En étudiant conjointement les données sismiques et d’observations orbitales liées à deux impacts météoritiques majeurs de fin 2021, les équipes internationales des missions InSight et Mars Reconnaissance Orbiter de la NASA affinent leurs connaissances de l’intérieur planétaire martien. Deux études publiées le 27 octobre dans la revue Science, impliquant de nombreux co-auteurs d’institutions et laboratoires français, dont le CNRS, l’Institut de physique du globe de Paris, Université Paris Cité, et soutenues notamment par le CNES et l’ANR, apportent de nouvelles contraintes permettant de valider et d’affiner les modèles de la structure interne de la planète précédemment proposés, mais aussi de la dynamique des grands impacts et de la physique des ondes de choc atmosphériques.
© IPGP / CNES/ N. Starter
Alors que les impacts de météorites façonnent les surfaces planétaires dans le système solaire, il est rare de pouvoir enregistrer les signaux liés à des impacts de grandes puissances. Sur Terre, notre atmosphère nous protège ! La plupart des météorites y brûlent, terminent en étoile filante ou explosent en altitude. Très peu atteignent donc le sol. Et rares sont les autres corps du système solaire qui sont équipés de sismomètres. Si des impacts naturels avaient déjà été enregistrés sur la Lune, il a été impossible de relier les plus forts d’entre eux à une image de cratère, ce qui aurait permis d’en connaître les caractéristiques précises.
Sur Mars, les impacts précédemment enregistrés par l’instrument SEIS se situaient à moins de 300 km de l’atterrisseur de la mission InSight et étaient associés à des cratères d’une dizaine de mètres de diamètre. Ces données, via l’analyse des ondes acoustiques, ont déjà permis une amélioration de notre connaissance de la structure locale de la croûte.
Les impacts S1000a et S1094b, du 18 septembre et du 24 décembre 2021 respectivement, ont, eux, laissé deux empreintes de plus de 130 m de diamètre à la surface de la planète Mars. Pour S1094b, il s’agit même du plus gros cratère d’impact des derniers siècles détecté sur une planète tellurique, car son diamètre de 150 mètres dépasse les 120 mètres du cratère Wabar, en Arabie Saoudite, considéré comme le plus gros des impacts ayant atteint la surface de la Terre durant cette période, plusieurs dizaines d’années avant le déploiement des premiers sismographes au début du XXème siècle. Il en est de même sur Mars, où aucun impact de cette taille n’avait jamais été détecté par la mission Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) depuis le début de sa mission orbitale, il y a 16 ans.
En croisant les données sismiques de SEIS, pour InSight, et des caméra CTX, MARCI et HiRISE pour MRO, les équipes internationales des deux missions de la NASA ont pu localiser avec précision, dans le temps et dans l’espace, ces deux événements : « La dynamique de l’impact et le développement de l’onde de choc ont été documentés par notre sismomètre et par les images très haute résolution de Mars Reconnaissance Orbiter. Ceci nous permet de mieux comprendre comment l’énergie d’un tel bolide est répartie dans le sous-sol et dans l’atmosphère. De plus nous avons maintenant deux sources sismiques d’une magnitude équivalente supérieure à 4 et dont la position est parfaitement connue sur Mars, et qui nous permettent de valider nos modèles de structure interne du manteau supérieur et de la croûte, développés notamment dans le cadre du projet MAGIS. » indique Philippe Lognonné, responsable scientifique de l’expérience SEIS à l’Institut de physique du globe de Paris, second auteur d’un des deux articles, coordinateur du projet MAGIS financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et professeur à Université Paris Cité.
Les deux météorites ont heurté Mars à 3500 km et 7500 km du site d’atterrissage d’Insight. Le plus gros a une masse estimée entre 250 et 650 tonnes, pour une vitesse d’impact de 7.5 km/s. Tous deux ont libéré une énergie suffisamment forte pour générer tout à la fois des ondes de surface et des ondes de volume se propageant jusqu’au noyau de Mars.
