Dans une récente étude conduite conjointement par les équipes de recherche des professeurs Antonio Monari (Laboratoire ITODYS, Université Paris Cité – CNRS) et Leticia Gonzalez (Département de chimie, Université de Vienne (Autriche)), les chercheurs se sont intéressés aux inhibiteurs du transporteur de sérotonine, transporteur dont le dysfonctionnement peut engendrer des troubles neuropsychiatriques. Ils ont mis à jour les propriétés spécifiques aux molécules dérivées de l’escitalopram, médicament utilisé dans le traitement de la dépression. Ces dérivés sont capables de changer de structure lorsqu’ils sont éclairés par de la lumière visible. Selon qu’ils sont éclairés ou non, ces dérivés agissent comme des interrupteurs moléculaires capables d’inhiber le transporteur. Ce comportement ouvre des perspectives intéressantes pour permettre de contrôler, avec des stimuli lumineux, l’activité du système nerveux central.
© N.-K.-Singer-L.-Gonzalez-A.-Monari
Le cerveau est composé de 100 milliards de neurones interconnectés et distribués dans différentes aires cérébrales. Pour faire circuler l’information dans le cerveau, la présence de molécules appelées neurotransmetteurs est nécessaire. Leur mode d’action est régi de manière fine dans le temps et tout dysfonctionnement peut provoquer des troubles neurologiques. Comprendre comment l’information est transmise dans les réseaux de neurones est donc primordial pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau en conditions physiologiques et pathologiques.
Rôle du neuromédiateur et de son transporteur
Dans le cerveau, les informations sont transportées par les neurones sous forme de signaux électriques qui se propagent le long des axones jusqu’à leur extrémité constituée de dendrites. Pour passer d’un neurone à l’autre, l’information doit sortir du 1er neurone pour entrer dans le 2e en traversant la synapse, zone d’influence entre neurones qui ne se touchent pas. Le signal électrique doit donc être transformé en message chimique. L’arrivée du signal électrique au niveau des dendrites provoque la libération par le 1er neurone de molécules appelées neurotransmetteurs qui se déversent dans la synapse. Ce message chimique perçu par le 2e neurone est converti en un nouveau signal électrique qui se propage ainsi de proche en proche, de neurone en neurone. Le neurotransmetteur émis par le 1er neurone ne devant pas rester trop longtemps et s’accumuler dans la synapse, il est recapté par le 1er neurone grâce à l’intervention d’une protéine : le transporteur du neuromédiateur.
Les équipes des professeurs Antonio Monari (Université Paris Cité) et Leticia Gonzalez (Université de Vienne, Autriche) étudient les transporteurs d’un neurotransmetteur spécifique, la sérotonine. Ces transporteurs sont des protéines clés du système nerveux centrale et leur dysfonctionnement peut engendrer des troubles neuropsychiatriques comme des syndromes dépressifs. Par exemple, lorsque le transporteur fonctionne trop et recapte trop rapidement la sérotonine, celle-ci ne reste pas suffisamment longtemps dans la synapse pour avoir le temps de passer le message du 1er au 2e neurone. Dans ce cas, le traitement consiste à administrer une molécule qui inhibe temporairement l’action du transporteur. Cette molécule se fixe en lieu et place de la sérotonine sur le récepteur, l’empêchant de se lier à son transporteur ce qui la maintient le temps nécessaire dans la synapse pour passer l’information au 2e neurone avant d’être recaptée par son transporteur et réintégrée dans le 1er neurone. C’est ainsi que les inhibiteurs des transporteurs de la sérotonine, c’est-à-dire des molécules capables de bloquer la fonctionnalité de ces protéines, sont souvent utilisés comme agents antidépresseurs.
De la molécule à l’interrupteur moléculaire
Les chercheurs de l’équipe du Pr L. Gonzalez à Vienne, dans le cadre du projet Moltag, se sont intéressés à ces inhibiteurs et plus particulièrement à une molécule dérivée du médicament utilisé contre la dépression (Escitalopram). Ce dérivé moléculaire (azo-escitalopram) a la particularité de changer de structure lorsqu’il est exposé à de la lumière visible. Ils se sont notamment aperçu que selon la forme de la molécule, (exposée ou non à la lumière) son interaction avec les transporteurs de sérotonine n’était pas la même. Cette observation, intéressante pour les perspectives de correction du comportement du transporteur de sérotonine a ouvert la voie à une collaboration franco-autrichienne. L’équipe du Pr A. Monari à Paris, s’est alors attachée à modéliser ces modifications de structure et à comprendre les mécanismes d’interaction avec le transporteur de sérotonine.
Ils ont travaillé en insérant, au laboratoire, le transporteur de sérotonine dans une membrane de neurone. Ils ont ensuite regardé les interactions entre ce transporteur et les 2 structures de l’azo-escitalopram, éclairée vs non éclairée pour enfin modéliser les différentes situations : 1-transporteur seul dans la membrane, 2- transporteur lié à la molécule éclairée 3- transporteur lié à la molécule non éclairée. Ils ont alors observé que les deux structures d’azo-escitalopram se fixent au même endroit sur le transporteur mais celle issue de la molécule exposée à la lumière crée d’avantage d’interactions avec le transporteur, donc rigidifie sa structure et rend plus difficile son relargage. Ceci permet donc d’inhiber davantage et plus longtemps le transporteur vis-à-vis de la sérotonine, empêchant la recapture de la sérotonine, ce qui pourrait donc rétablir un fonctionnement normal dans la zone cérébrale concernée.
Ces travaux ouvrent des perspectives intéressantes pour permettre de contrôler l’activité du système nerveux central avec des stimuli lumineux dans une optique optogénétique ou thérapeutique, et de mieux comprendre le fonctionnement à l’échelle moléculaire et cellulaire de la réponse neurologique.
Ces travaux ont fait l’objet de la couverture de la revue The Journal of Physical Chemistry Letters et ont été mené conjointement par l’équipe du Prof. Antonio Monari (ITODYS Paris Cité) et du Prof. Leticia Gonzalez (University of Wien), deux universités membres de l’alliance européenne CircleU. Ils contribuent donc à montrer la force et l’intérêt de la collaboration européenne entre universités de recherche intensive.
Référence
Molecular Photoswitches Regulating the Activity of the Human Serotonin Transporter
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