Dans le cadre du programme chercheurs internationaux invités de l’université Paris Cité, la Pr. Anne Abeillé accueille la Pr. Gabriela Bîlbîie, de l’Université de Bucarest en Roumanie. Nos deux enseignantes-chercheuses sont des linguistes spécialisées dans la syntaxe théorique et expérimentale. Elles se sont prêtées au jeu de l’interview pour nous parler de leur collaboration autour des constructions elliptiques, un de leurs thèmes de recherche privilégiés.

© Anne Abeillé et Gabriela Bîlbîie

Pourquoi avez-vous invité Pr. Bîlbîie dans votre laboratoire ?

Pr Abeillé: Cette invitation s’inscrit dans une collaboration de longue durée tant pour la recherche que pour l’enseignement. Je connais Pr Bîlbîie depuis une vingtaine d’années, car elle a soutenu sa thèse de doctorat en 2011 à Paris Diderot. À l’époque, je l’ai accompagnée depuis son master en linguistique théorique et dans ses travaux de recherche doctorale et postdoctorale.      

Cet accueil représente une occasion unique pour renforcer notre collaboration et enrichir la formation à la recherche de nos étudiants. Elle constitue également une excellente occasion pour formaliser des relations internationales, dans un objectif d’extension efficace de notre réseau international.

Nos échanges sont très étendus. Certains membres du Laboratoire de Linguistique Formelle ont été invités à enseigner à Bucarest à plusieurs reprises. L’environnement de notre laboratoire est très internationalisé ; nous avons dans l’équipe des collègues qui viennent de différents pays et qui ont travaillé dans des institutions à l’étranger.

Quels sont vos axes de recherche ?

Pr Abeillé: Dans notre laboratoire, notre objectif est d’ouvrir de nouvelles perspectives à travers une approche intégrative, en favorisant le partage de données, de méthodes et de théories entre différentes langues et différentes branches de la linguistique. Dans le Labex EFL nous adoptons une approche collaborative et expérimentale avec des équipes de linguistique théorique, descriptive et appliquée, de psychologie et d’informatique. La Pr. Bîlbîie mène des recherches comparatives sur les langues romanes (issues du latin), telles que le roumain, le français et l’espagnol, dans une perspective spécifique à notre laboratoire. Nous étudions en particulier les phénomènes de coordination, d’ellipse, les problèmes de discordance (mismatch) entre phrase complète et phrase elliptique et les contraintes de parallélisme (entre conjoints).

Pouvez-vous nous en dire plus sur les constructions elliptiques ?

Pr Bîlbîie:  Je compare le roumain à d’autres langues romanes (en particulier, le français et l’espagnol) d’un point de vue syntaxique, mais à l’interface avec d’autres niveaux linguistiques (en particulier, la sémantique et le discours). Dans la plupart de mes travaux, j’ai fait des études comparatives des phrases sans verbe en roumain et en français, appelées phrases elliptiques. Nous définissons l’ellipse comme une relation entre une séquence de constituants dont l’interprétation requiert plus que ce qui est donné par les mots qui la composent et une expression complète présente dans le contexte (ou inférée à partir du contexte), qui fournit à la séquence incomplète le matériel dont elle a besoin pour être interprétée. Par exemple, la séquence A quelle heure? est une phrase sans verbe et n’est pas interprétée de la même façon après Je vais au concert. ou après Tu dois aller chez le médecin.

Le but de mes premières recherches sur l’ellipse étaient de définir les facteurs qui entrent en jeu dans la description des différentes constructions elliptiques. Donc, c’était plutôt une approche théorique, formelle. Depuis 2013, j’ai adopté une approche expérimentale en montant des expériences en ligne parallèles dans plusieurs langues romanes. J’ai voulu cerner en particulier les facteurs impliqués dans la description de deux constructions elliptiques, à savoir les coordinations à ellipse verbale (Je pars lundi [et toi mardi].), appelées « gapping », et les comparatives elliptiques (Jean est doué en bricolage [comme Marie en décoration].), pour montrer qu’on n’avait pas d’identité stricte entre la séquence complète (sans ellipse) et la séquence elliptique. Si la plupart des études consacrées au gapping se limitent à la coordination, j’ai voulu montrer que les constructions à gapping pouvaient être subordonnées (Il ment tout le temps alors que moi jamais.), et que les constructions à gapping dans les comparatives permettaient une alternance casuelle (nominatif vs. accusatif) pour le sujet en roumain. Le gapping constitue l’objet de recherches nombreuses faites sur des langues différentes (dont, en particulier, l’anglais, l’allemand, le japonais et le coréen), mais il n’y a pas eu de recherche équivalente sur les langues romanes. Cela nous permet de découvrir de nouvelles généralisations, de faire avancer les théories et de mesurer les contraintes de parallélisme.

Comment les étudiants s’impliquent-ils ?

Pr Abeillé: Grâce à la Graduate School de Linguistique nous avons des étudiantes et étudiants de Roumanie qui viennent travailler en Master sur le roumain et les langues romanes, avec des méthodes quantitatives et expérimentales. Ils participent au Labex EFL et à nos écoles d’été. Ils poursuivent parfois en doctorat, parfois en codirection avec des collègues de Bucarest. Nous avons aussi un accord Erasmus avec l’Université de Bucarest en vertu duquel nous recevons chaque année des étudiants en licence et master de linguistique.

Pr Bîlbîie: Grâce à mon séjour ici, je suis les étudiantes et étudiants en master et en thèse qui s’impliquent activement dans les projets de recherche, en particulier au montage d’expériences. C’est un bon moyen pour qu’ils puissent publier et travailler dans un projet collectif.

Quelles sont les prochaines étapes de votre collaboration ?

Pr Abeillé: Nous avons une école d’été en juin pour les étudiants de la Graduate School de Linguistique. C’est aussi l’occasion pour d’autres étudiants internationaux en doctorat de venir à Paris. La Pr Bîlbîie fait partie du comité d’organisation et revient à Paris pendant cette période également pour une soutenance de thèse. Ensuite, en septembre nous coordonnons un atelier sur l’ellipse dans le cadre d’un colloque international de linguistes à Poznań qui a lieu tous les 5 ans.

Pr Bîlbîie: Nous envisageons de poursuivre la série d’ateliers consacrés à l’ellipse intitulés Experimental and Corpus Based Approaches to Ellipsis (Approches expérimentales de l’ellipse et approches basées sur le corpus). Il attire des spécialistes du monde entier et produit des publications de haut niveau. « D’une certaine manière, l’université Paris Cité est devenue mon chez-moi ! » conclut la Pr Bîlbîie.

 
Anne Abeillé est Professeure à l’UFR Linguistique à l’université Paris Cité. Elle est membre du Laboratoire de linguistique formelle du CNRS, membre honoraire de l’Institut Universitaire de France et membre active du labex EFL, de la Société de linguistique de Paris et de l’Academia Europaea.
Gabriela Bîlbîie est Maîtresse de Conférences au département de français de l’Université de Bucarest, Faculté de Langues et Littératures Etrangères, et spécialiste des constructions elliptiques.

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