Les couples de trous noirs à l’origine de leur fusion, suivie de l’émission d’ondes gravitationnelles désormais détectables par les interféromètres LIGO-Virgo, comptent parmi les objets célestes qui intriguent au plus haut point les scientifiques. Une équipe d’astrophysiciens des laboratoires Astrophysique instrumentation modélisation (Université Paris Cité / CNRS / CEA) et Astroparticule & cosmologie (Université Paris Cité / CNRS), ont déterminé, grâce à plus de 60 000 simulations d’évolutions stellaires, les caractéristiques des étoiles à l’origine des fusions de couples de trous noirs de masse inférieure à 10 masses solaires. Cette méthode novatrice a fait l’objet d’une étude publiée le 26 mai 2021 dans Astronomy & Astrophysics.
© NASA’s Goddard Space Flight Center
La détection en 2015 des premières ondes gravitationnelles par les interféromètres LIGO-Virgo a ouvert la voie à une astronomie nouvelle, multi-messager. En plus des photons, neutrinos et rayons cosmiques, les astrophysiciens disposent désormais d’un nouveau messager pour étudier les phénomènes les plus violents de l’Univers : les ondes gravitationnelles émises lors de la déformation de l’espace-temps provoquée par la fusion de trous noirs. Ils peuvent, dès lors, en apprendre davantage sur les lois et les origines de notre cosmos.
Parmi les phénomènes violents, les systèmes de deux trous noirs de masse stellaire inférieure à 10 masses solaires en orbite l’un autour de l’autre, appelés binaires de trous noirs, intéressent particulièrement les chercheurs.
Naissance d’une binaire de trous noirs
Tout commence avec deux étoiles, souvent massives (d’une masse supérieure à 10 masses solaires), qui naissent dans le même nuage interstellaire. Au cours de leur vie de couple, la plus massive transfère de la matière à la moins massive et finit par s’effondrer, implosant en supernova en formant le premier trou noir. Ce dernier et la seconde étoile vont alors s’échanger de nouveau de la matière, avant que la seconde étoile grossisse au point que son enveloppe immerge l’ensemble du système trou noir + étoile. Cette phase, dite d’enveloppe commune, dure environ une centaine d’années. Peu à peu, le trou noir, freiné par cette enveloppe commune de gaz, se rapproche de la seconde étoile, jusqu’à l’éjection de l’enveloppe. La seconde étoile finit par imploser en supernova, s’effondrant à son tour en trou noir. Pendant 1 milliard d’années environ, les deux trous noirs gravitent l’un autour de l’autre, jusqu’au moment où ils fusionnent, en émettant des ondes gravitationnelles détectables[1] par les interféromètres LIGO-Virgo.
Si ce scénario est connu dans les grandes lignes, les conditions d’évolutions précises qui amènent une binaire d’étoiles à se transformer en trous noirs destinés ensuite à fusionner restent quant à elles indéterminées. De nombreuses incertitudes subsistent notamment sur les caractéristiques de ces progéniteurs stellaires.
Couple stellaire : une vie semée d’embûches
La masse initiale de chaque étoile, leur composition, leur séparation orbitale, leur vitesse de rotation, les propriétés de leur implosion en supernova… sont autant de paramètres qui entraîneront (ou non) l’évolution de la binaire d’étoiles en binaire de trous noirs puis en trou noir unique.
Encore méconnue, la phase d’enveloppe commune de la binaire trou noir + étoile est un moment crucial de la vie du couple stellaire. Pendant cette phase, un important transfert de masse a lieu entre les deux astres et l’orbite qui les sépare diminue considérablement. L’efficacité de ce transfert de masse est également un paramètre influant sur le devenir du couple stellaire.
Jusqu’ici, les études s’étaient essentiellement portées sur les paramètres des progéniteurs de fusions de binaires de trous noirs de grande masse (de 20 à 30 fois la masse solaire) car l’existence de trous noirs aussi massifs semblait peu probable. Peu d’études s’étaient intéressées aux progéniteurs de fusions de binaires de trous noirs moins massifs (inférieurs à 10 masses solaires). Pourtant, si ces derniers sont plus faciles à former, leur fusion n’est pas pour autant assurée.
La phase d’évolution durant laquelle cohabitent un trou noir et une étoile peut s’avérer dangereuse pour ce couple qui, si les conditions ne sont pas réunies, peut soit se séparer, soit entraîner une fusion précoce du trou noir à l’intérieur de l’étoile, empêchant à terme la fusion et l’émission d’ondes gravitationnelles. Déterminer les propriétés des progéniteurs de fusions de binaires de trous noirs de moins de 10 masses solaires est l’objectif de l’équipe d’astrophysiciens des laboratoires Astrophysique, instrumentation, modélisation (AIM) et AstroParticule & cosmologie (APC).
