L’été revient, et avec lui les moustiques, les guêpes, les mouches et autres insectes qui peuvent rapidement nous faire vivre un enfer. Pourtant, à en croire Pierre Kerner et Adrien Perrard, enseignants-chercheurs à Université Paris Cité et spécialistes de la vie des insectes, il faut surtout apprendre à mieux les connaître. Rencontre dans les jardins Abbé Pierre, au pied des Grands Moulins.

 

Pierre Kerner et Adrien Perrard, dans les jardins Abbé Pierre aux Grands Moulins.

© Université Paris Cité

Quel serait l’insecte d’été le plus étonnant pour vous ?

Adrien Perrard : Je suis toujours fasciné par les vers luisants et les lucioles qui communiquent en faisant de la lumière grâce à une molécule appelée la luciférine. Malheureusement on en voit de moins en moins, d’une part à cause des produits que les gens utilisent pour tuer les limaces, leur plat principal, et d’autre part en raison de la pollution lumineuse. On a de plus en plus de lampadaires partout, ce qui rend les vers luisants « aphones ».

Pierre Kerner : Pour ma part je pense aux cigales dont le cycle de vie est très particulier. Certaines peuvent vivre à l’état larvaire près de 20 ans sous terre. Au bout de quelques années, elles sortent toutes en même temps, grimpent dans les arbres et entament leur parade nuptiale. Si vous observez les arbres où elles se trouvent, vous verrez leurs mues collées à l’écorce. Quand on les entend chanter, elles sont en fait à la fin de leur cycle, ce sont les quelques dernières notes avant de se reproduire et de mourir.

Adrien Perrard : Les cigales peuvent passer plusieurs années sous terre à l’état larvaire. La durée de leur cycle est très variable et, chose étonnante, correspond en général à un nombre premier : 3 ans, 7 ans, 17 ans… Cette durée leur permettrait de mieux échapper à leurs prédateurs : ils ont plus de mal à se synchroniser avec ces rythmes et donc à être préparés quand les cigales apparaissent.

 

Pendant longtemps la société ne prêtait guère attention à la vie des insectes. Ne serait-ce pas en train d’évoluer ?

Adrien Perrard : Sur ce point je suis assez réservé. Certains messages – sur le rôle des abeilles ou celui des pollinisateurs – sont entendus, mais on ne peut pas dire que la perception du public à l’égard des insectes évolue. Les réactions sont toujours très émotives, voire viscérales. Les insectes ont mauvaise réputation et sont victimes d’associations malheureuses. Citons simplement tous les insectes associés à la mort, à la putréfaction, aux déjections et qui vivent dans des milieux qui nous répugnent.

 

Ils ont pourtant une utilité.

Pierre Kerner : Attention à la notion d’utilité qui n’a pas de valeur scientifique. Un insecte n’est jamais « inutile ». Même les moustiques qui nous ennuient tant l’été ont un rôle écologique essentiel. À l’état larvaire ils servent de nourriture à de nombreux animaux et filtrent l’eau. Sans eux les cours d’eau et la faune qui y vit seraient en péril.

Adrien Perrard : Effectivement parler d’utilité implique des valeurs morales qui n’ont pas leur place dans l’histoire de l’évolution et l’équilibre des écosystèmes. Simplement sans les insectes, le bois mettrait plus de temps à se décomposer, les champs seraient couverts de bouses de vache, les populations d’insectes ne seraient pas régulées, etc. Les guêpes par exemple ont mauvaise réputation, notamment comparées aux abeilles qui produisent du miel et de la cire. Pourtant elles participent aussi à la pollinisation et jouent un rôle important dans les écosystèmes. Sans elles, on aurait beaucoup plus de mouches et de chenilles qui mangeraient les plantes.

 

Néanmoins n’y a-t-il pas une meilleure prise de conscience quant à la nécessaire survie des insectes ?

Adrien Perrard : Oui mais je distinguerais la prise de conscience institutionnelle de la prise de conscience citoyenne. En l’espace de quelques décennies, des mesures fortes ont été prises, comme le plan « zéro phyto » lancé en 2017 et interdisant l’utilisation de pesticides dans les espaces verts publics. Par ailleurs les villes accordent une meilleure place à la biodiversité qu’auparavant. Au niveau individuel en revanche, c’est plus nuancé. Certes il y a plus de gens qui regardent attentivement ce qui se passe sous leurs pieds et autour d’eux. Mais nous sommes de plus en plus déconnectés de la campagne et de moins en moins nombreux à grandir au milieu des insectes. La conséquence est qu’ils nous paraissent encore plus étrangers qu’avant…  

Pierre Kerner : C’est d’autant plus étonnant que la vraie success story dans l’histoire de l’évolution, ce n’est pas nous ni même les plantes, mais bien les insectes. À l’échelle du vivant, les insectes représentent le groupe comptant le plus d’espèces répertoriées – environ 1,5 million d’espèces, et la diversité est telle que le chiffre est sans doute supérieur. Si notre espèce disparaissait, c’en serait terminé d’Homo sapiens et du genre Homo. En revanche si une espèce de mouche disparaissait, il en resterait toujours une bonne centaine pour perpétuer leur lignée.

 

Une manière de faire évoluer le regard sur les insectes serait de développer les sciences participatives. Pouvez-vous nous dire deux mots du Défi Nature Urbaine que vous avez organisé à Paris au printemps ?

Pierre Kerner : C’est la déclinaison française du City Nature Challenge lancé en 2016 par la California Academy of Sciences et la National Geographic Society qui ont créé l’application iNaturalist permettant d’identifier le vivant autour de soi, principalement en milieu urbain. Pendant 4 jours et grâce à cette appli, les participants ont réalisé des inventaires de la faune et la flore autour d’eux. C’est un super outil, qui permet par exemple d’observer les changements liés au réchauffement climatique en identifiant quels insectes habituellement observés en juillet apparaissent dès le mois de mai désormais…

Adrien Perrard : L’objectif est de mettre les citoyens à contribution pour récolter des données et poursuivre nos recherches, mais il s’agit aussi de sensibiliser le public au vivant.

Pierre Kerner : Plutôt que d’écraser les insectes et de réfléchir aux meilleures manières de s’en débarrasser, on vous propose d’installer cette application sur votre smartphone et de prendre le temps de mieux connaître les insectes qui vous entourent. Une partie des images et des sons récoltés lors du challenge serviront pour une exposition prévue cet automne à l’université, organisée avec le Pôle culture et intitulée Biodiver’Cité. Nous aurons l’occasion d’en reparler le moment venu !

 

Pierre Kerner est maître de conférences en génétique évolutive du développement à Université Paris Cité, UFR Sciences du vivant. Il est notamment connu pour son blog Strange Stuff and Funky Things où il fait découvrir un nombre impressionnant d’espèces étonnantes, et est l’auteur de Moi, Parasite paru chez Belin en 2018.
Adrien Perrard est maître de conférences à Université Paris Cité en écologie et est spécialisé en biologie évolutive. Il étudie les comportements et l’évolution des abeilles et des guêpes, notamment face aux crises actuelles.

 

 

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