Une étude menée par Mathilde Espinasse et Stéphane Corbel (UMR 7158, Astrophysique, Instrumentation, modélisation – Université Paris Cité), avec l’aide d’une quinzaine de chercheurs internationaux, vient d’être publiée dans The Astrophysical Journal Letters. Elle nous en apprend davantage sur la façon dont les trous noirs éjectent de la matière qui interagit ensuite fortement avec l’environnement. Explications en compagnie de Stéphane Corbel, astrophysicien et professeur à Université Paris Cité.

Photographie du système MAXI J1820+070 par le téléscope Chandra

Un an après la première photo d’un trou noir, cet objet céleste continue de fasciner et de révéler certains de ses mystères. Grâce au télescope américain Chandra – « ce qui se fait de mieux en termes de finesse d’image dans le domaine des rayons X » précise Stéphane Corbel –, une équipe d’astronomes menée par la doctorante Mathilde Espinasse de l’Université Paris Cité a réussi à filmer d’impressionnants jets de matière autour d’un trou noir situé à 10 000 années-lumière de la Terre. « Le premier phénomène de ce type a été découvert en 2002, un autre vers 2004 ou 2005 par la même équipe. C’est la troisième fois seulement qu’on l’observe. On pense que c’est un phénomène beaucoup plus fréquent mais difficile à détecter ».

 

Comment fonctionnent les trous noirs ?

« Il y a deux principales populations de trous noirs. Les premiers sont les supermassifs qui font quelques millions voire quelques milliards de fois la masse du soleil et qui se trouvent au cœur des galaxies. C’est l’un d’eux qu’on a pu voir en photo l’an dernier. Et il y a les trous noirs stellaires qui font environ dix fois la masse du soleil et sont souvent des résidus d’étoiles massives » explique Stéphane Corbel. Le système observé par Chandra – appelé MAXI J1820+070 – est composé d’un trou noir stellaire et d’une étoile compagnon. « Quand elles se forment, les étoiles sont en général en couple et n’ont pas forcément la même masse. Notre soleil qui vit seul peut aller jusqu’à dix milliards d’années, mais une étoile très massive vivra seulement quelques dizaines de millions d’années. Quand une étoile massive disparaît et si elle ne perd pas trop de masse, son cœur va s’effondrer pour potentiellement former un trou noir. On obtient ainsi un système binaire formé d’un trou noir et de l’étoile compagnon. Plus rien ne s’oppose alors à la gravité et le trou noir va attirer vers lui, petit à petit, la matière de son étoile compagnon ».

 

Du nouveau sur les phénomènes d’accrétion et d’éjection

Cette matière attirée inexorablement par le trou noir forme ce que l’on appelle le disque d’accrétion – ce fameux motif circulaire qui entoure les trous noirs et dont la découverte avait valu le Prix Nobel à Riccardo Giacconi en 2002. Les images prises par Chandra – entre novembre 2018 et juin 2019 – ont enregistré des jets de matière s’échappant perpendiculairement au disque d’accrétion à une vitesse considérable. « À chaque fois qu’on observe un phénomène d’accrétion, on se rend compte qu’il est accompagné par un phénomène d’éjection de matière, sans doute dû à un champ magnétique ancré dans le disque d’accrétion ». Les chercheurs estiment qu’environ 400 000 milliards de tonnes s’échappent de ce trou noir, l’équivalent d’environ mille comètes de Halley ou de 500 millions de fois la masse de l’Empire State Building. Stéphane Corbel apporte quelques précisions : « On s’est rendu compte que quand cette matière s’éloigne du trou noir, des particules sont accélérées fortement. Nous pensons que cette accélération est due à une interaction avec le milieu extérieur. L’énergie des particules présentes dans les jets est encore plus grande que lors de l’éjection initiale ».

À quelle vitesse exactement les jets de matière s’éloignent-ils du trou noir ? Vus de Terre, certains jets semblent aller plus vite que la vitesse de la lumière ! « C’est une illusion d’optique, un effet superluminique, prévient Stéphane Corbel. On pense que la vitesse d’éjection est supérieure à 80% de celle de la vitesse de la lumière. Au centre de l’image on voit une source dont l’intensité décroît : c’est le disque d’accrétion, c’est-à-dire la matière qui tombe sur l’objet central ».

 

Prochaines étapes

Ces nouvelles observations devraient permettre d’en apprendre davantage sur les jets de matière produits par les trous noirs stellaires et sur la manière dont ils interagissent avec leur environnement en libérant leur énergie considérable. Stéphane Corbel conclut : « La prochaine étape est de quantifier la fraction de trous noirs produisant ce type de phénomènes et de comprendre pourquoi certains n’en produisent peut-être pas. Il faut aussi que l’on précise les modalités d’interaction avec les milieux environnants. Si une telle énergie est restituée autour du trou noir, elle va potentiellement permettre la formation de nouvelles étoiles… Mieux comprendre les phénomènes d’accrétion et d’éjection va nous permettre de trouver des lois d’échelle et de mieux documenter la formation des structures de l’univers ».

Paire de jets de matière éjectée par le trou noir (source au centre)

 

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