Un code pour retracer l’histoire d’une vie stellaire
Les astrophysiciens n’ont accès qu’à très peu d’éléments pour comprendre et retracer la vie de ces couples stellaires. LIGO-Virgo permet d’accéder aux tout derniers instants de vie de la binaire de trous noirs, soit les quelques dixièmes de secondes qui précèdent leur fusion. Par ailleurs, les astrophysiciens savent déterminer les masses de chacun des trous noirs de la binaire ainsi que celle du trou noir issu de la fusion, et peuvent accéder à quelques autres éléments, telles que la séparation orbitale, et leur vitesse de rotation. Ils disposent aussi d’observations de la phase « binaire émettant en rayons X » (schéma ci-dessus) qui précède celle d’enveloppe commune.
Forts de ces éléments, les astrophysiciens doivent imaginer de multiples scénarios d’évolution de couples d’étoiles. Imposant des caractéristiques précises à chacune des étoiles du couple initial (leur masse par exemple), l’équipe a utilisé un code numérique public, MESA, capable de simuler l’évolution hydrodynamique stellaire, ainsi que les interactions entre chaque étoile. Les chercheurs ont donc reproduit l’évolution de ces couples d’étoiles massives en ajustant les paramètres qui les intéressaient, puis ont comparé les résultats obtenus avec les mesures de LIGO-Virgo. Ils ont ensuite adapté ce code pour les besoins de ce problème, afin d’y inclure les étapes liées à la formation du trou noir, et au transfert de masse se produisant pendant la phase d’enveloppe commune.
60 000 simulations hydrodynamiques d’étoiles
Ainsi, en partant d’un scénario d’évolution relativement classique (les deux étoiles naissent en même temps dans le même nuage interstellaire), les chercheurs ont réalisé, en quelques mois, plus de 60 000 simulations hydrodynamiques d’étoiles sur le cluster informatique du laboratoire APC.
Si ce nombre est modeste comparé aux millions de simulations réalisées dans les modèles de synthèse de population habituellement utilisés jusqu’ici, c’est parce que ces simulations hydrodynamiques d’évolution stellaire simulent précisément ce qui se passe réellement au cœur des étoiles avec le transfert de matière. Elles requièrent donc bien plus de temps de calcul, mais sont aussi bien plus précises. Cette approche scientifique d’étude d’évolution stellaire réaliste au sein de couples de binaires d’étoiles, de trous noirs, et de trou noir + étoile, est nouvelle pour ce type de schéma évolutif conduisant aux trous noirs de masse inférieure à 10 masses solaires.
Une nouvelle méthode d’identification des progéniteurs
Connaissant le nombre d’étoiles formées dans l’Univers et grâce aux différents paramètres déduits de ces 60 000 simulations qui sont autant de combinaisons de paramètres qui ont pu être testées, les chercheurs ont pu déduire combien de trous noirs fusionnent de cette manière dans l’univers proche. Cette étude a ainsi prédit entre 1,2 et 3,3 détections par an de ce type de fusion de trous noirs de masse inférieure à 10 masses solaires, soit des taux comparables aux événements d’ondes gravitationnelles détectés par LIGO-Virgo lors des premières campagnes d’observation. Cette concordance de résultats confirme l’adéquation des modèles utilisés pour les simulations et permet de dresser un profil plus précis des étoiles à l’origine de ces trous noirs.
Cette étude, au-delà de ses résultats très positifs, propose également une nouvelle méthode d’identification des progéniteurs des objets compacts, comme les trous noirs ou les étoiles à neutrons, à partir de simulations hydrodynamiques précises d’évolution stellaire, se rapprochant ainsi chaque jour d’une meilleure compréhension des origines des phénomènes gravitationnels parmi les plus violents de notre Univers.
Ces travaux ont bénéficié du soutien financier du Laboratoire d’Excellence UnivEarthS (ANR-10-LABX-0023 et ANR-18-IDEX-0001). Les simulations ont toutes été effectuées sur le cluster du laboratoire APC.
[1] Les limites d’observation des interféromètres LIGO-Virgo permettent aux astronomes d’accéder aux derniers instants de vie des trous noirs avant leur fusion, soit quelques dixièmes de secondes avant leur fusion.
Références
Progenitors of low-mass binary black-hole mergers in the isolated binary evolution scenario. Federico García, Adolfo Simaz Bunzel, Sylvain Chaty, Edward Porter, et Eric Chassande-Mottin.
DOI: https://doi.org/10.1051/0004-6361/202038357
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