Où en sera-t-on de l’égalité des genres en 2121 ? J’aurais pu vous présenter des projections à grands coups de statistiques déprimantes, mais je vous propose plutôt de venir divaguer avec moi…

Charlotte

Jeudi 14 janvier 2021

7 h 15 : Le réveil sonne. Charlotte se lève en sursaut, encore ce rêve. La tête embrumée, elle tente de se remémorer, mais les images, les couleurs et les sons se mélangent et s’agglutinent, se fondent jusqu’à perdre tout sens et toute forme. Qu’importe, elle se lève et ouvre ses volets, une douce lumière printanière inonde son petit appartement. Ses yeux s’attardent sur un écriteau de l’autre côté de la rue « Pas une de plus » est écrit au marqueur sur des feuilles blanches à moitié déchirées et raturées. 

7 h 45 : Devant son miroir, elle observe son visage, touche ses joues et son front. Elle hallucine ou la trentaine lui donne mauvaise mine ? Elle tire la peau de son cou afin d’en vérifier l’élasticité avant de se rendre compte du ridicule de la situation, en plus elle est déjà bien en retard. À l’aide d’un peigne, elle noue ses longues boucles brunes en un chignon bien serré. Tant pis pour l’eye-liner, elle n’a pas le temps, mais elle met tout de même un peu de mascara et de rouge à lèvres. Elle ne voudrait pas paraître négligée au bureau.

8 h 10 : Charlotte sort de chez elle et met ses écouteurs, vraiment pas envie qu’un relou ne l’aborde pour commencer sa journée. « […] c’est ce qu’expliquent le Président de la République et le Premier ministre. Flash info : une jeune femme retrouvée poignardée dans son appartement, son ex-mari fortement soupçonné. »

En passant, elle croise une maman l’air débordé traînant derrière elle un petit pirate sanglotant. Il empoigne fermement dans ses mains un petit diadème scintillant. « Lâche ça et rends-le à ta sœur ! », « Mais pourquoi ? Je veux plus être un pirate moi ! Je veux être une princesse ! » répétait-il en sanglotant de plus belle.

« Tiens, ce doit être le carnaval ! » d’un pas assuré Charlotte se dirige vers la bouche de métro suivie par le cliquetis de ses talons sur les pavés. « Culture : la sortie en salles du nouveau film de Roman Polanski prévu pour la semaine prochaine, provoque de vives réactions de la part de groupuscules féministes »Elle court pour rattraper son métro et dépasse cette dame, tout sourire, affublée d’un grand chapeau de paille et d’une paire de lunettes de soleil. Elle brandit une boîte de pilules, « Avec mincex®, je prépare mon Beach Body ».

9 h 00 : « Retrouvons maintenant Rosie qui va nous présenter la météo du jour ». Enfin arrivée au bureau, pile à l’heure. « Ça te dit un café ? » lui demande Diego, encore trente minutes à discuter de sa nouvelle augmentation. En cinq ans, elle en a vu passer des Diego qui, à une vitesse fulgurante, gravissent les échelons. Elle est vite interrompue dans sa pensée par un autre spécimen de Diego: « Encore en train de papoter ? Il faut se remettre au travail, mon chou, aux éditions Des Plumes et des Lettres on n’a pas de temps à perdre avec des commérages ! ». Monsieur Boudard la reluque de la tête aux pieds avant de tourner les talons et de s’éloigner: « Au passage, cette jolie petite jupe vous va à ravir. »

13 h 00 : « Science : de nouvelles avancées dans la recherche concernant des trous noirs. Nous rappelons que les deux chercheurs Roger Penrose et Reinhard Genzel avaient obtenu le prix Nobel de physique en octobre dernier ». Assise dans le cabinet de sa gynécologue, elle contemple distraitement les affiches « Pilule, stérilet, implant, préservatif, patch, anneau, je choisis celle qui me convient ! » « Madame Sanchez ? C’est à vous. »

13 h 15 : « Bon, maintenant que votre examen est terminé, parlons sérieusement, vous n’auriez pas envie d’un petit bout de chou ? À trente ans, il faudrait peut-être y penser avant qu’il ne soit trop tard. » 

