L’Octopus Journal a rencontré Sylvie Tissot, sociologue, professeure au département de sciences politiques de l’université Paris 8, pour un échange autour du « pouvoir des mots ».
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Image : rawpixel-unsplash
Interview : Je ne suis pas sexiste, mais…
« Comment donner plus de liberté à une femme ? En agrandissant la cuisine », la langue française regorge de nombreuses blagues sexistes et racistes. Derrière la façade humoristique, c’est un imaginaire discriminant qui s’exprime à travers la langue. Il s’agit du « pouvoir des mots », explique Sylvie Tissot.
Sylvie Tissot, quels pouvoirs ont les mots dans notre vision du monde ?
Les mots jouent un rôle très important dans le système patriarcal. D’abord, c’est à travers eux que s’exerce la domination. Celle-ci se traduit par des inégalités de ressources (par exemple le fait que les femmes gagnent un salaire moins élevé que les hommes), par des violences physiques, mais aussi par des violences psychologiques : insultes et dénigrement accompagnent ainsi systématiquement les violences physiques. Les compliments faits aux femmes par des hommes, « t’es jolie », ou encore pire « t’es bonne », sont aussi des formes de violence, car ils font des femmes, réduites à leur physique, les objets du désir masculin.
Mais les mots sont aussi importants, parce qu’ils permettent de naturaliser les hiérarchies : une opération consistant à faire apparaître quelque chose de violent comme quelque chose de naturel, donc de normal. Des expressions comme « instinct maternel » véhiculent par exemple l’idée que les femmes, plus que les hommes, sauraient et devraient s’occuper des enfants.
Ces violences sont souvent reproduites à travers des blagues. Quel est leur pouvoir ?
On parle souvent de blagues sexistes et racistes, mais il est important de rappeler qu’elles ne font rire que ceux qui les font et leurs complices. Pas du tout celles et ceux qui en font l’objet, car ces blagues entretiennent et reposent sur des stéréotypes très violents. On peut penser aux sketchs de l’humoriste Michel Leeb, à son imitation des noirs et de leur « accent ». Un sénateur du parti La République en Marche, plus récemment, se moquait du « pot de peinture » que la sénatrice Esther Benbassa aurait sur le visage en guise de maquillage. Il s’est défendu en mettant en avant son « humour », mais derrière, il y avait un propos insultant et méprisant.
Bien souvent, on dit à ceux et celles qui protestent « ah mais vous n’avez pas d’humour » ou « vous êtes rabat-joie ». Il y a là une violence supplémentaire : demander aux femmes qui sont objet de blagues sexistes, de trouver drôle des propos qui les humilient.
Une phrase qui commence par « Je ne suis pas raciste/sexiste mais… » est-elle moins violente ?
C’est une phrase très répandue et elle est d’emblée problématique, car l’assertion selon laquelle « on n’est pas raciste/sexiste » ne devrait pas faire l’objet de réserve. Elle devrait être évidente dans la mesure où le racisme et le sexisme sont éminemment condamnables. Or le « mais » indique que cette idée peut être nuancée.
En outre, le « mais » est une sorte de précaution oratoire qui permet, une fois posée, d’exprimer les pires stéréotypes. Par exemple : « je ne suis pas raciste, mais il faut bien reconnaître les délinquants sont surtout des Noirs et des Arabes » ou encore « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Quelles peuvent-elles être les mesures à prendre pour éviter ces phrases problématiques ? Faut-il interdire des mots ?
Personne aujourd’hui n’est en mesure d’interdire l’usage de certains mots et ce n’est probablement pas souhaitable dans une société démocratique. Il faut toutefois rappeler qu’il y a des comportements tout simplement prohibés par la loi, comme l’insulte publique et le harcèlement moral et sexuel.
Ce qui m’apparaît très important, c’est de réagir au quotidien lorsqu’on entend des phrases problématiques. C’est tout particulièrement le cas des hommes qui se considèrent comme pro-féministes. Les auteurs des blagues sexistes comptent sur leur auditoire masculin pour exprimer leur sexisme en toute impunité. Il faut prendre l’habitude de ne pas laisser passer cela.
Comment réagir ? En dénonçant, en déconstruisant le propos en question, en expliquant ou en faisant d’autres blagues qui, au lieu d’humilier les femmes, vont ridiculiser les hommes sexistes ou leurs comportements machistes qui, il faut le reconnaître, en plus d’être détestables sont le plus souvent grotesques.
Cet article a été écrit par Guénolé Carré et Daniel Peyronel et est tiré de L’Octopus Journal, mensuel de vulgarisation scientifique édité par les étudiants d’Université Paris Cité.
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