L’équipe du Professeur Pierre Buffet (UMRS 1134, Inserm –Université Paris Cité), en étroite collaboration avec l’équipe du Professeur Fabrice Chrétien (Institut Pasteur) et une équipe australo-indonésienne dirigée par le professeur Nick Anstey, a observé chez les patients atteints de paludisme chronique une concentration de globules rouges infectés 20 à 4000 fois plus élevée dans la rate humaine que dans le sang circulant. Ces résultats suggèrent que l’essentiel du cycle parasitaire se produirait en réalité quasiment entièrement dans la rate, modifiant ainsi profondément la compréhension du paludisme.
Globule rouge parasité (rouge) dans une rate humaine au milieu de globules rouges normaux. (Globule blanc en bleu)
© Pierre Buffet
Le paludisme est une maladie infectieuse potentiellement mortelle due à plusieurs espèces de parasites microscopiques appartenant au genre Plasmodium. Transmis à l’Homme par la piqûre d’un moustique lui-même infecté, le parasite s’installe dans les globules rouges, s’y multiplie, puis les fait éclater. Il peut alors se disperser et infecter de proche en proche de plus en plus de globules rouges.
Dans les régions où le paludisme est transmis très intensément, des sujets peuvent rester longtemps porteurs de parasites sans pour autant avoir de symptômes de l’infection, ce sont les porteurs chroniques. Il a également été observé, toujours dans ces régions, que de nombreux enfants et certains adultes ont une rate anormalement volumineuse (splénomégalie).
La rate, organe chargé de générer une réponse immunitaire face aux microbes contenus dans le sang, a également pour fonction de filtrer le sang pour détruire et éliminer les globules rouges anormaux ou infectés. Ce volume anormalement élevé de la rate chez les porteurs chroniques de parasites s’explique en partie par l’accumulation de globules rouges altérés par l’infection qui sont retenus dans la rate pour y être ensuite détruits et éliminés. Cette fonction d’élimination des globules anormaux est utile mais n’est pas sans effet secondaire. En effet, la rate retenant les globules rouges infectés ou altérés, la proportion de globules rouges dans le sang circulant diminue fortement jusqu’à provoquer des anémies sévères voire mortelles, en particulier chez les nourrissons.
En Papouasie indonésienne, le chercheur Steven Kho (premier auteur de la correspondance) a recueilli des fragments de rates humaines suite à des interventions chirurgicales urgentes après accidents de la route. L’examen de ces fragments de rate, par des méthodes validées sur des rates humaines infectées expérimentalement en France, a montré que presque tous ces sujets, pourtant sans symptômes de paludisme, étaient porteurs de parasites. De plus, la concentration des globules rouges infectés était 20 à 4000 fois plus élevée dans la rate humaine que dans le sang circulant. Certains sujets avaient d’ailleurs des parasites dans la rate mais aucun dans le sang circulant. De surcroît, une partie des parasites recueillis à partir de ces fragments étaient cultivables donc vivants. Cette observation majeure indique que la rate ne serait pas seulement le lieu de destruction et d’élimination des globules rouges infectés mais aussi un abri pour la persistance du parasite à long terme. Ceci expliquerait donc en partie la difficulté à éradiquer certaines espèces de ce parasite, en particulier Plasmodium vivax qui prédomine en Asie et en Amérique Latine.
Plasmodium vivax se développe exclusivement dans les très jeunes globules rouges (réticulocytes). L’analyse de rates humaines par les mêmes équipes a montré qu’en plus de l’accumulation des parasites, il y a aussi une accumulation de réticulocytes dans la rate. Ces résultats indiquent qu’une fois sortis de la moelle osseuse où ils sont produits, les réticulocytes séjournent dans la rate avant d’intégrer la circulation sanguine. Dans la rate des porteurs chroniques de parasites, les réticulocytes sont donc à proximité immédiate des globules rouges infectés par le parasite toujours vivant. Une part importante de ces réticulocytes est alors à son tour infectée par le parasite avant de rejoindre le sang circulant et de propager in fine l’infection dans la population via le moustique. Il semble donc que l’essentiel du cycle de Plasmodium vivax se produise en réalité quasiment entièrement dans la rate, où ce parasite trouve précisément les globules rouges jeunes dont il a besoin pour persister et se multiplier.
Ces observations modifient la vision générale de l’infection palustre, qu’il convient de considérer désormais beaucoup plus comme une infection de la rate que comme une infection du sang circulant.
Références
Evaluation of splenic accumulation and colocalization of immature reticulocytes and Plasmodium vivax in asymptomatic malaria: A prospective human splenectomy study. Kho S, Qotrunnada L, Leonardo L, Andries B, Shanti PAI, Fricot A, Henry B, Hardy D, Margyaningsih NI, Apriyanti D, Puspitasari AM, Prayoga P, Trianty L, Kenangalem E, Chretien F, Brousse V, Safeukui I, del Portillo HA, Fernandez-Becerra C, Meibalan E, Marti M, Price RN, Woodberry T, Ndour PA, Russell BM, Yeo TW, Minigo G, Noviyanti R, Poespoprodjo JR, Siregar NC, Buffet PA*, Anstey N*.
* Contributed equally
Hidden Biomass of Intact Malaria Parasites in the Human Spleen. Kho S, Qotrunnada L, Leonardo L, Andries B, Wardani PAI, Fricot A, Henry B, Hardy D, Margyaningsih NI, Apriyanti D, Puspitasari AM, Prayoga P, Trianty L, Kenangalem E, Chretien F, Safeukui I, Del Portillo HA, Fernandez-Becerra C, Meibalan E, Marti M, Price RN, Woodberry T, Ndour PA, Russell BM, Yeo TW, Minigo G, Noviyanti R, Poespoprodjo JR, Siregar NC, Buffet PA*, Anstey NM
*Contributed equally
DOI: 10.1056/NEJMc2023884
Le paludisme est une maladie infectieuse potentiellement mortelle due à plusieurs espèces de parasites appartenant au genre Plasmodium. Le parasite, qui s’installe dans les globules, rouges, est transmis à l’homme par la piqûre de moustique infecté. Cette maladie touche une centaine de pays dans le monde, particulièrement les zones tropicales défavorisées d’Afrique (90% des cas), d’Asie et d’Amérique Latine. Environ 40% de la population mondiale est exposée à la maladie et 500 millions de cas cliniques sont observés chaque année. On dénombre plus de 400 000 de victimes par an dans le monde. La situation est d’autant plus préoccupante que depuis plusieurs années les parasites développent des résistances aux molécules antipaludiques et les moustiques craignent de moins en moins les insecticides. Aujourd’hui, aucun vaccin n’est largement disponible mais des molécules comme l’atovaquone-proguanil, la doxycyline, les thérapies combinées à base d’artémisinine peuvent être utilisées en prévention ou en traitement. Dans les régions où le paludisme est hautement endémique, certains individus, suite à de nombreuses années d’infection chronique par le parasite, tolèrent sa présence et développent une immunité naturelle. Les mécanismes de cette adaptation du parasite à l’être humain restent mal compris. Parallèlement, les sujets ayant peu ou pas de symptômes de paludisme peuvent rester longtemps porteurs de parasites, ce qui complique l’éradication de la maladie.
Pierre Buffet
PU-PH de Biologie cellulaire, Faculté de Santé, Université Paris Cité
UMRS 1134 – Inserm – Université Paris Cité
Institut National de la Transfusion Sanguine
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