18 h 00 : « Un nouveau sondage de l’IFOP montre que la répartition des tâches au sein de couples hétérosexuels demeure inégale ». Devant le grand miroir en pied de son salon, elle toise son reflet. Trop court, elle n’osera jamais rentrer chez elle de nuit dans cette tenue. Elle enjambe l’amoncellement de fringues jonchant le sol, toutes trop longues, trop courtes, trop décolletées, trop gamines, trop vieillottes, trop voyantes, trop larges, trop serrées, trop putes, trop prudes. C’est ses trente ans après tout, elle voudrait juste se sentir belle. Elle finit par jeter son dévolu sur une combinaison bordeaux à manches courtes, parfait. 

2 h 30 : Charlotte a enfilé ses écouteurs, mais n’a pas allumé la radio, mieux vaut rester prudente et être à l’affût de tout bruit. En avançant d’un pas rapide, elle jette des petits coups d’œil autour d’elle et repère un type au bout de la rue. Il avance dans sa direction, elle serre les dents. Selon une enquête de 2015, 14 % de femmes disent avoir été victime d’agression sexuelle, voilà une information qu’elle n’a entendu qu’une fois à la radio, mais qui lui revient au pire moment. Elle saisit son trousseau de clefs et, en serrant le poing, tente de placer discrètement une clef entre chacun de ses doigts. Le type passe, c’est à peine s’il lui adresse un regard.

2 h 40 : Enfin arrivée dans sa rue. Un agréable sentiment de sécurité l’envahit quand elle passe le pas de la porte. Après une toilette rapide, elle s’allonge enfin, les dernières vapeurs d’alcool se dissipent. Elle repense à cet homme charmant au bar qu’elle n’a pas osé aborder. Sans rire, on aurait dit une midinette de vingt ans. Ses yeux se ferment, elle tombe petit à petit dans le sommeil. Bercée par le son des voitures au-dehors, dans le cafouillis obscur de son rêve, elle repère une touffe de cheveux blonds.

Charlie

Mardi 14 janvier 2121

7 h 15 : Le réveil sonne. Charlie se lève en sursaut, encore ce rêve. La tête embrumée, elle tente de se remémorer, mais les images, les couleurs et les sons se mélangent et s’agglutinent, se fondent jusqu’à perdre tout sens et toute forme. Elle se souvient vaguement d’une femme brune aux cheveux bouclés, peut-être portait-elle du rouge ? Ou du bordeaux ? Qu’importe, elle se lève et ouvre ses volets. Une douce lumière printanière inonde son petit appartement. Ses yeux s’attardent sur un écriteau de l’autre côté de la rue « Y avait tant d’insouciance dans leurs gestes émus. Alors quelle importance, le nom du bal perdu ? ». 

7 h 45 : Devant son miroir, elle observe son visage, touche ses joues et son front. C’est marrant, elle trouve que la trentaine lui va bien. Mais pas de temps à perdre, elle est déjà bien en retard. Elle peigne rapidement ses longues boucles blondes et les laisse courir sur ses épaules et le long de son dos.

8 h 10 : Charlie sort de chez elle et met ses écouteurs, elle aime commencer sa journée en écoutant la radio. « […] c’est ce qu’expliquent la Présidente de la République et le Premier ministre. Flash info: une jeune femme retrouvée poignardée dans son appartement, la piste la plus probable serait un cambriolage qui a mal tourné. »

En passant elle croise un papa suivi d’un petit garçon paré d’une robe bleu azur et d’un diadème scintillant. « Tiens, ce doit être le carnaval ! », d’un pas assuré Charlie se dirige vers la bouche de métro suivie par le cliquetis de ses talons sur les pavés. « Culture : la sortie en salles du nouveau film d’Alia Vanchiny est prévue pour la semaine prochaine. On attend avec impatience de découvrir ce que cette jeune réalisatrice nous réserve ». En rattrapant son métro, elle dépasse cette dame, tout sourire, affublée d’un grand chapeau de paille et d’une paire de lunettes de soleil. « Comment préparer son Beach Body ? 1) avoir un corps, 2) aller à la plage, avec PromHoliday® retrouvez plein de destinations à prix mini ! »

9 h 00 : « Retrouvons maintenant Raph qui va nous présenter la météo du jour ». Enfin arrivée au bureau, pile à l’heure. « Tiens voilà la nouvelle patronne ! » s’exclame Dan en la voyant arriver. « Je suis contente de te voir ! Comment va le nouveau papa, pas trop fatigué après ton congé parental ? » Ils s’installent tous deux autour d’un café brûlant.

