Une grande partie de la population est porteuse de papillomavirus humains (HPVs), et notamment de papillomavirus cutanés, qui provoquent en général des lésions locales et bénignes. Pourtant, de très rares patients dans le monde développent des formes sévères de ces maladies virales, dont le syndrome de « l’homme-arbre ». Très handicapante, cette maladie se manifeste par une poussée anarchique de cornes cutanées pour lesquelles une chirurgie n’est pas efficace. Dans le cadre d’une collaboration internationale, des enseignants-chercheurs, chercheurs et médecins du laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses dirigé par les professeurs Jean–Laurent Casanova et Laurent Abel, à l’Institut Imagine (Inserm/Université Paris Cité, AP-HP) ont mis en évidence pour la première fois une cause génétique de ce syndrome.
© Inserm/U190
Il existe plus de 200 papillomavirus (HPVs). Certains sont à l’origine de lésions cutanées bénignes telles que les verrues vulgaires ou plantaires, d’autres peuvent entraîner des cancers du col de l’utérus. Le laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses s’est concentré sur les HPVs cutanés, et s’attache depuis plusieurs années à comprendre pourquoi quelques très rares cas développent une forme sévère de ces infections généralement sans gravité.
Une mutation génétique rend plus sensible aux papillomavirus cutanés
Dans une publication dans la revue Cell, l’équipe de Vivien Béziat, chercheur Inserm au sein du laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses a étudié les caractéristiques génétiques d’un patient iranien atteint du syndrome de l’homme-arbre, et deux membres de sa famille qui présentent une forme sévère d’infection par un HPV cutané avec un nombre important de verrues sur les mains et les pieds, mais sans avoir développé ce syndrome. Un point commun a été retrouvé chez ces trois patients : une mutation du gène CD28. Celui-ci joue en temps normal un rôle majeur dans l’activation des lymphocytes T, cellules de l’immunité qui détruisent les cellules infectées par un virus.
Chez ces patients, la mutation du gène CD28 empêche le système immunitaire de reconnaitre le virus et de déclencher une réponse appropriée. Le virus prolifère alors dans les kératinocytes, les cellules qui constituent l’épiderme de la peau, et provoque une multiplication anarchique de verrues et/ou de cornes cutanées. C’est la première fois qu’une cause génétique du syndrome de « l’homme arbre » est mise au jour.
Le gène CD28, central pour la résistance à certains papillomavirus cutanés, mais pas pour le système immunitaire
Mais en analysant la mutation CD28, c’est une autre découverte qui a été faite par ces chercheurs. Le gène CD28, jusqu’ici considéré comme un pilier dans le fonctionnement du système immunitaire et la réponse des lymphocytes T, ne semble pas avoir un rôle si majeur. En effet, les trois patients étudiés ont été exposés dans leur histoire médicale à plusieurs types de HPVs et à de très nombreux autres pathogènes. Or, ils n’ont développé de réactions sévères qu’au HPV2 pour le patient atteint du syndrome de l’homme-arbre, et au HPV4 pour les deux membres de la famille.
« Ces patients n’ont montré une sensibilité anormalement élevée qu’à certains papillomavirus du genre gamma-HPV et alpha-HPV. Sur la base des travaux menés au cours des trente dernières années, nous pensions au contraire qu’un dysfonctionnement du gène CD28 rendrait les patients sensibles à de nombreux agents infectieux. Or, même si leur réponse immunitaire est affaiblie, les patients se défendent bien contre les autres pathogènes », explique Vivien Béziat, chercheur à l’Inserm et premier auteur de l’étude. Cette découverte apporte donc à la fois de nouvelles perspectives sur la compréhension de la susceptibilité génétique aux HPVs, et remet en cause les dogmes de réponse immunitaire par les lymphocytes T.
« Aujourd’hui, aucun traitement n’a montré d’efficacité contre le syndrome de « l’homme-arbre ». Une greffe de cellules souches hématopoïétiques afin de remplacer le système immunitaire du patient est envisagée. Ce traitement lourd et coûteux n’est cependant pas facilement accessible aux populations vivant dans des pays moins développés et qui vont évoluer vers des formes très sévères, notamment par manque d’accès aux soins. En faisant progresser la recherche, l’équipe espère pouvoir accélérer l’accès au traitement pour ces patients.
