L’analyse par l’équipe de la mission InSight des données sismiques enregistrées sur Mars suite à un impact de météorite survenu en septembre 2021 bouleverse notre vision de la structure interne de la planète rouge et de son évolution. Une étude publiée le 26 octobre dans la revue Nature et impliquant des scientifiques français du CNRS, de l’IPGP, de l’ISAE-SUPAERO et d’Université Paris Cité, propose un nouveau modèle pour l’intérieur de Mars, avec un manteau non homogène composé d’une couche de silicates fondus surplombant le noyau martien, qui explique l’ensemble des observations géophysiques.
© IPGP – CNES – N. Sarter
Les premières données de la mission InSight ont permis de déterminer la structure interne de la planète Mars dans une série de publications de l’équipe scientifique parue à l’été 2021. Mais depuis, l’analyse de nouvelles données générées par un puissant impact de météorite survenu le 18 septembre 2021, remettent en question les premières estimations de la structure interne de la planète rouge. En étudiant les temps de propagation d’ondes générées par cet impact, une équipe internationale menée par Henri Samuel, chercheur CNRS à l’Institut de physique du globe de Paris, et impliquant des scientifiques du CNRS, de l’ISAE-SUPAERO et d’Université Paris Cité soutenues par le CNES et l’ANR, ainsi que des co-auteurs de l’Observatoire royal de Belgique, des Universités du Maryland et de Bristol, de l’école polytechnique de Zürich, de l’académie Russe des Sciences, et du Jet Propulsion Laboratory de la NASA, a mis en évidence la présence d’une couche de silicates fondus à la base du manteau martien surplombant le noyau métallique.
Ce nouveau modèle de structure, publié le 26 octobre 2023 dans la revue Nature, plus réaliste au regard de l’ensemble des données géophysiques, permet également d’expliquer de façon cohérente l’évolution de Mars depuis sa formation.
En particulier, la mise en évidence de cette stratification du manteau martien élucide la propagation anormalement lente, jusqu’alors inexpliquée, des ondes diffractées issues de l’impact de météorite de septembre 2021 par leur trajectoire dans la partie inférieure et totalement fondue de la couche de silicates à la base du manteau, où les vitesses sismiques sont faibles. Par ailleurs, pour plusieurs événements sismiques plus anciens, les temps d’arrivées des ondes mesurés à la surface de Mars sont compatibles avec des réflexions d’ondes de cisaillement sur la couche fondue (située à plusieurs dizaines de kilomètres au-dessus du noyau métallique) et non pas à l’interface noyau-manteau comme précédemment supposé. Enfin, la présence de cette couche de silicates permet d’expliquer la trajectoire observée due la lune martienne Phobos. En effet, la partie supérieure et partiellement fondue de la couche basale permet de dissiper efficacement les déformations générées par l’attraction gravitationnelle de Phobos. En revanche, le manteau solide au-dessus de cette couche est plus rigide et sismiquement peu atténuant, comme le suggère la détection à la surface de Mars d’ondes associées à des évènements sismiques de magnitudes relativement faibles.
Un noyau plus petit et plus dense qu’envisagé
La présence de cette couche fondue à la base du manteau implique un noyau métallique 150 à 170 km plus petit (soit un rayon de 1650±20 km) et 5 à 8 % plus dense (soit 6,5 g/cm3) que les estimations sismiques précédentes. Ce noyau serait donc composé d’un alliage ayant moins d’éléments légers que précédemment requis, et plus compatible avec les données cosmochimiques issues de l’analyse des météorites martiennes et les expériences de hautes pressions. Les auteurs de l’étude proposent ainsi que Mars a vraisemblablement connu un stade précoce d’océan magmatique dont la cristallisation a produit une couche stable à la base du manteau, fortement enrichie fer et en éléments radioactifs. La chaleur dégagée par ces derniers a généré une couche basale de silicates fondus située au-dessus du noyau, recouverte par une couche partiellement fondue plus fine.
L’étude précise en outre qu’une telle stratification du manteau isole le noyau métallique, l’empêchant ainsi de se refroidir et de générer une dynamo thermique. « L’isolement thermique du noyau métallique de Mars par la couche liquide à la base du manteau implique que des sources externes sont nécessaires pour générer le champ magnétique enregistré dans la croûte martienne au cours des premiers 500-800 millions d’années d’évolution. Ces sources pourraient être des impacts énergétiques, ou encore des mouvements du noyau générés par des interactions gravitationnelles avec d’anciens satellites qui auraient depuis disparu » précise Henri Samuel.