13 h 00 : « Science : Le comité du prix Nobel a décidé cette année de récompenser à titre posthume de nombreuses femmes oubliées ou écartées par leurs pairs masculins. Rosalind Franklin se voit donc octroyer le prix Nobel de physiologie pour la découverte de l’ADN, Virginia Woolf celui de littérature, et enfin Jocelyn Bell est récompensée du prix Nobel de physique. « Un geste qui malheureusement ne répare pas l’injustice subie par ces femmes, mais reste symbolique » explique le président du comité. » Assise dans le cabinet de sa gynécologue, elle contemple distraitement les affiches « Préservatif ou pilule masculine et féminine, anneau, contraception thermique, patch, stérilisation, plein de possibilités existent, à moi et mon/ma partenaire de choisir celle qui nous convient ! » « Madame Martel ? C’est à vous. »

18 h 00 : « Un nouveau sondage de l’IFOP montre que la répartition des tâches au sein de couples hétérosexuels est beaucoup plus égalitaire qu’il y a cent ans ». Devant le grand miroir en pied de son salon, elle toise son reflet. Elle trouve que cette jupe lui va à ravir. 

2 h 30 : Charlie n’a pas enfilé ses écouteurs, elle se délecte à chaque pas du bruit de la nuit. Ces petites promenades dans la fraîcheur nocturne la mettent toujours de bonne humeur. Elle avance doucement dans les rues sombres en observant la lueur des réverbères se reflétant sur les pavés. Elle croise un type et lui adresse un sourire.

2 h 40 : Enfin arrivée dans sa rue. Elle passe le pas de la porte et, après une toilette rapide, s’allonge enfin. Les dernières vapeurs d’alcool se dissipent. Elle repense à cet homme charmant au bar qu’elle a abordé durant la soirée, elle le contactera sûrement demain. Ses yeux se ferment, elle tombe petit à petit dans le sommeil. Bercée par le son des voitures au-dehors, dans le cafouillis obscur de son rêve, l’image de cette femme brune lui revient. À la fois si éloignée et si proche d’elle.

nb. Les lecteurs perspicaces l’auront peut-être remarqué, la dernière partie de cette nouvelle n’est pas dénuée de toute forme de domination masculine. Il en reste en effet une bien plus insidieuse. Qui m’impose de genrer au masculin tout un groupe dans lequel se trouve un seul homme, pour lequel le terme inventrice sonne « bizarre », dont le leitmotiv est le fameux « le masculin l’emporte sur le féminin ». Vous l’aurez compris, il s’agit du langage. C’est pourquoi j’ai décidé de proposer une nouvelle version de l’histoire de Charlie, écrite entièrement en écriture non genrée. Je prie le lecteur averti d’être indulgent, je ne manie pas l’écriture épicène aussi bien que je le souhaiterais. Ainsi, je lui suggère de voir cela comme un exercice de style, et non comme un exemple parfait d’écriture non genrée.

Divagations nocturnes V2

Charlie

Mardi 14 janvier 2121

7 h 15 : Le réveil sonne. Charlie se lève en sursaut, encore ce rêve. La tête embrumée, iel tente de se remémorer, mais les images, les couleurs et les sons se mélangent et s’agglutinent, se fondent jusqu’à perdre tout sens et toute forme. Iel se souvient vaguement d’une personne brune aux cheveux bouclés, peut-être portait-iel du rouge ? Ou du bordeaux ? Qu’importe, iel se lève et ouvre ses volets. Une douce lumière printanière inonde son petit appartement. Ses yeux s’attardent sur un écriteau de l’autre côté de la rue « Y avait tant d’insouciance dans leurs gestes émus. Alors quelle importance, le nom du bal perdu ? ». 