Pour Eric Beucler, professeur à Nantes Université et co-auteur des articles « Ce sont les premiers évènements pour lesquels des ondes de surface sont bien visibles. Cela permet de déterminer la structure moyenne de la croûte de Mars entre le point d’impact et InSight ». Ces mesures de l’épaisseur crustale sont fondamentales pour comprendre l’évolution de Mars et n’avaient pour l’instant pu être faites que sous la station InSight grâce aux ondes de volume des séismes. D’autres observations d’ondes de surface ont depuis été faites, en particulier après un séisme de magnitude 4.7 détecté le 4 mai 2022, ce qui permettra de compléter ces analyses.
À quelques semaines du 4e anniversaire de son atterrissage sur Mars, la mission InSight et son instrument principal, le sismomètre SEIS, ont permis de bâtir les premiers modèles de structure interne de Mars et d’observer tout à la fois la sismicité de la planète et les très forts impacts qu’une planète avec une atmosphère ténue peut rencontrer.
Thierry Damerval, président-directeur général de l’Agence nationale de la recherche précise qu’« avec le projet MAGIS et ces données uniques enregistrées par InSight et MRO, les travaux des équipes franco-américaine de l’IPGP et du Los Alamos National Laboratory (LANL) nous permettront de mieux comprendre les très forts impacts planétaires des météorites ».
Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, souligne « La planète Mars continue de nous surprendre. L’analyse des données InSight et Mars Orbiter par des équipes internationales, comprenant un grand nombre de scientifiques de nos laboratoires, permettent d’affiner notre connaissance de l’intérieur de la planète Mars et démontre ainsi l’importance de ces missions spatiales pour une meilleure connaissance du système solaire. Ces travaux préfigurent la future mission lunaire FSS (Farside Seismic Suite) qui vise à déposer un sismomètre autonome sur la face cachée de la Lune. »
Et pour Philippe Baptiste, président du CNES, « Ce sont des résultats fantastiques qui montrent la pertinence et le très haut niveau de performance de l’instrument SEIS. Mars continue à nous livrer ses secrets. Avec un des capteurs de rechange de SEIS, la mission FSS prendra le relais en 2025 sur la Lune. Le JPL, le CNES, l’IPGP et leurs partenaires pourront alors investiguer l’intérieur de la Lune pour la première fois depuis les missions Apollo ».
À propos d’InSight et de SEIS :
Le JPL gère la mission InSight pour le compte de la Direction des missions scientifiques de la NASA. InSight fait partie du programme Discovery de la NASA, géré par le Marshall Space Flight Center (MSFC), établissement de la NASA à Huntsville, Alabama. Lockheed Martin Space à Denver a construit la sonde InSight, y compris son étage de croisière et son atterrisseur, et soutient l’exploitation de l’engin spatial pour la mission. Le CNES est le maître d’œuvre de SEIS et l’Institut de physique du globe de Paris (Université Paris Cité/IPGP/CNRS) en assure la responsabilité scientifique. Le CNES finance les contributions françaises, coordonne le consortium international (*) et a été responsable de l’intégration, des tests et de la fourniture de l’instrument complet à la NASA. L’IPGP a conçu les capteurs VBB (Very Broad Band pour très large bande passante), les a testés avant leur livraison au CNES et contribue à l’opération des VBBs sur Mars.
Les opérations de SEIS et d’APSS sont menées par le CNES au sein du FOCSE-SISMOC, avec le soutien du Centro de Astrobiologia (Espagne). Les données de SEIS sont formatées et distribuées par le Mars SEIS Data Service de l’IPG Paris, dans le cadre du Service National d’Observation InSight auquel contribue également le LPG et, pour les activités Sismo à l’Ecole, GéoAzur. L’identification quotidienne des séismes est assurée par le Mars Quake Service d’InSight, un service opérationnel collaboratif mené par ETH Zurich auquel contribuent également des sismologues de l’IPG Paris, l’Université de Bristol (UK) et Imperial College London (UK).
Plusieurs autres laboratoires du CNRS dont le LMD (CNRS/ENS Paris/Ecole polytechnique/Sorbonne Université), le LPG (CNRS/Nantes Université/Le Mans Université/Université d’Angers), l’IRAP (CNRS/Université de Toulouse/CNES), le LGL-TPE (CNRS/Ecole normale supérieure de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1), l’IMPMC (Sorbonne Université/Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS) et LAGRANGE (CNRS/Université Côte d’Azur/Observatoire de la Côte d’Azur) participent avec l’IPGP et l’ISAE-SUPAERO aux analyses des données de la mission InSight. Ces analyses sont soutenues par le CNES et l’Agence nationale de la recherche dans le cadre du projet ANR MArs Geophysical InSight (MAGIS).
