Dans le cadre d’un réseau mondial dédié à l’observation des pulsars, un consortium européen a publié une série de résultats issus de données collectées depuis un quart de siècle, par six des radiotélescopes les plus sensibles au monde. Ces données contiennent les indices très solides de l’existence d’ondes gravitationnelles, captées dans de très basses fréquences, qui proviendraient de couples de trous noirs supermassifs situés au centre de galaxies en cours de fusion.

Ondes gravitationnelles émises par les trous noirs supermassifs

© Danielle Futselaar / MPIfR

Les scientifiques du réseau européen EPTA (European Pulsar Timing Array)1, rendent compte, à travers une série d’articles publiés dans la revue Astronomy and Astrophysics datée du 29 juin 2023, de résultats obtenus en collaboration avec leurs collègues du réseau indo-japonais InPTA (Indian Pulsar Timing Array)2, à partir de l’analyse de données cumulées sur 25 ans. La participation française à ces travaux est importante, impliquant la contribution de chercheurs de l’Observatoire de Paris – PSL, d’Université Paris Cité, du CNRS, du CEA et de l’Université d’Orléans.

L’expérience s’appuie sur la précision d’horloge des pulsars3 dont les signaux sont reçus sur Terre à intervalles ultra réguliers. 25 pulsars ont ainsi été sélectionnés pour servir de cibles à des observations coordonnées à grande échelle et effectuées dans le domaine des ondes radio (0,3 – 3 GHz). Ainsi parfaitement caractérisés en deux décennies, ils forment un maillage céleste et opèrent comme un détecteur d’ondes gravitationnelles de la taille d’une galaxie, dès lors qu’une variation, aussi infime soit-elle, est décelée dans leurs impulsions.
« Les pulsars sont de remarquables horloges naturelles. En mesurant les infimes variations des temps d’arrivée de leurs signaux, il est possible de détecter de subtiles dilatations et contractions de l’espace-temps provoquées par le passage d’ondes gravitationnelles provenant de l’Univers lointain ! », explique Lucas Guillemot, astronome-adjoint au LPC2E4 (Orléans) et à l’Université d’Orléans.
Antoine Petiteau, chercheur à l’institut IRFU du CEA, ajoute : « Ce gigantesque détecteur d’ondes gravitationnelles, qui s’étend de la Terre à 25 pulsars sélectionnés dans la Galaxie, donne accès à des fréquences d’ondes gravitationnelles beaucoup plus petites que celles mesurées par les détecteurs terrestres de LIGO/Virgo pour la première fois en 2015. En détectant des changements inférieurs au millionième de seconde sur plus de vingt ans, nous pouvons détecter des ondes qui ont une période de plusieurs mois à plusieurs années, ce qui correspond par exemple à la fusion de trous noirs supermassifs.»

Une nouvelle fenêtre fréquentielle

Les résultats obtenus marquent une étape cruciale pour l’étude des ondes gravitationnelles, avec l’ouverture d’une nouvelle fenêtre fréquentielle, riche en informations astrophysiques.

Les ondes gravitationnelles, observées à très basse fréquence, sont porteuses d’informations sur certains des secrets les mieux gardés de l’Univers, tels que ceux des trous noirs binaires supermassifs. La théorie indique en effet que cette population d’objets cosmiques – dont la masse est des millions, voire des milliards de fois supérieure à celle du Soleil et qui se forme au cours de la fusion de galaxies -, émet des ondes à ces fréquences, de l’ordre du milliardième de hertz.

La salve de résultats très convaincants parue le 29 juin 2023 marque le début d’un nouveau voyage dans l’Univers, propice à lever le voile sur certains de ces mystères. « Nous ouvrons une nouvelle fenêtre sur l’Univers », déclare Gilles Theureau, astronome à l’Observatoire de Paris – PSL. « Nous pouvons pour la première fois envisager de sonder le mouvement de couples de trous noirs supermassifs formés au gré des fusions successives de galaxies. Des trous noirs gigantesques, d’une taille supérieure à celle de notre propre Système solaire, situés dans des galaxies lointaines, et prêts à se percuter. »

Les résultats sont basés sur une vaste campagne d’observation coordonnée utilisant les cinq plus grands radiotélescopes d’Europe :
– le radiotélescope Effelsberg de 100 m en Allemagne,
– le télescope Lovell de l’observatoire Jodrell Bank au Royaume-Uni,
– le grand radiotélescope de Nançay en France,
– le radiotélescope de Sardaigne en Italie
– et le radiotélescope de Westerbork aux Pays-Bas.

Pour compléter cet ensemble de données, les observations du radiotélescope GMRT en Inde ont été incluses dans l’analyse.

