de hauteur et l’autre d’environ 30m de longueur et 12m de hauteur. La perte de masse totale associée aux changements morphologiques produits par l’activité sur la région Anhur est de 50 millions de kg, c’est-à-dire plus de 0,5% de la masse totale perdue par la comète pendant les 2 ans d’observations de Rosetta. A la base de deux nouveaux escarpements, de la glace d’eau a été observée sur plus de 6 mois, et avec une abondance estimée à 27%. Dans les images à haute résolution spatiale (8-30 cm/pixel)  acquises à la fin de la mission et quand la comète était à 3.4 UA de distance du Soleil,  plusieurs points brillants contenant de la glace d’eau ont été observés, ainsi que une couche mince de givre qui condense dans les régions à l’ombre d’Anhur (Fig. 3), comme dans la structure en forme de canyon. Ceci prouve que la glace est abondante juste en-dessous de la couche de poussière sombre qui couvre la surface cométaire.

Figure 3 : Image en couleur de la région Anhur acquise le 25 juin 2016 et composée à partir  d’observations à 480nm, 650nm et 880 nm. Une fine couche de givre est observable dans les surfaces dans l’ ombre (indiqué par les flèches rouges), comme dans le canyon d’Anhur. Un nouvel escarpement  (new cliff), formé en janvier 2016, est également indiqué et la glace d’eau,  exposée depuis sa formation, est visible à sa base

Changements morphologiques prononcés dans la zone Khonsu

Le troisième article porte sur l’étude d’une autre région située dans l’hémisphère sud de la comète, appelée Khonsu.

Les chercheurs y ont découvert des changements morphologiques locaux intéressants en comparant des images à haute résolution prises avant et après le périhélie, obtenues par l’instrument OSIRIS. De nouvelles cavités ont été identifiées, ainsi que le retrait de certains escarpements. Ces changements morphologiques ont produit une perte de masse dans cette région d’environ 1,7 x 108 kg, c’est-à-dire 1,5 à 4,2% de la masse totale de poussière éjectée par la comète durant les observations de Rosetta.

Comme sur Anhur, la base de certaines cavités ou escarpements exposent des poches de glace d’eau. Une source d’activité intense sur cette région correspond à une zone  où un rocher de 25 mètres de rayon est apparu pendant le passage du périhélie. Le rocher repose à côté d’une falaise, où des signes d’excavation / de déformation sont également perçus. Les chercheurs ont estimé que l’ordre de grandeur du taux de production de vapeur d’eau de certains sursauts d’activité/jets était comparable à la quantité nécessaire pour soulever des blocs de plusieurs dizaines de mètres.

Ce rocher pourrait être retombé à la surface après avoir été soulevé par un événement explosif dans une autre partie du noyau de la comète, ou être primordial. Dans ce dernier cas, le rocher aurait été caché à l’intérieur de la falaise et serait apparu suite aux changements produits par l’activité cométaire locale. Quoi qu’il en soit, l’événement a des implications intéressantes dans la formation des comètes et dans la physique cométaire.

Sources

Linking surface morphology, composition, and activity on the nucleus of 67P/Churyumov-Gerasimenko
S. Fornasier, V. H. Hoang, P. H. Hasselmann, C. Feller, M. A. Barucci, J. D. P. Deshapriya et al.
Pronounced morphological changes in a southern active zone on comet 67P/Churyumov-Gerasimenko
P. H. Hasselmann, M. A. Barucci, S. Fornasier, D. Bockelée-Morvan, J. D. P. Deshapriya, C. Feller et al.
Surface evolution of the Anhur region on comet 67P/Churyumov-Gerasimenko from high-resolution OSIRIS images
S. Fornasier, C. Feller, P. H. Hasselmann, M. A. Barucci, J. Sunshine, et al.

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