Références
Humans with Inherited T cell CD28 deficiency are susceptible to Skin papillomaviruses but are otherwise healthy
Vivien Béziat1,2,@, Franck Rapaport2,*, Jiafen Hu3,*, Matthias Titeux1,*, Mathilde Bonnet des Claustres1,*, Mathieu Bourgey4,*, Heather Griffin5,*, Élise Bandet1,*, Cindy S. Ma6,7,*, Roya Sherkat8,*, Hassan Rokni-Zadeh9,*, David M. Louis10,*, Majid Changi-Ashtiani11,#, Ottavia M. Delmonte12,#, Toshiaki Fukushima13,#, Tanwir Habib14,#, Andrea Guenoun14,#, Taushif Khan14,#, Noemi Bender15,#, Mahbuba Rahman14,#, Frédégonde About1,#, Rui Yang2,#, Geetha Rao6,7,#, Claire Rouzaud1,16,#, Jingwei Li3,#, Debra Shearer3,#, Karla Balogh3,#, Fatima Al Ali14,#, Manar Ata14,#, Soroosh Dabiri17, Mana Momenilandi18, Justine Nammour1, Marie-Alexandra Alyanakian16, Marianne Leruez-Ville16, David Guenat19, Marie Materna1, Léa Marcot1, Natasha Vladikine1, Christine Soret19, Hassan Vahidnezhad20, Leila Youssefian20, Amir Hossein Saeidian20, Jouni Uitto20, Émilie Catherinot21, Shadi Sadat Navabi22, Mohammed Zarhrate1, David T. Woodley23, Mohamed Jeljeli24, Thomas Abraham3, Serkan Belkaya2, Lazaro Lorenzo1, Jérémie Rosain1,16, Mousa Bayat17, Fanny Lanternier1,16, Olivier Lortholary1,16, Faramarz Zakavi25, Philippe Gros4,26, Gérard Orth27, Laurent Abel1,2, Jean-Luc Prétet19,&, Sylvie Fraitag16,&, Emmanuelle Jouanguy1,2,&, Mark M. Davis28,&, Stuart G. Tangye6,7,&, Luigi D. Notarangelo12,&, Nico Marr14,&, Tim Waterboer15,&, David Langlais4,26,&, John Doorbar5,&, Alain Hovnanian1,16,&, Neil Christensen3,§, Xavier Bossuyt18,§, Mohammad Shahrooei22,18,** and Jean-Laurent Casanova1,2,29,**,@
- University of Paris, Imagine Institute, INSERM U1163, 75015 Paris, France
- The Rockefeller University, New York 10065, NY, USA
- Pennsylvania State University College of Medicine, Hershey, PA 17033, USA
- McGill University, Montreal, QC H3A 0G1, Canada
- University of Cambridge, CB2 1QP, UK.
- Garvan Institute of Medical Research, Darlinghurst, NSW 2010, Australia
- Vincent’s Clinical School, UNSW Sydney, NSW 2052, Australia
- Isfahan University of Medical Sciences, AIRC, Isfahan 81746-73461, Iran
- Zanjan University of Medical Sciences, Zanjan 45139-56184, Iran
- Stanford University Medical School, Stanford, California 94305, USA.
- Institute for Research in Fundamental Sciences (IPM), 19395-5746, Tehran, Iran
- National Institute of Allergy and Infectious Diseases, NIH, Bethesda, MD 20892, USA.
- Institute of Innovative Research, Tokyo Institute of Technology, Yokohama 226-8501, Japan.
- Sidra Medicine, Doha, Qatar
- German Cancer Research Center, 69120 Heidelberg, Germany.
- Necker Hospital for Sick Children, AP-HP, 75015 Paris, France
- Zahedan University of Medical Sciences, 054 Zahedan, Iran
- University of Leuven, 3000 Leuven, Belgium
- Papillomavirus National Reference Center, Besançon Hospital, 25030 Besançon, France
- Thomas Jefferson University, Philadelphia, PA 19107, USA.
- Foch Hospital, 92150 Suresnes, France
- Shahrooei Lab, Ahvaz, Iran
- University of Southern California, Los Angeles, CA 90033, USA
- Cochin University Hospital, AP-HP, 75014 Paris, France.
- Ahvaz Jundishapur University of Medical Sciences, 061 Ahvaz, Iran
- McGill Research Centre on Complex Traits, Montreal, QC H3G 0B1, Canada
- Pasteur Institute, 75015 Paris, France
- HHMI, Stanford University Medical School, Stanford, California 94305, USA.
- HHMI, New York, NY 10065, USA
*,#,&,§, **: Equal contributions
Cell, 1er juillet 2021
DOI : https://doi.org/10.1016/j.cell.2021.06.004
Le laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses est dirigé par les professeurs Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel est situé au sein de l’Institut Imagine à Paris et à l’Université Rockefeller à New York. Jean-Laurent Casanova dirige la génétique et l’immunologie expérimentale dans les deux branches (Paris et New York), tandis que Laurent Abel dirige la génétique et l’épidémiologie mathématique dans les deux branches.
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