« C’est un projet de longue haleine », indique Ismaël Cognard, directeur de recherche CNRS au LPC2E. « Coordonner les efforts de cinq observatoires européens et de nos collègues indiens n’a pas été une tâche facile. Ces résultats récompensent tous les efforts déployés et renforcent les arguments en faveur d’une coopération au niveau européen et au-delà ».

Des résultats corroborés à travers le monde

L’annonce des résultats de l’EPTA le 29 juin 2023 est coordonnée avec des publications similaires issues d’autres collaborations dans le monde, à savoir les collaborations australienne (PPTA), chinoise (CPTA) et nord-américaine (NANOGrav). Les astronomes sont convaincus qu’il s’agit de signatures d’ondes gravitationnelles, car leurs résultats sont cohérents et étayés par des analyses indépendantes, utilisant des données collectées avec des radiotélescopes différents, observant d’autres ensembles de pulsars à travers le monde.

Si les astronomes de l’EPTA mettent en évidence un signal qui répond aux critères en termes d’identification des ondes gravitationnelles, il y a cependant encore des aspects à approfondir pour prétendre à une détection pleinement robuste. Les astronomes soulignent que le critère absolu pour affirmer la détection d’un nouveau phénomène, est qu’il y ait moins d’une chance sur un million que cela se produit par hasard et qu’il s’agisse en fait d’une “fausse détection”. Les résultats rapportés par l’EPTA – ainsi que par les autres collaborations internationales – ne satisfont pas encore tout à fait à cette exigence, mais l’espoir est grand pour atteindre cet objectif dans un avenir proche.

Les scientifiques des quatre collaborations : EPTA, InPTA, PPTA et NANOGrav, rejoints par le groupe CPTA et par le consortium réuni autour du radiotélescope Sud-Africain MeerKAT, combinent actuellement leurs données les plus récentes, avec l’appui de l’International Pulsar Timing Array. Pour atteindre le niveau de détection requis, l’objectif est d’élargir à cent le nombre de pulsars observés, d’optimiser la qualité du traitement des données et d’exploiter une instrumentation plus performante.

Ces résultats très prometteurs laissent augurer de découvertes sans précédent sur la formation et de l’évolution de notre Univers et des galaxies qui le composent.

Contribution française

La contribution de la France est basée sur l’utilisation intensive du grand radiotélescope décimétrique de Nançay (NRT) qui est presque entièrement dédié à l’étude des pulsars depuis 2004, avec 2 500 heures de temps de télescope par an consacrées au programme de chronométrie EPTA. Cela représente près de 70% des données de la collaboration européenne.

Le projet a également monopolisé intensément le centre de calcul CC-IN2P3 du CNRS pour l’exécution de l’analyse gravitationnelle (avec près de 2,9 millions d’heures de calcul CPU depuis 2021).

Les quatre laboratoires de recherche impliqués sont le LPC2E, l’ORN5, qui accueillent les radioastronomes et les experts de la chronométrie des pulsars, l’APC6et le département de physique des particules du CEA, où se trouvent tout le savoir-faire et l’expertise en matière d’analyse statistique et d’interprétation du signal gravitationnel. Ce projet a en particulier donné lieu à sept thèses de doctorat et à trois contrats post-doctoraux au cours des 15 dernières années.

 

[1] Créé en 2006, l’EPTA regroupe des astronomes et des physiciens théoriciens issus de onze institutions européennes.
[2] L’InPTA est un autre consortium rassemblant des scientifiques de plusieurs instituts indiens et japonais.
[3] Les pulsars sont les vestiges de l’explosion d’étoiles massives, dont le cœur a survécu sous la forme d’une étoile à neutrons, un objet très compact de 1 à 2 masses solaires avec un rayon d’environ 13 km. Les pulsars les plus rapides tournent à une vitesse de 700 tours par seconde et émettent un faisceau de rayonnement depuis leurs pôles magnétiques, à l’image d’un faisceau lumineux en provenance d’un phare lointain.
[4] Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’Espace (LPC2E, CNES/CNRS/Université d’Orléans).
[5] L’ORN est une plate-forme d’observation de l’Observatoire de Paris – PSL et une unité d’appui et de recherche du CNRS et de l’Université d’Orléans.
[6]Astroparticule et Cosmologie (APC) (Université Paris Cité/CNRS/Observatoire de Paris – PSL/CEA/CNES).

Références

« The second data release from the European Pulsar Timing Array — I. The Dataset« , Antoniadis et al. (EPTA Collaboration), Astronomy & Astrophysics, 29 juin 2023.

« The second data release from the European Pulsar Timing Array — II. Customised Pulsar Noise Models for Spatially Correlated Gravitational Waves », Antoniadis et al. (EPTA Collaboration), Astronomy & Astrophysics, 29 juin 2023.

« The second data release from the European Pulsar Timing Array — III. Search for gravitational wave signals« , Antoniadis et al. (EPTA Collaboration), Astronomy & Astrophysics, 29 juin 2023.

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