Émeutes au Capitole, investiture de Joe Biden, gestion de la pandémie : la démocratie est au centre des débats. Le sociologue Jan Spurk, professeur à Université Paris Cité (Centre de recherches en philosophie, sociologie, sémiologie & politique – EA 7538), analyse l’état de la pratique démocratique et la possibilité de gouvernances alternatives. Son projet « La démocratie et ses avenirs : entre gouvernance et contre-espace public – DemoFutures » a obtenu un financement ANR/DFG en 2019.
Au lendemain de l’investiture de Joe Biden, comment envisagez-vous la démocratie ?
Je ne pense pas que Trump aura profondément changé le pays, il l’aura plutôt exprimé, ce qui est au fond plus inquiétant. Quel est l’avenir possible à présent ? Il n’y aura pas de miracle Biden. Les problèmes économiques et raciaux, pour ne citer qu’eux, vont demeurer et on ne voit pas de grand projet de société l’emporter. Beaucoup de citoyens, aux États-Unis mais plus largement dans toutes les démocraties, se sentent méprisés par les gouvernants. Ils aimeraient bien jouer le jeu de la démocratie, encore faut-il qu’ils en aient les moyens ! La responsabilité n’en revient pas simplement à un président ou un gouvernement, le mal est plus profond et structurel. À présent on vit la fin d’une époque et un autre projet est nécessaire, mais cette alternative n’existe pas dans l’espace public. Il en résulte un véritable malaise et on s’attend à des avenirs sombres.
Les démocraties sont-elles à bout de souffle ?
Notons d’abord qu’en Europe et plus largement dans le monde occidental il n’y a pas de courant politique anti-démocratique puissant. Il faut évidemment se méfier des généralisations – à l’Est de l’Europe les choses ne sont pas si simples – mais globalement on consent aux grands principes de la démocratie et les institutions démocratiques ne semblent pas fragilisées. Pourtant parler de crise de la démocratie est devenu un lieu commun. On fait l’expérience quotidienne que la démocratie parlementaire, qui n’est qu’une forme de démocratie parmi d’autres, n’est pas ce qu’elle prétend être, ce qui renforce le malaise dans la démocratie, un véritable malaise au sens le plus freudien.
Avec votre projet DemoFutures (1), vous étudiez des formes de démocratie différentes, quelles sont-elles ?
On constate l’émergence d’autres formes de démocratie. Pour le projet DemoFutures, nous avons enquêté à Lanester (Morbihan), à Saillans (Drôme) et à Bure (Meuse). Ce sont trois cas exemplaires de communes où une intelligence sociale et une capacité à s’approprier la vie de la cité se sont mises en place. Malgré des difficultés, elles arrivent à s’organiser et à mettre en œuvre des formes de démocratie plus horizontales.
Quelles sont les différences entre ces trois communes ?
Nous avons pris soin de choisir trois communes de taille différente, où les ressorts démocratiques n’ont pas les mêmes motivations. Saillans compte environ 1200 habitants et a fait de 2014 à 2020 le choix d’une démocratie directe avec une nouvelle forme de gouvernance : commissions participatives, groupes d’action, outils participatifs, etc. Tout est parti d’une contestation contre un projet de supermarché dans la commune. Des citoyens se sont alors réunis et ont remporté les élections municipales en 2014. Ça a plutôt bien fonctionné, mais on voit que ce type d’expérience a du mal à trouver un ancrage profond. L’équipe n’a d’ailleurs pas été renouvelée lors des municipales 2020.
Bure est un cas de figure différent. Depuis une quinzaine d’années la commune s’est constituée en une sorte de ZAD (« Zone à défendre ») et regroupe un noyau de militants qui se battent contre un projet d’enfouissement des déchets nucléaires à proximité. La question est de savoir si l’indignation de ces très nombreux militants a vocation à se transformer en projet de société ou non (2).
À Lanester enfin, qui est une ville moyenne d’environ 25 000 habitants, on est plus sur un modèle de démocratie participative. Les citoyens ont de l’imagination politique et sociale et de temps et temps ils ont envie de s’investir dans la vie de la cité. On ne peut pas parler de mouvement de masse ni de révolution, mais il y a cette énergie créatrice et ce désir de penser autrement la démocratie représentative au niveau local.
En quoi DemoFutures et vos différents travaux de recherche pourraient-ils permettre de penser autrement la démocratie ?
Dans Sociologie dans la cité (3) j’explique qu’une prise de position publique n’est jamais neutre, même à très petite échelle. Les sciences humaines et sociales se doivent de rendre compte et d’analyser toutes ces formes d’engagements et de mobilisation dans la cité. Outre les communes dont nous venons de parler, je pense aussi à l’émergence de nombreuses listes citoyennes lors des précédentes élections municipales avec des citoyens proposant des gouvernances alternatives. Ce sont des indicateurs qu’il ne faut pas ignorer. En tant que chercheur et sociologue, mon rôle est d’essayer de comprendre ces alternatives et de donner des clés de compréhension pour le débat public, justement pour dépasser cette idée qu’aucun autre projet de société n’est envisageable. Au-delà de ce constat, il faut que nos travaux puissent expliquer quels phénomènes empêchent la diffusion de certains projets démocratiques.
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