(*) en collaboration avec SODERN pour la réalisation des VBB, le JPL, l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH, Zürich Suisse), l’Institut Max Planck de Recherche du Système solaire (MPS, Göttingen, Allemagne), l’Imperial College de Londres et l’université d’Oxford ont fourni les sous-systèmes de SEIS et participent à l’exploitation scientifique de SEIS.
Références :
> Largest recent impact craters on Mars: Orbital imaging and surface seismic co-investigation, L. V. Posiolova, P. Lognonné, W. B. Banerdt, J. Clinton, G. S. Collins,T. Kawamura, S. Ceylan, I. Daubar, B. Fernando, M. Froment, D. Giardini, M. C. Malin, K. Miljković, S. C. Stähler, Z. Xu, M. E. Banks,E. Beucler, B. A. Cantor, C. Charalambous, N. Dahmen, P. Davis, M. Drilleau, C. M. Dundas, C. Duran,F. Euchner, R. F. Garcia, M. Golombek, A. Horleston, C. Keegan, A. Khan, D. Kim,C. Larmat, R. Lorenz, L. Margerin, S. Menina, M. Panning, C. Pardo, C. Perrin, W. T. Pike, M. Plasman, A. Rajšić, L. Rolland, E. Rougier, G. Speth, A. Spiga, A. Stott, D. Susko, N. A. Teanby, A. Valeh, A. Werynski, N. Wojcicka, G. Zenhäusern., Science, 2022
DOI : 10.1126/science.abq7704
> Surface Waves and Crustal Structure on Mars, D. Kim, W. B. Banerdt, S. Ceylan, D. Giardini, V. Lekic, P. Lognonné, C. Beghein, É. Beucler, S. Carrasco, C. Charalambous, J. Clinton, M. Drilleau, C. Durán, M. Golombek, R. Joshi, A. Khan, B. Knapmeyer-Endrun, J. Li, R. Maguire, W. T. Pike, H.Samuel, M. Schimmel, N. Schmerr, S. C. Stähler, E. Stutzmann, M. Wieczorek, Z. Xu, A. Batov, E. Bozdag, N. Dahmen, P. Davis, T. Gudkova, A. Horleston, Q. Huang, T. Kawamura, S. King, S. M. McLennan, F. Nimmo, M. Plasman, A. C. Plesa, I. E. Stepanova, E. Weidner, G. Zenhäusern, I. J. Daubar, B. Fernando, R. Garcia, L. V. Posiolova, M. P. Panning, Science, 2022
DOI : 10.1126/science.abq7157
À lire aussi
Kristel Chanard reçoit la médaille de bronze du CNRS
Kristel Chanard, géophysicienne de l’IGN dans l’équipe de géodésie de l’IPGP, est médaillée de bronze 2024 du CNRS. La médaille de bronze récompense les premiers travaux consacrant des chercheurs et des chercheuses spécialistes de leur domaine. Cette distinction...
lire plusVers une meilleure compréhension des cancers hématologiques associés à la grossesse
Les équipes des départements d’hématologie clinique et biologique, de gynécologie obstétrique, de pharmacovigilance, de réanimation médicale, d’infectiologie, ainsi que de l’unité de recherche clinique de l’hôpital Cochin-Port Royal AP-HP, de l’université Paris Cité,...
lire plusDépression : un dysfonctionnement de certains neurones de l’amygdale serait à l’origine de la perception négative de l’environnement
La dépression se caractérise, entre autres, par une tendance à percevoir de façon excessivement négative les stimuli sensoriels et les situations de la vie quotidienne. Des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec des psychiatres du GHU Paris...
lire plusMa Thèse en 180s : Prolongation des inscriptions jusqu’au 30 octobre soir
Les inscriptions au concours sont prolongées jusqu’au 30 octobre au soir !
lire plus