Cette structure stratifiée de l’intérieur du manteau de Mars qui contraste avec celle de la Terre témoigne d’une évolution interne différente de ces deux planètes. Mélanie Drilleau, ingénieure de recherche à l’ISAE-SUPAERO et co-auteure de l’étude explique que « la découverte de cette stratification du manteau martien ouvre de nouveaux horizons de recherche, puisque les données sismiques enregistrées par l’instrument SEIS de la mission InSight seront désormais reconsidérées à la lumière de ce nouveau paradigme ».
Référence :
> Geophysical evidence for an enriched molten silicate layer above Mars’ core, H. Samuel, M. Drilleau, A. Rivoldini, Z. Xu, Q. Huang, R. F. Garcia, V. Lekic, J.C.E Irving, J. Badro, P. H. Lognonné, J. A. D. Connolly, T. Kawamura, T. Gudkova and W. B. Banerdt, Nature.
DOI : 10.1038/s41586-023-06601-8
À propos d’InSight et de SEIS :
La mission InSight de la NASA a officiellement pris fin en décembre 2022 après plus de quatre années de collecte de données scientifiques uniques sur Mars.
Le JPL a géré la mission InSight pour le compte de la Direction des missions scientifiques de la NASA. InSight fait partie du programme Discovery de la NASA, géré par le Marshall Space Flight Center (MSFC), établissement de la NASA à Huntsville, Alabama. Lockheed Martin Space à Denver a construit la sonde InSight, y compris son étage de croisière et son atterrisseur, et a soutenu l’exploitation de l’engin spatial pour la mission. Le CNES a été le maître d’œuvre de SEIS et l’Institut de physique du globe de Paris (Université Paris Cité/IPGP/CNRS) en a assuré la responsabilité scientifique. Le CNES finance les contributions françaises, coordonne le consortium international (*) et a été responsable de l’intégration, des tests et de la fourniture de l’instrument complet à la NASA. L’IPGP a conçu les capteurs VBB (Very Broad Band pour très large bande passante), les a testés avant leur livraison au CNES et contribue à l’opération des VBBs sur Mars.
Les opérations de SEIS et d’APSS ont été menées par le CNES au sein du FOCSE-SISMOC, avec le soutien du Centro de Astrobiologia (Espagne). Les données de SEIS sont formatées et distribuées par le Mars SEIS Data Service de l’IPG Paris, dans le cadre du Service National d’Observation InSight auquel contribue également le LPG et, pour les activités Sismo à l’Ecole, GéoAzur. L’identification quotidienne des séismes a été assurée par le Mars Quake Service d’InSight, un service opérationnel collaboratif mené par ETH Zurich auquel contribuent également des sismologues de l’IPG Paris, l’Université de Bristol (UK) et Imperial College London (UK).
Plusieurs autres laboratoires du CNRS dont le LMD (CNRS/ENS Paris/Ecole polytechnique/Sorbonne Université), le LPG (CNRS/Nantes Université/Le Mans Université/Université d’Angers), l’IRAP (CNRS/Université de Toulouse/CNES), le LGL-TPE (CNRS/Ecole normale supérieure de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1), l’IMPMC (Sorbonne Université/Muséum national d’Histoire naturelle/CNRS) et LAGRANGE (CNRS/Université Côte d’Azur/Observatoire de la Côte d’Azur) participent avec l’IPGP et l’ISAE-SUPAERO aux analyses des données de la mission InSight. Ces analyses sont soutenues par le CNES et l’Agence nationale de la recherche dans le cadre du projet ANR MArs Geophysical InSight (MAGIS).
(*) en collaboration avec SODERN pour la réalisation des VBB, le JPL, l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH, Zürich Suisse), l’Institut Max Planck de Recherche du Système solaire (MPS, Göttingen, Allemagne), l’Imperial College de Londres et l’université d’Oxford ont fourni les sous-systèmes de SEIS et participent à l’exploitation scientifique de SEIS.
Pour aller plus loin :
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