7 h 45 : Devant son miroir, iel observe son visage, touche ses joues et son front. C’est marrant, iel trouve que la trentaine lui va bien. Mais pas de temps à perdre, iel est déjà bien en retard. Iel peigne rapidement ses longues boucles blondes et les laisse courir sur ses épaules et le long de son dos.

8 h 10 : Charlie sort de chez iel et met ses écouteurs, iel aime commencer sa journée en écoutant la radio. « […] c’est ce qu’expliquent li Présidens de la République et li Premieri ministre. Flash info: une jeune personne retrouvéx poignardéx dans son appartement, la piste la plus probable serait un cambriolage qui a mal tourné. »

En passant iel croise un parent suivi d’un petit enfant paré d’une robe bleu azur et d’un diadème scintillant. « Tiens, ce doit être le carnaval ! », d’un pas assuré Charlie se dirige vers la bouche de métro suivi par le cliquetis de ses talons sur les pavés. « Culture : la sortie en salles du nouveau film d’Alia Vanchiny est prévue pour la semaine prochaine. On attend avec impatience de découvrir ce que cet jeune réalisateurice nous réserve ». Iel court pour rattraper son métro et dépasse cette personne, tout sourire, affubléx d’un grand chapeau de paille et d’une paire de lunettes de soleil. « Comment préparer son Beach Body ? 1) avoir un corps, 2) aller à la plage, avec PromHoliday® retrouvez plein de destinations à prix mini ! »

9 h 00 : « Retrouvons maintenant Raph qui va nous présenter la météo du jour ». Enfin arrivéx au bureau, pile à l’heure. « Tiens voilà li nouvelleau patronx ! » s’exclame Dan en li voyant arriver. « Je suis contenx de te voir ! Comment va li nouvelleau parent, pas trop fatiguéx après ton congé parental ? » Iels s’installent tous deux autour d’un café brûlant.

13 h 00 : « Science : Le comité du prix Nobel a décidé cette année de récompenser à titre posthume de nombreuses personnes oubliéx ou écartéx par leurs pairs. Rosalind Franklin se voit donc octroyer le prix Nobel de physiologie pour la découverte de l’ADN, Virginia Woolf celui de littérature, et enfin Jocelyn Bell est récompenséx du prix Nobel de physique. « Un geste qui malheureusement ne répare pas l’injustice subie par ces personnes, mais reste symbolique » explique li présidenx du comité. » Assixe dans le cabinet de saon gynécologue, iel contemple distraitement les affiches « Préservatif ou pilule, anneau, contraception thermique, patch, stérilisation, plein de possibilités existent, à moi et maon partenaire de choisir celle qui nous convient ! » « Damoix Martel ? C’est à vous. »

18 h00 : « Un nouveau sondage de l’IFOP montre que la répartition des tâches au sein des couples est beaucoup plus égalitaire qu’il y a cent ans ». Devant le grand miroir en pied de son salon, iel toise son reflet. Iel trouve que cette jupe lui va à ravir. 

2 h 30 : Charlie n’a pas enfilé ses écouteurs, iel se délecte à chaque pas du bruit de la nuit. Ces petites promenades dans la fraîcheur nocturne li mettent toujours de bonne humeur. Iel avance doucement dans les rues sombres en observant la lueur des réverbères se reflétant sur les pavés. Iel croise um damoix et lui adresse un sourire.

2 h 40 : Enfin arrivéx dans sa rue. Iel passe le pas de la porte et, après une toilette rapide, s’allonge enfin. Les dernières vapeurs d’alcool se dissipent. Iel repense à cet damoix charmant au bar qu’iel a abordé durant la soirée, iel li contactera sûrement demain. Ses yeux se ferment, iel tombe petit à petit dans le sommeil. Bercéx par le son des voitures au-dehors, dans le cafouillis obscur de son rêve, l’image de cette personne brune lui revient. À la fois si éloignéx et si proche d’iel.

Cet article a été écrit par Sybille Buloup. Il est tiré de L’Octopus Journal, mensuel de vulgarisation scientifique édité par les étudiants d’Université Paris Cité.

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