Stanislas Lyonnet est Professeur de Génétique à Université Paris Cité et directeur de l’Institut Imagine, il fait un point sur les recherches contre le Covid-19 menées actuellement au sein de l’institut.
Pouvait-on s’attendre à une pandémie d’une telle ampleur ?
Honnêtement, je ne pense pas. Des modèles théoriques existaient mais très peu de scientifiques ou de médecins, à ma connaissance, ont pris la mesure de la gravité de l’épidémie de SARS-CoV-2, avant qu’elle n’explose en Chine et en Europe et devienne la pandémie mondiale que nous connaissons. En revanche, nous avons su faire preuve d’une grande réactivité pour tourner rapidement ceux de nos laboratoires de recherche qui y étaient préparés vers l’étude et la compréhension du virus.
Qu’est ce qui fait la spécificité de ce coronavirus ?
Sans nul doute l’immense et inattendue complexité de la physiopathologie qu’il implique. D’un point de vue génétique, le SARS-CoV-2 fait partie de la famille des coronavirus pour laquelle nous disposons d’une littérature scientifique abondante. Or, ce virus aux apparences « banales » a des formes d’expressions cliniques extrêmement variées et désarmantes. Si les formes sévères touchent principalement des personnes âgées ou présentant des facteurs de comorbidités tel que le diabète ou l’obésité, il concerne néanmoins toutes les tranches d’âges, jusqu’à se manifester sous des formes très particulières, inflammatoires et sévères, rencontrées chez les enfants, et apparentées au syndrome de Kawasaki.
Quand les travaux de recherche sur le SARS-CoV-2 ont-ils débuté au sein de l’Institut et comment les laboratoires et leurs équipes s’y sont adaptés ?
Les premiers travaux ont débuté à la mi-février avec une montée en puissance constante. La force d’Imagine, dont Université Paris Cité est membre fondateur public avec l’INSERM et l’APHP, est de fonctionner sur un modèle unique et très agile ou la recherche biomédicale et clinique sont en relation constante et se nourrissent l’une et l’autre. Nous n’avons donc pas eu à adapter notre structure à ce nouveau virus mais plutôt à lui dédier des forces déjà présentes.
Quels programmes de recherches sont actuellement menés à ce sujet au sein d’Imagine ?
Quatre axes différents sont actuellement suivis et portés par nos plus éminents spécialistes :
– le premier concerne les équipes de Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, qui au sein du laboratoire « Génétique humaine des maladies infectieuses », étudient les possibles prédispositions génétiques entraînant et expliquant les formes les plus sévères de la maladie, notamment des phénotypes extrêmes chez les patients les plus jeunes, voire le déséquilibre d’expression clinique entre hommes et femmes ;
– le deuxième axe est porté par Frédéric Rieux-Laucat et Mickael Ménager. Leurs travaux visent à trouver une signature biologique (profils interleukines, TNF ou interféron) permettant d’identifier les patients à haut risque, et proposer des thérapies efficaces pour contrôler les formes graves de COVID-19, espérant réduire ainsi le nombre de patients admis en unités de soins intensifs. Ces recherches sont faites en collaboration avec l’hôpital Cochin (AP-HP) où ils suivent une cohorte de patients hospitalisés, sous la responsabilité du Professeur Benjamin Terrier. Ces deux laboratoires étudient aussi les enfants « Kawasaki-like», à la recherche de médiateurs responsables de leur réaction auto-inflammatoire.
– le troisième axe repose sur notre plateforme de data science (Nicolas Garcelon). Elle a été mobilisée par l’AP-HP pour un monitorage et un suivi épidémique, notamment sur les facteurs de comorbidités. Ce programme doit nous permettre d’extraire au mieux et d’exploiter la multitude d’informations qui ressort des prises en charge liées au coronavirus et apporter une réelle plus-value dans la compréhension de ce dernier. Il s’agit, là encore, d’un outil à l’interface entre lit du patient et laboratoire, ici de science des données ;
– enfin, le dernier axe est porté par le Professeur Olivier Hermine qui, dans le cadre de ses recherches cliniques menées au titre de l’AP-HP et de nombreux autres partenaires, a monté le programme CORIMUNO-19. Cette étude porte sur les patients hospitalisés, et consiste à tester des traitements visant à modérer leur hyper-réaction immunologique par des anticorps (la fameuse tempête cytokinique qui apparaît aux alentours du huitième jour d’infection) et ainsi leur passage en réanimation. Je vois aussi dans cet essai et l’inventivité qu’il a fallu à Olivier et ses collègues pour le monter en quelques jours, des leçons à tirer sur l’adaptation future de notre recherche clinique : on peut faire en même temps vite et bien !
Deux autres projets naissent actuellement sur l’expression intestinale des récepteurs au virus et les manifestations chez les patients préalablement atteints de maladies digestives inflammatoires (Nadine Cerf-Bensussan), ou encore sur l’expression des neutrophiles dans l’atteinte pulmonaire du COVID-19 (Fernando Sepulveda).
Qu’est ce qui selon vous, fait la singularité d’Imagine et d’Université Paris Cité dans la recherche contre ce virus ?
Pour l’ensemble de ces travaux, le fonctionnement propre à notre Institut Hospitalo-Universitaire (IHU), lié à Université Paris Cité, première université biomédicale de France, a permis une célérité sans précédent dans la mobilisation et la réactivité des équipes de recherche et hospitalo-universitaires. Notre slogan « la meilleure recherche d’aujourd’hui pour la meilleure médecine de demain » n’a jamais été aussi pertinent car les infections à SARS-CoV-2 font travailler en collaboration étroite et en temps réel les scientifiques et les médecins, la recherche fondamentale à la paillasse s’appliquant directement au champ clinique, dans un « demain » qui est ici vraiment demain … C’est pour nous un mode de fonctionnement inédit, mais rendu possible à la fois par l’agilité d’un IHU et par une science et des savoirs accumulés sur des maladies génétiques, souvent extrêmes et rares, mais rapidement transposables à une pandémie mondiale, par définition fréquente.
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