À l’occasion du Mois sans tabac, la professeure Florence Vorspan, spécialiste des addictions, explique pourquoi le tabac crée une dépendance si puissante et comment la recherche peut aider à s’en libérer. Entre avancées scientifiques et conseils pratiques, cet éclairage vise à mieux appréhender l’addiction et accompagner celles et ceux qui souhaitent arrêter.
© ARS Ile-de-France
Florence Vorspan est professeure des universités et praticien-hospitalier (PU-PH) à l’UFR de Médecine de l’Université Paris Cité et directrice du tout nouvel Institut Hors-Murs « Addictions », créé en septembre 2025. Ses travaux de recherche portent sur les troubles liés à l’usage de substances, notamment la cocaïne, les innovations thérapeutiques en addictologie et les complications médicales associées au sevrage. Elle nous éclaire sur la dépendance au tabac, les avancées de la recherche et les leviers aujourd’hui disponibles pour aider les fumeuses et fumeurs à arrêter.
L’addiction au tabac, c’est quoi ?
L’addiction se définit avant tout par une incapacité à s’arrêter de consommer.
« La question centrale à se poser est simple : est-ce que je peux m’abstenir de consommer ? », explique Florence Vorspan. Dans le cas du tabac, la quasi-totalité des fumeuses et fumeurs sont dépendants : « Contrairement à d’autres drogues, le tabac agit directement sur les circuits cérébraux du plaisir. C’est la drogue la plus addictive. »
La nicotine, principale substance active du tabac, est un puissant psychostimulant. Ayant une forme similaire à l’acétylcholine, un neurotransmetteur impliqué dans de nombreuses fonctions cognitives, la nicotine va prendre sa place sur les récepteurs nicotiniques pour les activer et produire immédiatement la libération de dopamine, la molécule de la récompense.
« La voie d’administration du tabac est extrêmement rapide : la fumée atteint les alvéoles pulmonaires, entre en contact avec une très grande surface d’échange de capillaires sanguins et se dirige vers le cerveau en seulement quelques minutes. C’est l’une des raisons pour lesquelles le tabac crée une dépendance si forte. », ajoute la professeure.
L’effet agréable procuré par la cigarette est de courte durée, ce qui conduit les fumeuses et fumeurs à répéter le geste de nombreuses fois dans la journée. À cela s’ajoute un syndrome de sevrage particulièrement inconfortable : impatience, irritabilité, troubles du sommeil, fatigue, dépression, etc.
« Sans traitement adapté, les symptômes peuvent être très difficiles à supporter. »
Un lien désormais bien établi entre tabac et santé mentale
La dépendance au tabac est aujourd’hui reconnue comme une maladie addictologique. Elle touche de manière encore plus marquée les personnes souffrant de dépression, de schizophrénie ou encore de troubles anxieux, qui développent une dépendance plus rapidement et ressentent plus intensément les symptômes de sevrage.
Florence Vorspan insiste également sur une idée reçue : le tabac ne soulage pas l’anxiété.
« Chez les personnes anxieuses, la nicotine peut même déclencher des attaques de panique. L’impression d’apaisement que ressent le fumeur ne dure que quelques heures. Dès que le taux de nicotine baisse, le manque réapparaît, et l’on associe à tort la cigarette à une forme de soulagement. C’est un cercle vicieux. »
Ce que la recherche apporte aujourd’hui
Les quinze dernières années ont vu émerger des moyens thérapeutiques efficaces pour accompagner l’arrêt du tabac. L’un des piliers est la substitution nicotinique, dont l’efficacité a été largement démontrée dans de grandes études internationales. Patchs, gommes ou pastilles, lorsqu’ils sont bien utilisés et prescrits par un professionnel de santé, augmentent significativement les chances de réussite.
D’autres traitements existent, comme la varénicline, issue de la recherche sur les récepteurs nicotiniques — un domaine où excelle l’équipe Vulnérabilité aux troubles mentaux, dirigée par Morgane Besson, chercheuse en neurobiologie, au sein de l’unité Neurobiologie intégrative des systèmes cholinergiques de l’Institut Pasteur.
Des travaux de recherche visent également à développer de nouveaux traitements en concevant des molécules capables de cibler précisément certaines sous-unités des récepteurs nicotiniques, responsables de la dépendance, sans perturber les autres signaux naturels indispensables au bon fonctionnement du cerveau.
Une baisse du tabagisme, mais une vigilance nécessaire
Les chiffres récents de Santé publique France indiquent une baisse historique du tabagisme : en 2024, 25 % des adultes (18-75 ans) déclarent fumer, dont 18 % quotidiennement, contre 32 % et 25 % en 2021. Cette diminution est particulièrement notable chez les jeunes, mais Florence Vorspan appelle à la prudence face à la montée des cigarettes électroniques jetables, les « puffs ». La loi du 24 février 2025 vise d’ailleurs à interdire ces dispositifs à usage unique.
« Elles contiennent de la nicotine et de nombreux arômes attractifs. Si elles constituent une aide pour un adulte déjà fumeur, c’est une bonne chose. Mais si elles deviennent un moyen d’initier les jeunes au tabagisme, c’est très préoccupant. »
Le Mois sans tabac : l’occasion pour tenter d’arrêter
Chaque année, le Mois sans tabac encourage les fumeuses et fumeurs à arrêter de fumer pendant 30 jours. Cet événement emblématique porté par Santé Publique France célèbre sa 10ème édition et rappelle qu’un mois sans fumer, c’est cinq fois plus de chances d’arrêter.
« Tout ce qui contribue à dénormaliser le fait de fumer est utile. L’objectif n’est plus seulement d’aider les fumeuses et fumeurs à arrêter, mais aussi d’envoyer un message clair aux plus jeunes : il ne faut pas commencer. », témoigne Florence Vorspan.
L’accompagnement médical ou paramédical dans l’arrêt du tabac augmente fortement les chances de réussite. Les ressources sont nombreuses : substituts nicotiniques, suivis psychologiques, outils numériques d’aide à l’arrêt, sans oublier les plateformes spécialisées comme Tabac Info Service, qui proposent de nombreux conseils et soutiens téléphoniques.
La spécialiste tient à encourager celles et ceux qui profitent du mois de novembre pour tenter l’arrêt : « Le tabac est une drogue dure, donc il ne faut pas hésiter à se faire aider par des professionnels de santé. Vouloir arrêter est déjà une très bonne chose, et tous les essais comptent. »
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