L’étude du cycle profond du carbone permet d’estimer les flux naturels de carbone entre la Terre profonde et sa surface, régulant ultimement le climat de notre planète. Ce cycle reste encore méconnu car l’intérieur de la Terre n’est pas directement accessible. Via l’étude d’échantillons expulsés par des volcans de boue situés près de la fosse des Mariannes, une équipe de chercheurs de l’Institut de physique du globe de Paris (Université Paris Cité/IPGP/CNRS) a mis en évidence la formation à haute pression et le piégeage de carbone organique solide dans la lithosphère. Cette découverte, parue dans Science Advances, lève le voile sur un réservoir majeur de carbone organique profond.

Photographie d’une carotte du volcan de boue Yinazao. La boue contient des morceaux centimétriques de manteau hydraté ayant été arrachés lors de la remontée de la boue vers la surface.

Source : IODP Expedition 366 Closeup images [Data set]. https://doi.org/10.5281/zenodo.3787322

Le recyclage du carbone vers les profondeurs de la Terre est bien moins contraint que le cycle externe du carbone et la durée de ces processus est à priori trop longue pour contrecarrer l’augmentation du CO2 anthropique dans l’atmosphère. Son étude est pourtant fondamentale car le piégeage du carbone en profondeur empêche que celui-ci soit intégralement rejeté vers l’atmosphère (comme c’est le cas pour Vénus). Il maintient donc des conditions propices à l’existence de la vie.

Au niveau de la subduction des Mariannes, la lithosphère océanique pacifique s’enfouit sous la plaque des Philippines. Cette zone de subduction est unique au monde car elle abrite des volcans de boue qui permettent la remontée de morceaux de manteau hydraté issus de profondeurs de plus de 15 km. Des échantillons de ce manteau profond ont été collectés entre 2016 et 2017 aux abords de la fosse des Mariannes, lors de l’expédition internationale 366 du programme de forages océaniques IODP (International Ocean Discovery Program).

Grâce à la combinaison de nouvelles approches de micro-imagerie et de géochimie isotopique développées au sein de l’équipe de Géomicrobiologie de l’Institut de physique du globe de Paris (Université Paris Cité, CNRS), du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CRPG, CNRS/Université de Lorraine) et du laboratoire GeoRessources (CNRS/Université de Lorraine), une équipe de chercheurs internationaux a pu mettre en évidence la formation d’un type de carbone encore jamais observé dans des roches mantelliques de haute pression : du carbone organique solide abiotique (c’est-à-dire formé sans l’action du vivant). Celui-ci se formerait par réduction de carbonates volatilisés lors de la déshydratation de la plaque plongeante pacifique, c’est-à-dire à des profondeurs de 25 km sous le plancher océanique. Cette découverte met en lumière un nouveau réservoir de carbone dans la Terre profonde.

Les quantités de carbone organique solide formé abiotiquement à haute pression et stocké dans le manteau pourraient représenter 0,05 à 0,39 mégatonnes de carbone par an. Ainsi, jusqu’à 54 % du carbone embarqué vers les profondeurs de la planète dans la zone de subduction des Mariannes seraient stockés sous forme de carbone organique. Ces estimations montrent que le cycle du carbone profond pourrait être dominé par des composés organiques solides d’origine abiotique qui étaient jusqu’ici observés uniquement proche de la surface dans des systèmes hydrothermaux. Le devenir de ce nouveau réservoir de carbone reste à déterminer. Sa stabilité pourrait être influencée par la tectonique des plaques. Notamment, la formation des chaînes de montagnes, qui est le lieu de rencontre de deux plaques continentales lors de la fermeture d’un océan via la subduction, faciliterait la volatilisation du carbone organique solide contenu dans ce réservoir et favoriserait le développement de la vie, non pas dans les océans, mais dans les continents.

 

Référence :
High-pressure synthesis and storage of solid organic compounds in active subduction zones, B. Debret, B. Ménez, B. Walter, H. Bouquerel, P. Bouilhol, N. Mattielli, C. Pisapia, T. Rigaudier and H.M. Williams, Science Advances, 16 Sep 2022, Vol 8, Issue 37,
DOI: 10.1126/sciadv.abo2397

 

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