Les enfants âgés de 3 à 6 ans passent en moyenne près de 2 heures par jour devant les écrans[1]. Si de nombreux chercheurs ont mis en évidence des liens entre le temps passé à les regarder et le développement cognitif de l’enfant, peu ont orienté leurs recherches sur le contexte des usages. Des chercheurs au Centre de Recherche en Épidémiologie et Statistiques – Université Paris Cité (CRESS), ont identifié une association entre le fait que la télévision soit allumée en permanence au moment des repas familiaux et un plus faible développement du langage.

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Le langage est une pratique sociale, et l’interaction humaine joue un rôle important dans son acquisition. Le développement du langage des enfants est ainsi grandement influencé par leur environnement immédiat, c’est-à-dire par les interactions qu’ils ont avec leurs parents, leurs frères et sœurs, ainsi qu’avec les autres enfants. Au cours des dernières décennies, les écrans sont devenus incontournables dans cet environnement. Même les enfants d’âge préscolaire passent un temps considérable à les regarder.
Grâce au suivi sur plusieurs années d’enfants issus de la cohorte française EDEN[2], des chercheurs de l’Inserm et d’Université Paris Cité ont pu mesurer les temps d’exposition aux écrans et plus spécifiquement la fréquence d’exposition pendant les repas de famille, moments clés d’échanges verbaux entre adultes et enfants. Des évaluations du langage ont été menées en parallèle afin d’identifier la manière dont le contexte de l’exposition aux écrans peut influencer le développement du langage chez l’enfant.
1 562 enfants suivis à 2, 3 et 5 ans et demi
Pour mesurer ces temps et contextes d’usage des écrans, des questionnaires ont été remplis par les parents des 1 562 enfants de la cohorte suivis à l’âge de 2, 3 et 5 ans et demi. Dans le cadre de l’étude, les parents ont notamment renseigné la fréquence à laquelle la télévision était allumée pendant les repas. Pour le temps d’écran des enfants, seuls les temps passés devant la télévision, l’ordinateur et les jeux vidéo ont été considérés.
L’évaluation du langage des enfants a été effectuée grâce à des questionnaires remplis par les parents lorsque les enfants étaient âgés de 2 ans[3], puis par des psychologues lorsqu’ils ont atteint 3 ans et 5 ans et demi. Afin de tenir compte du rôle potentiel joué par d’autres facteurs, plusieurs autres variables ont été incluses dans l’analyse statistique, comme des caractéristiques socioéconomiques de la famille (revenus, niveau d’étude des parents…) ou liées à l’enfant (sexe, mode de garde, activités avec les parents…).
Le croisement de ces données a révélé qu’une fréquence plus élevée de télévision allumée (regardée ou allumée en fond sonore ou visuel) pendant les repas de famille était associée à de moins bons résultats en matière de langage. En revanche, le langage de l’enfant ne semblait pas directement lié au temps qu’il passe devant les écrans.
Dans une approche analysant ces relations à chaque âge, le niveau de langage à 2 ans était plus faible chez les enfants « toujours » exposés à la télévision pendant les repas de famille par rapport aux enfants qui ne l’étaient « jamais »[4]. À 3 et 5 ans et demi, les évaluations de langage et le quotient intellectuel verbal étaient plus élevés chez les enfants « jamais » exposés à la télévision pendant les repas de famille, par rapport à ceux qui l’étaient « parfois » ou plus fréquemment.
Dans une approche s’intéressant à la temporalité entre l’exposition aux écrans et le développement du langage, le quotient intellectuel verbal évalué à l’âge de 5 ans et demi s’est révélé inférieur chez les enfants qui ont toujours été exposés à la télévision pendant les repas de famille à l’âge de 2 ans comparé à ceux qui ne l’étaient jamais (différence moyenne de 3 points de QI). Ces résultats encouragent donc à mieux prendre en compte le contexte dans lequel s’inscrit l’exposition aux écrans, et pas seulement sa durée.
« Bien que les enfants soient exposés au langage par l’intermédiaire des dessins animés et d’autres programmes vus sur des écrans, l’interaction verbale entre l’adulte et l’enfant est fortement associée à un meilleur développement du langage de l’enfant. La télévision pendant les repas peut donc constituer un frein aux interactions verbales de l’enfant, diminuant à la fois la qualité et la quantité des échanges entre enfants et adultes », explique Jonathan Bernard, chercheur Inserm et co-auteur de l’étude.
La télévision allumée au cours des repas familiaux peut avoir à la fois un effet sur l’enfant, en le distrayant, et sur les parents en détournant les conversations avec leurs enfants. Les stimulations auditives et visuelles peuvent augmenter les distractions des enfants et des parents dans leur environnement familial et accroître les difficultés pour un enfant d’extraire d’un fond sonore les distinctions phonologiques et caractéristiques syntaxiques propres à la langue et nécessaires à la qualité de son apprentissage.
[1] Chiffres enquête INCA 3 (Anses), 2014-2015
[2] La cohorte Eden est née du recrutement de 2 002 femmes enceintes effectué entre 2003 et 2006 dans les maternités publiques de Poitiers et Nancy. EDEN est la première Etude de cohorte généraliste, menée en France sur les déterminants pré et post natals précoces du développement psychomoteur et de la santé de l’enfant.
[3] A 2 ans, l’évaluation des compétences du langage des enfants a été réalisée par le biais des inventaires français du développement communicatif (IFDC). A 3 ans, les compétences du langage ont été mesurées par les batteries d’évaluation du langage oral NEPSY et ELOLA. A 5-6 ans, par une évaluation du quotient intellectuel.
[4] L’exposition à la télévision pendant les repas familiaux a été évaluée à plusieurs reprises aux trois âges avec la question suivante : « À quelle fréquence la télévision est-elle allumée dans la salle à manger pendant que l’enfant mange à la maison ? » avec quatre éléments de réponse : jamais, parfois, souvent ou toujours.
Références
Exposure to Screens and Children’s Language Development in the EDEN Mother–Child Cohort
Pauline Martinot1, MD, Jonathan Y. Bernard1,2*, PhD, Hugo Peyre3,4,5, MD, PhD, Maria De Agostini1, PhD, Anne Forhan1, MSc, Marie-Aline Charles1, MD, Sabine Plancoulaine1, MD, PhD, Barbara Heude1, PhD
1 Université Paris Cité, Centre de Recherche Epidémiologie et Statistiques (CRESS), Inserm, INRAE, F-75004 Paris, France;
2 Singapore Institute for Clinical Sciences (SICS), Agency for Science, Technology and Research (A*STAR), Singapore, Singapore;
3 Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique (ENS, EHESS, CNRS), Ecole Normale Supérieure, PSL Research University, Paris, France ;
4 Neurodiderot, Inserm UMR 1141, Université Paris Cité, Paris, France;
5 Department of Child and Adolescent Psychiatry, Robert Debré Hospital, APHP, Paris, France.
DOI: 10.1038/s41598-021-90867-3
Scientific Reports, 8 juin 2021
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