Le réchauffement climatique entraine une diminution significative du volume des calottes glaciaires comme celle du Groenland, par la fonte des glaces ou par détachement de blocs de glace dans l’océan (vêlage d’icebergs). Mais le vêlage est impossible à quantifier par des observations satellites. Aussi, une équipe internationale menée par des chercheurs français du CNRS et de l’Université Paris Cité a eu l’idée d’utiliser les séismes générés lors du détachement d’icebergs et ressentis à des centaines de kilomètres pour mesurer cette perte de glace.
Une bascule d’iceberg (Jason E. Box, Ruben Wernberg-Poulsen, and Jens Larsen)
Cette première en sismologie environnementale a ainsi permis de quantifier la perte de masse des glaciers du Groenland par vêlage entre 1993 et 2013, à l’aide des quelques 500 séismes d’origine glaciaire enregistrés durant cette période. Selon cette étude, le vêlage a été responsable de la perte de 370 gigatonnes de glace dans l’océan Arctique, ce qui représente 8 à 21 % de la masse perdue au front des glaciers, le reste étant à attribuer à la fonte. Ces travaux sont publiés dans Annals of Glaciology le 10 avril 2019.
Estimer la perte des glaces grâce aux séismes
L’augmentation des températures mesurées ces dernières décennies a favorisé l’accélération de la fonte des calottes polaires. En déchargeant de la glace sous forme d’eau de fonte ou d’icebergs dans l’océan, les glaciers côtiers de l’Arctique et de l’Antarctique contribuent à l’élévation du niveau des mers. Quantifier la répartition de la perte de masse des glaciers polaires est nécessaire afin de comprendre si la diminution du volume de glace résulte de changements dans les conditions atmosphériques ou océaniques et comment ceux-ci impactent la dynamique des glaciers. En combinant observations sismologiques et analyses mécaniques, une équipe internationale d’enseignants-chercheurs de laboratoires de l’IPGP, de l’INSIS (Centre des Matériaux et laboratoire PIMM), de l’ETH Zurich et de l’université de Swansea a permis d’estimer la perte de glace de la calotte Groenlandaise liée aux détachements d’icebergs de plusieurs millions de mètres cubes et associés à la production de téléséismes.
Le vêlage d’icebergs
Au Groenland, on observe depuis les années 2000 une accélération de la vitesse d’écoulement, de l’amincissement et de la retraite des glaciers côtiers, accompagnée de nombreux vêlages d’icebergs pouvant atteindre plusieurs milliards de mètres cubes. Dans certaines circonstances, il arrive que le glacier relâche dans la mer des icebergs gravitationnellement instables. Le déséquilibre entre les forces de gravité et d’Archimède entraîne la lente bascule de ces icebergs sous l’influence des forces hydrodynamiques.
L’action de l’iceberg tournant contre le front du glacier génère pendant plusieurs minutes une force horizontale de contact sur le glacier, responsable d’ondes sismiques se propageant dans la Terre solide. Ces vêlages d’icebergs produisent des séismes de magnitude 5 qui sont détectés grâce aux réseaux sismologiques globaux. L’inversion des formes d’ondes sismiques enregistrées aux stations du Groenland (www.glisn.info) permet de retrouver l’histoire de la force à la source et capture la dynamique de bascule. Dans leur étude, les chercheurs ont utilisé un modèle mécanique de vêlage d’icebergs permettant le calcul de cette force de contact, qu’ils comparent ensuite aux observations sismiques afin de contraindre le volume de glace associé à chaque séisme.
500 séismes en 20 ans
Entre 1993 et 2013, 400 à 500 séismes originaires d’une dizaine de glaciers du Groenland ont été détectés. Si l’analyse des images satellites permet de mesurer la migration des glaciers, elle permet difficilement de séparer les différentes composantes de la perte de masse (fonte de la glace liée aux températures plus élevées de l’océan ou production d’icebergs individuels). Les sismogrammes, permettent de quantifier le volume des icebergs, révélant que ces séismes ont été produits par le vêlage d’icebergs de volumes compris entre 0.2 et 2.8 km³. Au total, de tels évènements ont été responsables de la décharge d’au moins 370 Gt d’eau dans l’océan Arctique et Atlantique. L’étude révèle des contributeurs majeurs tels que les glaciers Kangerdluqssuaq et Helheim au Sud-Est et le Jakobshavn Isbrae a l’Ouest. À eux seuls, ils produisent 70 % du volume de glace perdue pendant 20 ans, pour lesquels on garde la trace de la dynamique grâce à l’enregistrement des ondes sismiques. L’étude montre que la quantité de décharge semble sur le déclin à l’Est du Groenland, alors qu’elle s’est fortement accélérée et se propage vers les glaciers de l’Ouest groenlandais qui, avant les années 2010, ne produisaient que peu de séismes. Les données obtenues des enregistrements sismiques ont permis d’attribuer entre 8 et 21 % de la perte de masse mesurée au vêlage de tels icebergs. Tandis que ce pourcentage semble se maintenir ou encore décroître aux glaciers stabilisés de l’Est, il explose à l’Ouest du Groenland, alors que ces même glaciers ont amorcé un cycle de retraite dans les années 2000, et qui continue à ce jour. Les chercheurs montrent que de manière générale, les glaciers occidentaux ont tendance à relâcher de plus gros icebergs depuis 2010, notamment en lien avec l’accélération des vitesses d’écoulement et des positions spécifiques des fronts glaciaires dans leur fjord.
En savoir plus :
> l’actualité sur le site du CNRS(link is external)
> Sergeant A., Mangeney A., Yastrebov V., Walter F. Montagner J.-P., Stutzmann E., Castelnau O., Bonnet P., Ralaiasoroa J.-L., Bevan S. and Luckman A., 2019 : Monitoring Greenland ice-sheet buoyancy-driven calving discharge using glacial earthquakes. Annals of Glaciology : Progress in Cryoseismology – doi.org/10.1017/aog.2019.7
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