Les frontières de plaques transformantes, l’un des trois types de frontières de plaques, accommodent les déplacements latéraux en produisant de grands séismes, parfois dévastateurs, mais la nature de leurs structures profondes est encore mal connue. Grâce à l’analyse de données sismiques récemment acquises au niveau de la fosse Romanche dans l’Océan Atlantique équatorial, une équipe de scientifiques de l’IPGP dévoile, dans la revue Nature Geoscience, les différentes structures imagées sous cette faille transformante. Une zone de faible vitesse sismique qui s’étend jusqu’à 60 km en dessous du niveau de la mer, révèle une pénétration d’eau de mer profonde, une fusion induite par l’eau, et un amincissement de la lithosphère au niveau de cette frontière de plaque.

Les résultats obtenus indiquent une plus faible vitesse sismique à l’aplomb de la faille transformante de la Romanche que celle de la lithosphère environnante.

© D’après Wang et al. Nature Geoscience, 2022.

La tectonique des plaques est une dynamique cruciale de notre planète, ayant notamment permis l’existence de la vie sur Terre, mais elle provoque aussi de grands séismes lorsque deux plaques entrent en collision. En se basant sur le mouvement relatif entre les grandes plaques lithosphériques, il est possible de distinguer des phénomènes de type constructif lorsque deux plaques s’éloignent l’une de l’autre permettant la formation d’une nouvelle croûte océanique, ou au contraire destructeur lorsqu’une plaque glisse sous l’autre détruisant la croûte océanique, ou encore neutre là où deux plaques adjacentes glissent l’une contre l’autre.

Ce dernier type forme les frontières de plaques transformantes, qui se trouvent à la fois au fond des océans et sur les continents. Sur les continents, les frontières transformantes peuvent traverser des régions densément peuplées et provoquer des séismes destructeurs, comme la faille transformante de San Andreas en Californie. Dans les océans, les frontières de plaques transformantes représentent environ un cinquième de la longueur totale des frontières de plaques actives (~48 000 km) mais génèrent 16 fois plus d’énergie sismique que les dorsales médio-océanique (~67 000 km). Les structures lithosphériques profondes à l’aplomb de ces failles restent cependant mal connues.

D’août à octobre 2018, une équipe de chercheurs de l’IPGP a organisé une campagne marine à bord du navire océanographique « Pourquoi Pas? » afin d’acquérir un profil de sismique réfraction de 855 km de long, centré sur la frontière transformante de Romanche dans l’océan Atlantique équatorial. Pour obtenir ce profil, 50 sismomètres fond de mer (OBS pour Ocean Bottom Seismometer) ont été déployés et ont enregistré le signal sismique produit tous les 300 m par une source d’énergie sonore appelée dispositif de canons à air. Les OBS déployés enregistrent des signaux sismiques de haute qualité qui traversent la croûte océanique et le manteau supérieur jusqu’à la distance source-récepteur de 700 km, la plus grande jamais enregistrée.
Les temps d’arrivée de ces signaux sont analysés à l’aide d’une technique tomographique ultra performante permettant d’évaluer des structures de vitesse sismique jusqu’à 60 km de profondeur, soit l’image sismique la plus profonde jamais obtenue avec une source active.

Les résultats obtenus, publiés dans la revue Nature Geoscience du 25 août 2022, indiquent que la vitesse sismique en dessous de la faille transformante est bien plus faible que celle de la lithosphère environnante, probablement en raison de la pénétration d’eau de mer en profondeur le long des failles produites par les séismes, comme en 2016, lorsqu’un séisme de magnitude 7.1 s’est produit le long de la faille transformante de Romanche. Une modélisation géodynamique à l’aide d’une méthode numérique avancée a permis à l’équipe de l’IPGP, dans le cadre de recherches financées par European Research Council (ERC), de calculer la température depuis la surface jusqu’à une profondeur de 60 km sous la faille transformante et d’interpréter les résultats sismiques. Les scientifiques ont ainsi identifié la présence d’une croûte océanique de 6 km d’épaisseur extrêmement fracturée qui a permis une pénétration profonde de l’eau dans le manteau, transformant la partie supérieure en serpentine jusqu’à une profondeur de 16 km, et en mylonite (roche très déformée) jusqu’à 32 km. La pénétration profonde de l’eau de mer en dessous de cette profondeur semble également avoir diminué la température de fusion des roches, produisant des roches partiellement en fusion, et ainsi réduisant l’épaisseur de la lithosphère solide sous la faille transformante.

La découverte de la présence d’une lithosphère amincie à la frontière de plaque transformante pourrait expliquer les phénomènes de volcanisme, épaississement de la croûte océanique et les centres d’expansion intra-transformants observés à certaines frontières de plaques transformantes.

 

Bibliographie :
Wang, Zhikai; Singh, Satish C; Prigent, Cécile; Gregory, Emma P M; Marjanović, Milena (2022): Deep hydration and lithospheric thinning at oceanic transform plate boundaries. Nature Geoscience, 15, 741-746,
DOI : https://doi.org/10.1038/s41561-022-01003-3.

À lire aussi

Kristel Chanard reçoit la médaille de bronze du CNRS

Kristel Chanard reçoit la médaille de bronze du CNRS

Kristel Chanard, géophysicienne de l’IGN dans l’équipe de géodésie de l’IPGP, est médaillée de bronze 2024 du CNRS. La médaille de bronze récompense les premiers travaux consacrant des chercheurs et des chercheuses spécialistes de leur domaine. Cette distinction...

lire plus